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TEMOIGNAGES 1968

Publie le dimanche 27 avril 2008 par Open-Publishing

J’ouvre ce jour mon blog à tous les témoignages de militants des entreprises ayant participé à l’occupation des usines en 1968.
Ces témoignages peuvent s’entrecroisaient entre participants sur telles ou telles anecdotes.

J’aimerai que chacune, chacun fasse part de son engagement, des moments de fraternité et de luttes, des moments difficiles aussi car il y en a eu et surtout des résultats.

Ces contributions sont utiles au moment où le tout médiatique,comme d’habitude, veut détourner la réalité de ce grand mouvment et notamment cacher la place des travailleurs en lutte.

Pour commencer je vais mettre le mien, en toute modestie, j’étais un sidérurgiste d’Usinor Dunkerque, ce premier article parle de mon engagement dans cette occupation qui a duré longtemps puisque nous serons les derniers à avoir repris le travail.

Dans un autre article que je prépare car il faut que je retrouve les protocoles d’accords de reprise du travail, je vous ferai part de la moisson de résultats obtenus dans cette usine sidérurgique, la plus moderne à cette époque de la sidérurgie mondiale.

J’en profite pour vous demander vos résultats revendicatifs ; je les publierai.

Sincérement Bernard Lamirand

Vous pouvez envoyer vos contributions en utilisant ma case commentaires sur ce blog. http://ber60.over-blog.com/

IMPORTANT : vous pouvez joindre des photos de luttes

VOICI MA CONTRIBUTION POUR OUVRIR CE 40EME ANNIVERSAIRE DE 1968

1968 A Usinor Dunkerque (Bernard LAMIRAND)

Les événements de 1968 vont précipiter les choses. L’usine va être occupée pendant plusieurs semaines. Malheureusement je suis absent les premiers jours du conflit. J’ai une violente crise d’appendicite et je dois être opéré d’urgence le 13 mai, le jour de l’imposante manifestation des travailleurs contre la répression au Quartier latin par le gouvernement gaulliste.

Je vais suivre les événements en ayant les nouvelles à mon réveil par Marie mon épouse, je suis impatient de rentrer à la maison pour me rendre à l’entreprise et rejoindre la lutte.

Cette lutte à Usinor Dunkerque ne vient pas par hasard, comme ailleurs, les travailleurs en ont marre du système gaulliste (10 ans ça suffit). Les sidérurgistes d’Usinor Dunkerque veulent leur dû en salaires et en réduction du temps de travail et ils revendiquent de nouveaux droits syndicaux. Déjà, dans les années précédentes à Usinor Dunkerque, des conflits avaient éclaté aux aciéries et aux laminoirs : une grève massive avait d’ailleurs marqué la visite du Général de Gaulle en 1965, celui-ci était affaibli par son premier échec politique : sa mise en ballottage aux élections présidentielles en 1965. Voulant visiter l’usine, il reçut un véritable camouflet, la direction espérait lui montrer une séquence de laminage des bobines mais l’exigence des syndicats de l’usine était que pour sa venue, la direction attribue une forte prime à tous les travailleurs. Devant le refus de la direction, nous nous mimes en grève, ( toute l’usine fut arrêtée) la direction dut faire appel à des ingénieurs et des contremaîtres pour faire marcher le train continu à chaud et réaliser la sortie de bobines d’acier : le résultat fut accablant et affreux pour les ténors de la direction, la plupart des bobines d’acier furent mises au rebut, et ce jour là, les hauts cadres perdirent le peu d’autorité qu’ils avaient encore sur le personnel : ils furent la risée de toute l’usine.

A Usinor Dunkerque, la mobilisation fut très forte en mai 1968, l’usine fut totalement occupée, plus rien ne fonctionnait. Ce fut le mouvement le plus fort que j’ai eu à connaître dans cette entreprise, une action massive provenant de la base, seulement quelques cadres avec la direction s’opposeront à cette grève et joueront les « briseurs de grève ».

Je ne vais donc pas traîner en convalescence. J’avais besoin de repos, mais la hâte d’être partie prenante de cette grande lutte était la plus forte.

Mon médecin, un gaulliste invétéré, proposa, vu les événements, de prolonger mon arrêt maladie. Il signifia que c’était à « mes risques et périls » si je reprenais le travail. Je refusai et pris le chemin de l’usine où je me déclarai tout de suite gréviste. Le gars responsable du piquet de grève hurla en voyant ma carte de gréviste vierge, « où était-tu ! », il fallu que j’expliquasse les raisons de mon absence : je ne suis pas sûr, encore aujourd’hui, que cette bande de braillards m’ont cru. Après cette réception, j’étais un peu refroidi, on m’affecte au piquet de grève et au tuyau d’arrosage qui, dans la sidérurgie, n’est pas un tuyau pour arroser les fleurs : la pression est telle qu’elle peut faire reculer une manifestation, renverser les meneurs et on le verra par la suite.

