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FAQ (Frequently Asked Questions) sur CESARE BATTISTI

Publie le dimanche 9 mai 2004 par Open-Publishing

De Valerio Evangelisti

Le fait qu’on ait rouvert dernièrement les pages de
Carmilla On Line aux contributions traditionnelles,
après un mois et demi pendant lequel elles étaient
presque entièrement consacrées au cas Battisti, ne
veut pas dire que nous avons oublié ce dernier.
Certes, dépassé par d’autres évènements, ce cas n’a
plus une place centrale dans la presse italienne, et
ceux qui ont éclaboussé Cesare Battisti de toutes les
façons possibles croient peut-être avoir gagné leur
bataille. Chez nous aussi bien qu’en France, où des
pressions furibondes en provenance d’Italie ont induit
certains journaux à changer soudainement d’attitude.
Les ennemis de Cesare Battisti, à notre avis, se font
des illusions : des surprises les attendent. Entre
temps, et tandis que d’autres contributions pressent
(parmi lesquelles la dernière partie de « Et
Frankenstein fabriqua sa créature »), nous publions
une exposition complète et paisible de ce cas tout
entier, faite de questions et de réponses. Le lecteur
sans préventions (et nous avons heureusement un nombre
de lecteurs supérieur à celui de plusieurs petits
quotidiens) pourra se faire une idée objective de
toute l’histoire.

Pourquoi Cesare Battisti fut-il arrêté, en 1979 ?

Il fut arrêté dans le cadre des coups de filet qui
frappèrent le Collectif Autonome de La Barona (un
quartier de Milan) après le meurtre, le 16 février
1979, du joaillier Luigi Pietro Torregiani.

Pourquoi le joaillier Torregiani fut-il assassiné ?

Parce que, le 22 janvier 1979, avec une personne de sa
connaissance elle aussi armée, il avait tué Orazio
Daidone : un des deux braqueurs qui avaient pris
d’assaut le restaurant Il Transatlantico où il dînait
en compagnie de plusieurs personnes. Un client,
Vincenzo Consoli, mourut dans la fusillade, un autre
fut blessé. Qui tua Torregiani voulait frapper ceux
qui, à l’époque, tendaient à « se faire justice par
eux-mêmes ».

Cesare Battisti participa-t-il à l’assaut à Il
Transatlantico ?

Non. Personne n’a jamais affirmé cela. Il s’agit d’un
fait divers.

Cesare Battisti participa-t-il au meurtre de
Torregiani ?

Non. Même cette circonstance - affirmée dans un
premier temps - fut totalement exclue par la suite.
Autrement il aurait été impossible de l’entraîner,
comme cela se vérifia par la suite, dans le meurtre du
boucher Lino Sabbadin, qui eut lieu en province de
Udine le même 16 février 1979, quasiment à la même
heure.

Et pourtant on a laissé entendre que Cesare Battisti a
blessé un des enfants adoptifs de Torregiani, Alberto,
resté par la suite paraplégique.

Il est acquis qu’Alberto Torregiani fut blessé par
erreur par son père dans la fusillade avec les
agresseurs.

Pourquoi donc Cesare Battisti est-il mis en relation
avec l’homicide Torregiani ?

Parce que, comme il l’a lui-même reconnu, il faisait
partie du groupe qui revendiqua l’attentat, les
Prolétaires Armés pour le Communisme. Le même groupe
qui revendiqua l’attentat Sabbadin.

Qu’est-ce que c’était les Prolétaires Armés pour le
Communisme (PAC) ?

Un des nombreux groupes armés issus, vers la fin des
années 70, du mouvement dit Autonomie Ouvrière et
consacré à ce qu’ils appelaient « illégalité diffuse »
 : des « expropriations » (banques, supermarchés) aux
représailles contre les entreprises qui organisaient
du travail au noir en allant plus rarement jusqu’à
blesser ou tuer.

Les PAC ressemblaient-ils aux Brigades Rouges ?

Non. Comme tous les groupes autonomes, ils ne visaient
ni la construction d’un nouveau parti communiste ni un
bouleversement immédiat du pouvoir. Ils essayaient
plutôt de prendre le contrôle du territoire, en y
déplaçant les rapports de force en faveur des classes
subalternes et en particulier de leurs composantes
juvéniles. Ce projet, quelle que soit la façon dont on
le juge (il n’a certainement pas marché), ne collait
pas avec celui des BR.

Monsieur Armando Spataro, un des Ministères Publics du
procès Torregiani, a dit récemment que les adhérents
aux PAC n’étaient pas plus d’une trentaine

Il a une mauvaise mémoire. Les personnes enquêtées
pour appartenance aux PAC furent au moins soixante. La
plupart étaient de jeunes ouvriers. Venaient ensuite
les chômeurs et les enseignants. Les étudiants
n’étaient que trois.

