Accueil > Non aux ouvertures du dimanche créatrices de chômage et de mal être social

Non aux ouvertures du dimanche créatrices de chômage et de mal être social

Publie le samedi 8 mai 2004 par Open-Publishing

Remplacer la civilisation du loisir par celle du caddie ?

Raffarin supprime un jour férié, Sarkozy veut nous faire travailler
le dimanche

Mais.. « Nous aurons nos dimanches » (J.-J. Goldmann)

Ah les beaux dimanches !...

Pas toujours pour les vendeuses de la
rue des Francs-Bourgeois et des rues voisines de la rue de Sévigné à
la rue du Roi de Sicile. Ni pour les caissières des grandes surfaces.
Celles de Virgin par exemple, qui a défrayé la chronique tout un été
en ouvrant le dimanche. Ni pour les apprentis, ni pour les jeunes en
contrats de qualification. Les salariés du petit commerce ont une
très mauvaise convention collective, peu de syndiqués, peu de moyens
de se défendre, et les salaires souvent les plus bas. Elles n’ont pas
le choix, ces vendeuses. Elles sont parfois même embauchées pour ne
travailler que le dimanche. " C’est une bonne cause, dit l’employeur
dans la presse, je sauve mon commerce, je fais mon meilleur chiffre
d’affaires, je crée de l’emploi, on anime un quartier tout entier
qui, sinon, serait "mort" le dimanche. "

Quel apparent bon sens, n’est-ce pas ?

Bénéficiant d’une implantation dans un quartier touristique
d’affluence exceptionnelle, le Marais, cet employeur demande une
dérogation permanente pour faire travailler des salariés le dimanche.
De son côté, Virgin " anime " aussi les Champs-Élysées, cela
rapporte, et pas seulement les jours d’arrivée du Tour de France.
Dans le débat, le petit employeur fait le jeu de la grande surface
tout en se présentant comme un martyr de l’administration. En
réalité, ce " petit " commerçant possède des boutiques sur la Côte
d’Azur, à Tokyo, à Montréal, et emploie au total 120 salariés. Ou
comment se faire de la publicité en prétendant combattre pour " la
liberté du commerce " !

Combat douteux...

En 1993, le ministre Giraud, dans sa loi quinquennale, a fait passer
le nombre de dimanches « autorisés » à ouverture annuelle de 3 à 5
par an. Voilà le ministre Sarkozy qui veut faire passer de 5 à 10
dimanches.C’est de la pure stupidité, ca ne fait pas un client en
plus, pas un sou dépensé en plus, quand il n’y a pas d’argent, il n’y
a pas d’argent, et les ventes ne pas extensibles quand le porte-
monnaie ne l’est pas.

Toutes les études l’ont démontré, les ouvertures du dimanche
n’augmentent pas la consommation mais risquent de créer du chômage :
en effet, les petits commerçants ne peuvent « tenir le coup » des
ouvertures le dimanche, ce sont les grandes surfaces qui l’emportent
et leur prennent leurs clients. Donc il a été calculé que pres de 30
000 emplois pourraient être supprimés dans le petit commerce (non
compensés dans les grandes surfaces qui aménagent leurs temps
partiels.)

Ensuite, bravo pour le côté social : cela revient à remplacer la
civilisation du loisir par la civilisation du caddie !
Les commerçants du Marais, regroupés en association, fraudent la loi
commune de la concurrence depuis de nombreuses années.
Si les quartiers voisins, puis tous les autres du même genre,
ouvraient, bien sûr leur chiffre d’affaires baisserait.
Certes ils " animent " le quartier, assez riche, mais cette animation
est surtout le fait des habitués, venus en curieux ou en famille et
qui se promènent peut-être davantage par intérêt culturel que dans le
but d’acheter. Les touristes ne représentent en vérité qu’une modeste
partie de la clientèle.

Ce sont toujours les mêmes qu’on voit entre 15 et 18 heures le
dimanche après-midi, par beau temps. Le chiffre d’affaires est,
certes, de ce fait, plus important le dimanche. Mais d’anciens
commerçants se souviennent amèrement qu’avant les " ouvertures
sauvages " du dimanche, ils vendaient davantage le samedi :
aujourd’hui, leur chiffre d’affaires est réparti sur deux jours.
Certains commerçants, sans salariés, se voient contraints de suivre
le mouvement et d’ouvrir le dimanche contre leur gré. Eux demandent à
l’inspection du travail : " Faites respecter la loi, nous
préférerions ne pas être obligés de travailler ce jour-là. Nul ne
peut se prévaloir d’une ouverture illégale le dimanche pour
solliciter une dérogation. Une fermeture ne peut être refusée que si
le service rendu au public est indispensable : là, le public dispose
sans problème des six jours ouvrables de la semaine pour faire ses
achats.

Si l’autorisation était donnée d’ouvrir tous les commerces le
dimanche, dans un premier temps, les grosses surfaces, Virgin, la
Fnac et les grands magasins populaires en profiteraient. On estime
que 30 000 emplois disparaîtraient dans les petits magasins,
incapables de soutenir la concurrence. Des emplois seraient créés
dans les grandes surfaces, à temps partiel bien sûr, orientés vers
les week-ends, mais ce mouvement s’accompagnerait de diminutions
d’emploi en début de semaine. Le pouvoir d’achat n’étant pas en
expansion, la clientèle se répartirait, et, du côté du personnel, les
grandes surfaces opéreraient alors des ajustements se traduisant par
un solde négatif en emplois. Ouvrir le dimanche crée du chômage.