Mais, avant d’en arriver là, où en était la lutte ? Celle-ci était coordonnée par une intersyndicale CGT- CFDT- FO.

A coté, un groupe virulent, s’étant baptisé « les katangais », haranguait les foules pour monter des opérations commandos contre les « jaunes et la direction. Ces gens là gesticulaient beaucoup. Il n’y avait pas qu’eux : les mouvements gauchistes et étudiants venaient eux aussi pour mener des opérations violentes. Tout cela ne faisait pas sérieux avec une CGT dont la direction syndicale ne cachait pas une orientation sociale-démocrate mélangée d’anarcho-syndicaliste. Mais, je suis dans le bain, la grève se poursuit durement avec des incidents et des affrontements contre les CRS et les gardes mobiles. Cela va durer plusieurs semaines, entrecoupé de négociations avortées y compris une tentative de kidnapper le PDG.

Nous arrivons à un moment où la situation commence à se retourner après le fameux meeting de Charléty ou « la social-démocratie opportuniste » avec les Mitterrand, Mendés France, Rocard et la CFDT croient leur heure arrivée et qu’ils peuvent ramasser le pouvoir. Ce sera, le retour du Général de Gaulle qui s’annonce par une manifestation de tous les réactionnaires et fort de ce rassemblement, il dissous l’assemblée nationale pour organiser de nouvelles élections. Ce sera un raz de marée de la droite, une chambre introuvable dira un politologue.

De Gaulle reprendra le contrôle du pays et au niveau de l’entreprise des négociations ont enfin lieu : elles seront difficiles, les projets présentés par la direction sont jugés insuffisants par les travailleurs réunis en assemblée générale chaque jour à l’entrée de l’usine. Une énorme barricade s’est constituée en vue de faire face aux provocations des jaunes et d’une intervention possible des forces dites de l’ordre. A plusieurs reprises, ce sont de véritables convois armés qu’organisent les « occupants » qui défilent dans les rues de Dunkerque et de Grande Synthe pour s’opposer à la direction et ses nervis. Des camions servent de pièces d’artilleries, des frondes sont installées, le minerai de fer devient projectile. Des militants énervés, membres de diverses organisations, s’y distinguent par leur virulence et leurs irresponsabilités.

Ce « jusqu’au-boutisme » nous amènera à être parmi les derniers à reprendre le travail. Je me dis que l’on aurait pu se dispenser d’avoir allonger le temps de grève inutilement car la direction avait cédé sur pas mal de choses. Je ne distinguais pas encore, à cette époque, qu’il fallait savoir terminer une grève. Ce « jusqu’au bout » va diviser les travailleurs et les patrons vont monter des comités pour la liberté du travail avec des éléments gaullistes et d’extrême- droite. Des heurts de plus en plus nombreux auront lieu aux abords de l’entreprise.

La violence s’exacerbe donc de part et d’autre.

La direction, de plus en plus provocatrice, monte à l’assaut des piquets de grève qui commencent sérieusement à se dégarnir. Un jour, toute la direction arrive aux portes, aux cris de « liberté du travail » ; étant d’astreinte aux piquets d’entrée de l’usine ce jour là, je suis parmi ceux qui vont les asperger et les faire reculer. Le directeur nous somme de le laisser passer, il fait machine arrière devant la puissance du jet de la lance à incendie.

Lui et ses sbires sont pipants et pitoyables ; ils n’ont plus qu’à aller se changer après une telle douche froide.

J’ai su, plus tard, que le directeur avait cherché à savoir qui était cet individu qui l’avait copieusement aspergé. Il n’allait pas tarder à le savoir.

Mais la grève se termine et nous gagnons d’importants acquis qui sont encore aujourd’hui inscrits dans les feuilles de paie.

Quelques mois plus tard je devenais responsable du syndicat CGT et du comité d’entreprise ; pour moi militant de la JOC à cette époque, une page nouvelle s’ouvrait et 68 me permettait de discerner la lutte de classe et ce qu’elle recélait comme acte militant et mon engagement syndical et politique allait prendre alors une autre dimension.

Bernard Lamirand : Ancien Secrétaire Général du syndicat CGT Usinor Dunkerque