30 ou 60 cela ne fait pas grande différence.

Mais si, au contraire. Les probabilités de
participation aux choix généraux de l’organisation
ainsi qu’aux actions projetées par elle changent.
N’oublions pas que si des dizaines de braquages sont
attribués aux PAC, les homicides sont au nombre de
quatre. La participation directe à un de ceux-ci
devient nettement moins probable si l’on double le
nombre des effectifs.

Cesare Battisti était-il le chef des PAC, ou un de ses
chefs ?

Non. Il s’agit là d’une pure invention journalistique,
créée ces derniers mois. Ni les actes du procès, ni
d’autre éléments ne mènent à le considérer comme l’un
des chefs. D’ailleurs, il n’avait pas un passé lui
permettant de remplir un rôle de ce genre. C’était un
militant parmi tant d’autres.

Lors du procès, Battisti fut cependant jugé parmi les
« organisateurs » de l’homicide de Torregiani.

Par déduction. Il aurait participé à des réunions où
l’on avait discuté de la possibilité de l’attentat,
sans exprimer d’opinion contraire. Ce n’est qu’avec
l’entrée en scène du repenti Mutti - après que
Battisti, condamné à douze ans et demi s’était évadé
de prison et enfui au Mexique - que se précisa
l’accusation, mais encore une fois, par déduction.
Puisque Battisti était accusé par Mutti d’avoir joué
des rôles de couverture dans l’homicide de Sabbadin et
puisque les attentats à Torregiani et à Sabbadin
avaient clairement été inspirés par une même
stratégie (frapper les commerçants qui tuaient les
braqueurs), voilà que Battisti devait forcément faire
partie des « organisateurs » du guet-apens tendu à
Torregiani, même s’il n’y avait pas participé en
personne.

Et pourtant, de tous les crimes attribués à Battisti,
celui auquel on donne le plus d’importance est
précisément le cas Torregiani.

Peut-être se prêtait-il plus que d’autres à une
utilisation « spectaculaire » (que l’on voie l’emploi
récurrent d’Alberto Torregiani, pas toujours prêt,
pour des raisons que l’on peut aussi comprendre, à
révéler qui le blessa). Ou peut-être - étant donné
certaines propositions récentes du ministre Castelli,
sur le thème de l’auto-défense des commerçants -
était-ce l’épisode le mieux capable de faire vibrer
certaines cordes dans l’électorat de référence.

En tout cas, ceux qui défendent Battisti ont souvent
joué la carte de la « simultanéité » entre le délit
Torregiani et le délit Sabbadin alors que Battisti a
été accusé d’avoir « organisé » le premier et « 
exécuté » le second.

Ceci est dû à l’ambiguité même de la première demande
d’extradition de Battisti (1991), aux informations
contradictoires fournies par les journaux (nombre et
qualité des délits variaient d’un journal à l’autre),
au silence de qui savait. N’oublions pas qu’Armando
Spataro n’a commencé à fournir des détails - ou
plutôt, un certain nombre de détails - que lorsqu’il a
vu que la campagne en faveur de Cesare Battisti
risquait de remettre en discussion la façon dont lui
et les autres magistrats impliqués (Corrado Carnevali,
Pietro Forno, etc.) avaient mené l’instruction et le
procès. N’oublions pas non plus que le gouvernement
italien a tenu à soumettre aux magistrats français, à
la veille de la séance qui devait prendre une décision
à propos de la nouvelle demande d’extradition de
Cesare Battisti, 800 pages de documents. Il est facile
d’argumenter qu’il jugeait lacunaire la documentation
produite jusque là. A plus forte raison, elle
présentait des lacunes pour ceux qui envisageaient
d’empêcher que Battisti fût extradé.

De toute façon, le procès qui a été fait à Cesare
Battisti et aux autres accusés du meurtre Torregiani
fut un procès régulier.

Non, ce ne le fut pas et il est assez simple de le
démontrer.

Pourquoi le procès Torregiani, ensuite étendu à toute
l’histoire des PAC ne fut-il régulier ?

Soyons précis : il ne fut régulier que dans le cadre
des distorsions de la légalité introduites par la
soi-disant « urgence ». Sous le profil du droit
général, le procès a été vicié par au moins trois
éléments : le recours à la torture pour extorquer des
aveux en cours d’instruction, l’usage de témoins
mineurs ou affectés par des troubles mentaux, la
multiplication des chefs d’accusation sur la base des
déclarations d’un repenti d’une crédibilité
incertaine. Plus d’autres éléments mineurs.