Les sondages indiquent parfois que " les gens " sont favorables à
l’ouverture des magasins le dimanche : mais les mêmes sondés
précisent que, eux, " personnellement ", ne sont pas favorables pour
travailler ce jour-là. On les comprend.

Les conséquences sont lourdes : plus de plage fixe de repos dans la
semaine, des millions de salarié(e)s à contretemps les uns des autres
dans les familles, des enfants encore moins entourés, des activités
sociales de toutes sortes réduites (loisir, culture, sport, religion,
famille...). La civilisation des loisirs recule au profit de la
civilisation des caddies, des supermarchés.

Contrairement à ces discours irréfléchis qui affirment que la
fermeture des magasins le dimanche est " archaïque ", il faut
sauvegarder dans l’intérêt de la société des périodes de repos, des
moments communs de rencontre. Au moins un jour par semaine.
D’ailleurs, la Révolution française, avec ses " décades " où le repos
ne se prenait qu’une fois tous les dix jours, a naturellement échoué
sur ce point.

Le mieux serait d’étendre cette nécessaire et utile phase de repos et
de loisir à deux jours consécutifs, par principe, sauf dérogations
exceptionnelles, dans toutes les professions où cela est possible.
Certes, dans la santé ou dans les transports, ou dans des secteurs de
pointe utilisés " à feu continu ", on sait que c’est difficile, mais
on doit tendre à diminuer le nombre de salariés contraints d’assurer
la continuité de leur service pendant que les autres jouissent d’un
repos collectif.

Quel intérêt à ouvrir les banques le dimanche ? Quel intérêt à ouvrir
les commerces tous les jours ? " Parce qu’il y a trop de bousculade
le samedi ", nous rétorquent les uns. " Parce que je n’ai que le
dimanche pour faire mes courses ", disent les autres. Eh bien,
raisonnons autrement : si la durée du travail est effectivement
ramenée pour tous à 35 heures en 2 002, si on marchait vraiment vers
la semaine de 4 jours, on aurait du temps supplémentaire pour les
faire, ces fameuses " courses ". Sans ouvrir le dimanche.

En attendant, rue des Francs-Bourgeois (mais ce n’est qu’un exemple,
il y en a aussi dans une dizaine d’endroits significatifs au c¦ur de
Paris... et en province), les " ouvertures sauvages " se
poursuivent : ceux-là veulent créer un fait accompli, et en violant
la loi républicaine, la faire évoluer de force. Ils en appellent à
la " liberté du travail ", contre les " cons ", les " inspecteurs
gestapistes ", les " juges répressifs ", les " lois archaïques qui
remontent au début du siècle " et " n’en ont plus rien à faire à la
veille du XXIe siècle ". Un lobby s’est créé pour " l’ouverture le
dimanche ", d’ailleurs surtout constitué de dirigeants de grandes et
moyennes surfaces.

Et les salariés ?

Rue des Francs-Bourgeois comme ailleurs, ils n’ont
pas droit au chapitre. On les associe de fait sans leur demander leur
avis, on répond à leur place qu’ils sont " contents " - et ils ont
intérêt à l’être. D’ailleurs le "volontariat" d’un salarié, le
Conseil d’état, l’a dit, ne saurait constituer un motif de dérogation
au repos dominical. Ce sont en majorité des vendeuses jeunes, sans
charge de famille. Elles n’ont pas de majoration de salaire ce jour-
là puisque la convention collective ne le prévoit pas, et pour
cause... l’article L 221-5 interdit de faire travailler des salariés
le dimanche. Elles sont à temps partiel souvent. Leur travail est
parfois un revenu d’appoint, temporaire, ou au contraire
indispensable qu’elles acceptent faute de mieux... " Ne vaut-il pas
mieux travailler le dimanche que de pointer à l’ANPE ? " serine
régulièrement dans les médias, un des employeurs satisfait de son "
argument ". À l’entendre, il vaut mieux travailler de nuit, 12
heures, sans sécurité ni hygiène, plutôt que d’être au chômage.
Bientôt il vaudra mieux travailler en dessous du SMIC que ne pas
travailler du tout, etc.

Ces vendeuses sont donc embringuées par leurs patrons dans le "
grand combat " de l’ouverture du dimanche. Les patrons ont eux-mêmes
essayé de tenir parfois leurs boutiques. N’étant pas salariés, ils en
ont le droit, dans l’habillement (pas dans la chaussure ni la
mercerie où des décrets préfectoraux spécifiques les en empêchent) en
se faisant aider par leurs ascendants et descendants directs. Ils ne
tiennent pas longtemps, c’est trop dur pour eux de travailler tous
les dimanches. Alors ils reprennent vite le combat pour que... les
salariés travaillent à leur place.

Les associations de petits commerçants demeurent pourtant
majoritairement hostiles, de même que les syndicats, au travail
dominical. Sur environ 700 000 commerces, certains chiffres indiquent
qu’il y aurait 22 000 ouvertures. 5 % des Français, épisodiquement,
et seulement un salarié sur cinq travaillent régulièrement le
dimanche.

Gérard Filoche, auteur Carnets d’un inspecteur du travail, ed Ramsay
avril 2004