Les magistrats torturèrent-ils les personnes arrêtées
 ?

Non. Ce fut la police à les torturer. Il y eut bien
treize dénonciations : huit provenaient des accusés et
cinq de leurs familles. Une instruction de ce genre
n’est pas un fait inédit mais certainement insolite à
cette époque. Les magistrats se bornèrent à recevoir
les dénonciations pour les classer ensuite.

Peut-être les classèrent-ils parce qu’il ne s’était
pas agi de vraies tortures, mais de simples pressions
un peu fortes sur les accusés.

Un des cas dénoncés le plus fréquemment fut celui de
l’obligation d’ingurgiter de l’eau versée dans la
gorge de la personne interrogée à toute pression à
travers un tuyau pendant qu’un agent la frappait à
coups de genou dans l’estomac. De plus, ils
dénoncèrent tous qu’on les avait fait se déshabiller,
qu’on les avait enveloppés dans des couvertures pour
que ne reste aucune marque et qu’on les avait ensuite
battus à coups de poing et de bâtons. Parfois,
attachés à une table ou à un banc.

Si les magistrats ne donnèrent aucune suite aux
dénonciations, cela fut peut-être parce qu’il n’y
avait pas de preuve que tout cela s’était réellement
passé.

En effet, le substitut du procureur Alfonso Marra,
chargé d’en référer au juge d’instruction Maurizio
Grigo, après avoir dérépertorié les délits commis par
les agents de la Digos de « lésions » en « coups »
pour absences de marques permanentes sur le corps (en
Italie, le délit de torture n’existait pas et n’existe
même pas aujourd’hui, grâce au ministre Castelli et à
son parti), concluait que même l’ accusation de coups
ne pouvait pas avoir de suite, étant donné que les
agents, seuls témoins ne confirmaient pas. De son
côté, le Ministère Public Corrado Carnevali,
justement, en charge du procès Torregiani, insinua que
les dénonciations de torture étaient un système adopté
par les accusés pour délégitimer l’enquête tout
entière.

Rien ne nous dit que le Ministère Public Carnevali
avait tort.

Un épisode au moins ne colle pas avec sa thèse. Le 25
février 1979, l’accusé Sisinio Bitti dénonça au
substitut du procureur Armando Spataro les tortures
subies et rétracta les aveux rendus pendant
l’interrogatoire. Il raconta entre autres qu’un
policier, en le frappant avec un bâton, l’avait poussé
à dénoncer un certain Angelo ; après quoi il avait
dénoncé le seul Angelo qu’il connaissait, un certain
Angelo Franco. On ne crut pas en la rétractation de
Bitti et Angelo Franco, un ouvrier, fut arrêté en
tant que participant à l’attentat Torregiani. On ne
devait le relâcher que quelques jours plus tard : il
ne pouvait en aucune façon avoir participé au
guet-apens. Cela veut dire que la rétractation de
Bitti était authentique et que donc, très
probablement, les violences par lesquelles les faux
aveux lui avaient été extorqués l’étaient aussi. On
doit remarquer en passant que parmi les quotidiens qui
dénoncèrent à l’époque les tortures figurait aux
premières loges la Repubblica (ce journal alla jusqu’
à invoquer une intervention du ministre de
l’intérieur) qui prend aujourd’hui parti avec
acharnement contre Battisti.

Même si l’on admet le recours aux sévices au cours de
l’instruction, cela n’innocente pas Cesare Battisti.

Non, mais cela donne une idée du genre de procès dans
lequel il fut impliqué. Le définir « régulier » est
pour le moins discutable. Parmi les témoins à charge
de quelques accusés figurèrent aussi une fillette de
15 ans, Rita Vitrani, poussée à déposer contre son
oncle ; jusqu’à ce que ses contradictions et ses
ingénuités ne fassent comprendre qu’elle était
psychiquement fragile (« aux limites de l’imbécillité
 », comme le déclarèrent les experts). Dans le procès
figura aussi un autre témoin, Walter Andreatta, qui
tomba bientôt dans un état confusionnel et fut
qualifié de « déséquilibré » et de victime de crises
dépressives graves par les mêmes experts du tribunal.
Même si l’on admet le cadre précaire de l’enquête, il
y a à considérer que Cesare Battisti renonça à se
défendre. Quasiment une admission de culpabilité, même
si, avant de se taire, il se proclama innocent.

C’est ce qu’il peut nous sembler aujourd’hui, mais pas
à l’époque. C’est même le contraire qui est vrai. A ce
moment-là, les militants des groupes armés capturés se
proclamaient prisonniers politiques et renonçaient à
leur défense parce qu’ils ne reconnaissaient pas la « 
justice bourgeoise ». Battisti y renonça parce qu’il
dit avoir des doutes sur l’équité du procès.

Mais si l’on met de côté les violences et les
témoignages peu crédibles en cours d’instruction le
procès fut mené à bien avec équité.

Pas précisément. Des accusés mineurs furent frappés de
peines disproportionnées. Bitti, cité ci-dessus, fut
innocenté de tout délit mais fut également condamné à
trois ans et demi de prison parce qu’on l’avait
entendu approuver dans un lieu public l’attentat à
Torregiani. S’était déclenché le soi-disant « concours
moral » en homicide, inspiré directement des
procédures de l’Inquisition. Angelo Franco, évoqué
ci-dessus, fut de nouveau arrêté, quelques jours après
avoir été relâché, cette fois pour association
subversive, et condamné à cinq ans. Cela en l’absence
d’autres délits mais seulement parce qu’il fréquentait
le collectif autonome.

Selon Luciano Violante, une certaine « dureté » était
indispensable pour éteindre le terrorisme. Et Armando
Spataro prétend que dans ce but l’aggravante des « 
finalités terroristes », qui doublait les peines, se
révéla être une arme décisive.

Elle cassa aussi les vies de pas mal de jeunes,
arrêtés avec des accusations destinées à s’aggraver de
façon exponentielle au cours de la détention, même en
l’absence de faits de sang.

Cela ne vaut pas pour Cesare Battisti, condamné à la
prison à vie pour avoir participé à deux homicides et
en avoir exécuté deux autres.

A la fin du procès en première instance, Battisti,
arrêté à l’origine pour des accusations mineures, se
trouva condamné à douze ans et demi de prison. Les
condamnations à perpétuité arrivèrent cinq ans après
son évasion de la prison. Mais voici venu le moment de
parler des « repentis » et surtout de l’unique repenti
qui l’accusa. Pour entrer après dans le c ?ur des trois
autres délits.

Essayons de comprendre ce qu’est un « repenti »

Si nous nous référons aux groupes d’extrême-gauche,
c’est ainsi que l’on définit les détenus pour des
délits liés à des associations armées qui, en échange
de remises de peine conséquentes, renient leur
expérience et acceptent de dénoncer leurs camarades,
en contribuant à leur arrestation et au démantèlement
de l’organisation. De facto, une figure de ce genre
existait déjà à la fin des années 70, mais elle rentre
de façon stable dans la législation, d’abord avec la « 
loi Cossiga » n°15 du 6.2.1980 , puis avec la « loi
sur les repentis » n°304 du 29.5.1982. Les dangers
inhérents à son mécanisme avant et après cette date
sont évidents.

Quels seraient ces « dangers » ?

La logique de la norme faisait en sorte que le « 
repenti » puisse tabler sur des remises de peine
d’autant plus importantes que le nombre de personnes
qu’ils dénonçaient augmentait ; c’est pourquoi, une
fois épuisée la réserve d’informations en sa
possession, il était poussé à puiser dans les
suppositions et les bruits récoltés ici et là. De
plus, la rétroactivité de la loi poussait à des
délations indiscriminées, même à plusieurs années de
distance des faits, quand des vérifications
matérielles étaient désormais impossibles.

Existe-t-il des exemples de ces effets pervers ?

Le cas le plus éclatant fut celui de Carlo Fioroni
qui, menacé d’être condamné à perpétuité pour
l’enlèvement en vue d’une rançon d’un ami décédé
pendant l’enlèvement, accusa de complicité Toni Negri,
Oreste Scalzone et d’autres personnalités de
l’organisation Pouvoir Ouvrier, évitant cette
condamnation. Mais d’autres repentis, tels que Marco
Barbone (qui collabore aujourd’hui à des quotidiens de
droite), Antonio Savasta, Pietro Mutti, etc.
continuèrent aussi des années durant à faire appel à
leur mémoire et à distiller des noms. Chaque
dénonciation était suivie d’arrestations à tel point
que la détention devint une arme de pression pour
obtenir d’autres repentirs. Malheureusement tout cela
ne fit scandale que dans un deuxième temps, quand la
logique du repentir, appliquée au champ de la
criminalité commune, provoqua le cas Tortora et
d’autres, moins connus.

Pietro Mutti fut le principal accusateur de Cesare
Battisti. Qui était-il ?

Il figura parmi les accusés du procès Torregiani, bien
que contumace, et l’accusation demanda pour lui huit
ans de prison. Il fut capturé en 1982 (après que
Battisti s’était déjà évadé), à la suite de la fugue
de la prison de Rovigo, le 4 janvier de la même année,
de quelques militants de Première Ligne. Mutti fut
accusé d’être parmi les autres organisateurs de
l’évasion.

De quels délits Mutti, une fois repenti, accusa-t-il
Battisti ?

Si l’on néglige les délits mineurs, de trois
homicides. Battisti (avec une complice) aurait
directement assassiné, le 6 juin 1978, l’adjudant des
gardiens de la prison de Udine Antonio Santoro, que
les PAC accusaient de maltraitance des détenus. Il
aurait directement assassiné à Milan, le 19 avril
1979, l’agent de la Digos Andrea Campagna, qui avait
participé aux premières arrestations liées au cas
Torregiani. Entre les deux crimes, il aurait
participé, sans tirer directement mais de toute façon
avec des rôles de couverture, à l’homicide déjà évoqué
du boucher Lino Sabbadin de Santa Maria di Sala.

L’homicide Sabbadin est celui dont on a le plus parlé.
Dans une interview avec le groupe français d’extrême
droite Bloc Identitaire, le fils de Lino Sabbadin,
Adriano, a déclaré que les assassins de son père
auraient été les complices du braqueur tué par ce
dernier.

Ou bien sa réponse à été mal interprétée ou bien il a
déclaré quelque chose qui n’apparaît dans aucun acte
du procès. Il vaut mieux négliger les déclarations
des proches des victimes, dont la fonction, au cours
des deux derniers mois, a été essentiellement
spectaculaire.

Cesare Battisti est-il coupable ou innocent des trois
homicides dont l’accusa Mutti ?

Il se dit innocent, même s’il assume d’avoir fait le
mauvais choix en direction de la violence qui
l’entraîna, lui et tant d’autres jeunes, à l’époque.
Mais ici la question n’est pas d’établir si Battisti
est innocent ou pas. Au contraire, la question est de
voir si sa culpabilité fut jamais vraiment prouvée et
de vérifier, dans ce but, si le développement du
procès qui mena à sa condamnation peut être jugé
correct. On n’expliquerait pas autrement l’acharnement
avec lequel le gouvernement italien, soutenu aussi par
d’illustres noms de l’opposition, essaye de se faire
restituer Battisti par la France.

Hormis les dénonciations de Mutti, d’autres preuves à
charge de Battisti pour les crimes Santoro, Sabbadin
(même si c’est avec un rôle de couverture) et Campagna
firent-elles surface ?

Non. Quand les magistrats parlent aujourd’hui de « 
preuves », ils se réfèrent au recoupement qu’ils ont
effectué entre les déclarations d’un « repenti »
(Mutti, dans notre cas) et les indices livrés
indirectement par les « dissociés ».

Qu’est ce qu’on entend par « dissocié » ?

Celui qui prend ses distances par rapport à
l’organisation armée à laquelle il appartenait et
avoue des délits et des circonstances qui le
concernent, mais sans accuser d’autres personnes. Cela
comporte une remise de peine, même si elle est
évidemment inférieure à celle d’un repenti.

En quel sens un dissocié peut-il fournir directement
des indices ?

Par exemple s’il affirme n’avoir pas participé à une
réunion parce qu’il était contraire à une certaine
action qui y était projetée, même s’il ne dit pas qui
y participait. Si entre temps un repenti a dit que X
participa à cette réunion, voilà que X figure
automatiquement parmi les organisateurs.

Qu’est ce qu’il y a qui ne va pas dans cette logique ?

Il y a qu’aussi bien la dénonciation directe du
repenti que l’indice fourni par le dissocié viennent
de sujets alléchés par la promesse d’un allègement de
leur propre détention. Leur lecture conjointe, si les
vérifications manquent, est effectuée par le magistrat
qui la choisit parmi les différentes lectures
possibles. De toute façon, en plus, c’est le repenti,
c’est-à-dire celui qui a les encouragements majeurs,
qui est déterminant. Tout cela dans d’autres pays (non
totalitaires) serait admis en cours d’instruction et
en cours de débat pour la confrontation avec l’accusé.
Ce ne serait jamais accepté comme ayant valeur de
preuve dans la phase du jugement. En Italie, oui.

Est-ce que dans le cas de Battisti il manque d’autres
vérifications ?

Il n’y a que des témoignages qui disent l’avoir
reconnu, des témoignages que même le magistrat Armando
Spataro a qualifiés de peu concluants.

Mais le repenti Mutti ne peut-il pas être considéré
crédible ? Y a-t-il des raisons pour affirmer qu’il
soit jamais tombé dans le mécanisme « Plus j’en avoue,
moins je reste en prison » ?

Oui. Les dénonciations de Pietro Mutti ne concernent
pas que Battisti et les PAC mais elles partirent tous
azimuts et se dirigèrent dans les directions les plus
variées. La plus éclatante concerna l’OLP de Yasser
Arafat qui aurait livré des armes aux Brigades Rouges.
En détails, Mutti lista, « trois fusils AK47, 20
grenades à main, deux mitraillettes FAL, trois
revolvers, une carabine pour franc-tireur, 30 kg
d’explosifs et 10 000 détonateurs » (ce n’est pas
beaucoup, à bien y regarder, hormis le nombre incongru
des détonateurs ; il ne manquait plus qu’Arafat livrât
un pistolet à air comprimé). Sur la base de cette
précieuse révélation, le procureur Carlo Mastelloni
put ajouter un fascicule à son « enquête vénitienne »
sur les rapports entre les terroristes italiens et les
terroristes palestiniens et alla jusqu’à appeler en
jugement Yasser Arafat lui-même. Ensuite, il dut
classer le dossier parce que Arafat ne vint pas et le
reste se dégonfla.

Est-ce que cela a quelque chose à voir avec les armes
en provenance du Front Populaire pour la Libération de
la Palestine négociées en 1979 par un certain Maurizio
Follini qu’Armando Spataro dit avoir été militant des
PAC ?

Ce Follini était un marchand d’armes et, selon
quelques-uns, espion soviétique. Il fut mis en cause
par Mutti, mais en relation avec d’autres groupes. Il
vaut mieux détourner pieusement le regard. Mais après
avoir remarqué combien les révélations de Mutti
tendaient au délire.

Mutti ne sera pas crédible pour d’autres enquêtes mais
rien ne nous garantit que, au moins sur le PAC, il ne
disait pas la vérité.

Rien ne nous le dit, en effet, hormis un détail. En
1993, la Cassation a innocenté une co-accusée de
Battisti, dénoncée elle aussi par Mutti. Je parle de
1993. Pendant dix ans, la magistrature avait cru, à
son propos, aux accusations du repenti. Cela devrait
parler de soi.

Même en admettant que le procès qui a amené à la
condamnation de Cesare Battisti ait été vicié par des
irrégularités et centré sur les dépositions d’un
repenti peu crédible, il est certain que Battisti a pu
se défendre dans les instances de jugement qui ont
suivi.

Il n’en est pas ainsi, au moins en ce qui concerne le
procès en appel de 1986, qui modifia la sentence de
première instance et le condamna à la perpétuité. A
l’époque, Battisti était au Mexique et ignorait ce qui
se passait à son détriment en Italie.

Le magistrat Armando Spataro a dit que bien qu’il ait
échappé de son initiative à la justice italienne,
Battisti put se défendre dans toutes les instances du
procès par l’avocat qu’il avait nommé.

Cela n’est vrai que pour la période où il se trouvait
désormais en France et donc vaut essentiellement pour
le procès en Cassation qui eut lieu en 1991. Cela ne
vaut pas pour le procès de 1986 qui déboucha sur la
sentence de la cour d’Appel de Milan du 24 juin de la
même année. A l’époque Battisti n’avait aucun contact
ni avec l’avocat payé par ses proches ni avec ses
proches eux-mêmes.

Cela, c’est lui qui le dit

Oui, mais Maître Giuseppe Pelazza de Milan qui se
chargea de la défense le dit aussi et de même ses
proches. Mais il s’agit certainement de témoignages
partiaux. Reste le fait que Battisti n’eut aucune
confrontation avec le repenti Mutti qui l’accusait. Il
s’était soustrait à la prison, d’accord ; mais la
donnée objective est qu’il ne put pas intervenir dans
un procès qui transformait sa condamnation de douze
ans en deux perpétuité et lui attribuait l’exécution
de deux homicides, la participation à plusieurs titres
à deux autres, quelques agressions avec blessés et une
soixantaine de braquages (à savoir l’activité des PAC
tout entière). Cela était et est admissible pour la
loi italienne mais ne l’est pas pour la législation
d’autres pays qui, même si elles prévoient la
condamnation par contumace, imposent le renouvellement
du procès au cas ou le contumace soit capturé.

Armando Spataro réfère que la Cour des Droits humains
de Strasbourg a jugé suffisantes les garanties de
l’accusé dans la pratique italienne du procès par
contumace.

C’est vrai. Mais le magistrat Spataro se réfère à une
seule sentence et oublie toutes celles où la même cour
a recommandé à l’Italie de s’adapter aux normes en
vigueur dans le reste de l’Europe en matière de
contumace. D’ailleurs, c’est une jurisprudence
constante de la Cour des Droits humains que de ne
considérer légitime le procès par contumace que si
l’accusé a été informé du procès à sa charge. Cela
n’est pas démontrable dans le cas de Cesare Battisti.
Et il ne suffit pas non plus que son avocat ait été
prévenu. Selon l’article 42 du code de déontologie de
la Cour de Strasbourg, l’avocat ne représente
effectivement son client que si 1) le premier se
conforme aux décisions du deuxième au sujet des
finalités du mandat à le représenter ;
2) l’avocat se consulte avec son client en ce qui
concerne les façons d’atteindre ces finalités.
Le point 2), en ce qui concerne le procès en appel de
1986, n’a sûrement pas été appliqué et le point 1) est
douteux lui aussi. Rien ne démontre que Battisti ait
été informé du procès qui le concernait et les
éléments qui existent tendent à prouver le contraire.

Il s’agit là de chicanes qui ne démontrent rien et qui
oublient l’essentiel de la question en l’enterrant
sous des formes juridiques.

Mais Battisti n’est tenu de rien prouver. La charge de
la preuve revient à ceux qui l’accusent. En ce qui
concerne l’essentiel de la question, essayons de le
résumer :
1)une instruction qui naît d’aveux extorqués par des
méthodes violentes ;
2)une série de témoignages d’éléments incapables par
leur âge ou par leurs facultés mentales ;
3)une sentence exagérément sévère ;
4)une aggravation de la sentence même due à
l’apparition tardive d’un « repenti » qui débite des
accusations de plus en plus graves et généralisées.
Tout cela dans le cadre de normes rendues plus sévères
et destinées à étouffer rapidement un bouleversement
social d’envergure, plus ample que les positions de
chacun.

Mais tout cela ne peut pas intéresser la justice
française, appelée à décider sur l’extradabiité de
Cesare Battisti.

En effet, cela ne l’intéresse pas. Les thèmes en
discussion en France sont autres : celui, général, du
respect de la dite « doctrine Mitterrand » qui
concédait le droit d’asile aux réfugiés italiens
recherchés pour terrorisme pourvu qu’ils renoncent à
toute velléité d’éversion ; celui, particulier dans le
cas Battisti, de la licéité pour une cour française de
réformer une décision de refus de l’extradition déjà
prononcée ; celui, d’ordre moral, de la remise aux
prisons italiennes de personnes, et parmi elles de
Battisti, qui pendant treize ans se sont fiés aux
promesses reçues et ont complètement changé de vie.

La « doctrine Mitterrand » n’excluait-elle pas de
l’asile politique les auteurs de faits de sang ?

C’estce qu’ont soutenu le même Spataro, d’autres
magistrats et plusieursjournalistes parmi lesquels la
journaliste française Marcelle Padovani. C’est une
grossière erreur. Tous ceux-ci se basent sur le
colloqueoriginaire entre Mitterrand et Craxi qui
fonda la « doctrine » (en réalité non pas une petite
méchanceté de la France à l’Italie mais une main
tendue pour l’aider à sortir des « années de plomb »),
mais ils oublient comment une telle doctrine se
précisa ensuite. Avant tout, par une intervention du
même Mitterrand au 65°congrès de la Ligue des Droits
de l’homme, en 1985, où il renouvela avec force la
concession de l’hospitalité aux environ 300 réfugiés
politiques italiens en France, recherchés pour des
crimes antérieurs à 1981, sans faire de distinction
entre « crimes de sang » et autres. Ensuite - ou
plutôt, parallèlement - par l’institution d’un groupe
de travail composé de conseillers de l’Elysée et du
gouvernement, de hauts fonctionnaires de police, de
magistrats et d’avocats, chargés de donner corps aux
indications du président de la République française.
Dans une interview publiée par Libération le 6 avril
dernier, un des membres de la commission, Maître
Jean-Pierre Mignard, a témoigné qu’on ne fit aucune
distinction au sujet du genre de crime, aussi parce
que les dossiers parvenus d’Italie étaient pollués par
des procédures lacunaires, des contradictions et des
préventions idéologiques de la part des magistrats.
Cela fut aussi à la base du rejet de la première
demande d’extradition de Battisti en 1991.

Armando Spataro affirme au contraire que le rejet fut
de nature technique. Les magistrats français
repoussèrent la demande italienne d’extradition de
Battisti sur la base des actes de l’instruction (cela
en relation avec l’instruction du « procès Torregiani
 » commencé par le substitut du procureur Forno en
1979), tandis qu’il se réservèrent de se prononcer
définitivement au moment où les sentences seraient
devenues définitives.

Le magistrat Spataro a admis (en dialoguant par écrit
avec ses confrères du Mouvement pour la Justice) avoir
cherché une solution au fait que la magistrature
française était appelée à se prononcer une deuxième
fois sur une même demande d’extradition ; et, après
avoir pris en considération plusieurs solutions (c’est
ce qu’il nous semble comprendre), s’être arrêté sur
celle-ci. S’il en est ainsi, il s’agit d’un
comportement plutôt insolite pour quelqu’un qui se
considère comme un chercheur dépassionné de la vérité.
Hormis ceci, la thèse de Spataro ne se déduit ni du
texte de la sentence prononcée en 1991 par les
magistrats français ni des souvenirs de ceux qui
participèrent à la séance. N’oublions pas ensuite que
fin 2003 le Procureur Général de la Cour d’Appel de
Paris notifia au Garde des Sceaux français que l’on
n’avait pas jugé bon de donner cours à la énième
demande d’extradition de Battisti du gouvernement
italien. Evidemment, il considérait que rien n’avait
changé par rapport à 1991. Le cas Battisti ne s’est
rouvert que parce que l’exécutif français, sous
pression italienne, a procédé à l’arrestation de
l’écrivain.

Le ministre italien Castelli, selon Armando Spataro
(mais aussi selon l’ex-magistrat Luciano Violante),
n’a fait que son devoir en poussant pour l’arrestation
de Battisti et d’autres réfugiés en France.

On a l’impression que la volonté de justice du
ministre Castelli est pour ainsi dire sélective.
L’acharnement qu’il montre vis-à-vis de militants
d’extrême gauche au repos depuis des décennies ne
correspond pas à celui qu’il exerce vis-à-vis des
ex-militants d’extrême droite en contumace. Du reste,
cela n’a rien de surprenant étant donné le glissement
idéologique du parti auquel appartient Castelli, la
Ligue Nord. Un parti qui confie aujourd’hui son école
des cadres à Alain de Benoist, qui consacre des pages
d’une de ses publications à Davide Beretta (ex-membre
des Equipes d’Action Mussolini, responsables d’environ
80 attentats), qui essaie de séduire les adhérents de
Alliance Nationale au nom d’une « continuité » que
Fini aurait trahie, qui manifeste de la solidarité au
parti raciste belge Vlaam Blok, qui remplit de
références à Julius Evola les colonnes culturelles de
ses publications pour la jeunesse. Pour ne pas parler
des récentes prises de position sur le droit à
l’auto-défense et sur la torture. Luciano Violante ne
semble pas voir de continuité entre de telles prises
de position et la chasse acharnée à l’ « extrémiste
rouge » qui, depuis 20 ans, vivote en d’autres parties
du monde. Dommage pour lui, il ne sait pas distinguer
la justice de la vengeance.

Cela n’empêche qu’une grande partie de la gauche est
unie dans le soutien à un magistrat comme Armando
Spataro.

Cela est un problème de la gauche, justement. Il y a à
se demander si elle a connaissance de ce que non
seulement Spataro, mais aussi d’autres magistrats qui
furent comme lui parmi les protagonistes de la
répression des mouvements des années 70 et des
premières années 80, pensent des cas d’Adriano Sofri
ou de Silvia Baraldini. J’imagine - ou peut-être
j’espère - que bon nombre de représentants de la « 
gauche » (appelons-la ainsi) en seraient un peu
secoués.

Il est inutile de tourner autour du pot. Cesare
Battisti n’ a jamais manifesté de repentir.

Le droit moderne - je l’ai déjà dit - réprime les
comportements illicites et ignore les consciences
individuelles. Réclamer un repentir quelconque était
typique de Torquemada ou de Vishinskij.

Il a même exulté quand il a été libéré.

Ce n’est pas un comportement si bizarre. Dans la photo
qui accompagne cet article, Battisti exulte. Il était
peut-être en train d’exalter la justice prolétaire et
les tribunaux du peuple ? Non, il était simplement en
train de sortir d’un bistrot. Figurez-vous s’il peut
exulter à la sortie d’une prison et pour le renvoi
d’un déplacement forcé vers la prison à vie. Paolo
Persichetti en sait quelque chose qui, depuis qu’il a
été extradé, est trimballé d’un pénitencier à l’autre
et s’est même vu refuser le nécessaire pour écrire.

On ne peut pas liquider ainsi avec une boutade un
problème plus complexe.

C’est exact. On ne peut pas liquider ainsi le problème
plus général une fois pour toutes du régime de
l’urgence avec les aberrations juridiques qu’il a
introduites dans la législation italienne. Mais cela
peut être l’objet d’autres FAQ qui feraient
abstraction du cas spécifique traité ici.

Traduit de l’italien pour bellaciao.org par Karl et Rosa

Sourse : carmillaonline

09.05.2004
Collectif Bellaciao