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Abus de précaires épinglé à France 3

Publie le mardi 11 mai 2004 par Open-Publishing

L’inspection du travail dénonce la gestion des CDD et intermittents d’une locale de la chaîne.

Par Raphaël GARRIGOS

a direction de France 3 Lorraine-Champagne- Ardenne est généreuse : elle
propose d’embaucher en contrat à durée indéterminée (CDI) dix de ses
collaborateurs actuellement en contrat à durée déterminée (CDD). Un beau
geste. Mais, selon un rapport de l’inspection du travail de
Meurthe-et-Moselle que s’est procuré Libération, la station régionale de la
chaîne publique peut faire mieux. Beaucoup, beaucoup mieux puisque, au
total, 259 personnes sont en situation de bénéficier d’un CDI.

Fabrication. Saisie par le comité d’entreprise de la station régionale,
l’inspection du travail dresse en dix pages un réquisitoire cinglant contre
la politique sociale en vigueur dans la chaîne publique. Le volume d’emplois
précaires (pigistes et intermittents du spectacle inclus) atteint, par
trimestre, « le chiffre de 4 000 jours, constant sur une activité de trois
années ». Soit « 250 équivalents temps- plein ». L’inspection du travail estime
ainsi qu’« environ 25 % de l’effectif » de la station sont des précaires,
« avec des pointes proches de 40 %». Explication avancée par France 3 : les
émissions ne durent pas forcément d’une saison sur l’autre et la chaîne
estime qu’elle doit embaucher uniquement le temps de leur fabrication. Mais
les rédacteurs du rapport ne l’entendent pas de cette oreille, et font
remarquer que, même si les émissions changent, « il n’est pas contestable que
l’entreprise soit amenée à diffuser le même volume de programmes d’une année
sur l’autre ». En clair : si une émission ne dure pas, elle est remplacée par
une autre qui nécessite autant de salariés. Même motif, même punition pour
les CDD auxquels France 3 juge normal de faire appel en cas d’émissions
supplémentaires. L’inspection du travail juge au contraire que : « S’agissant
d’augmentation d’activité cyclique (...), le caractère normal et répétitif
de cette augmentation d’activité apparaît lié à l’activité normale et
permanente de l’entreprise, interdisant ainsi le recours au CDD. » Surtout
quand il s’agit d’emplois techniques qui, souligne le rapport, « ont vocation
à être utilisés sur plusieurs types de production » : « Il s’agit donc bien de
postes liés à l’activité normale de l’entreprise. »

Mieux, le rapport dénonce « l’existence d’une organisation habituelle et
permanente d’un "vivier" de précaires ». Il s’agit d’une base de données
informatisée dénommée Antares (Application nationale télématique d’aide aux
recherches des emplois non permanents) dans laquelle piochent toutes les
stations régionales de France 3 pour recruter des CDD. Le système est
vicieux : dès qu’un collaborateur atteint 140 jours de CDD, il ne peut plus
être recruté. Pourquoi ? Selon la convention collective de l’audiovisuel
public, il est impossible d’embaucher une personne pour un CDD de plus de
140 jours. Au-delà, le CDI est obligatoire. C’est donc un logiciel qui
veille automatiquement à ce que les CDD ne puissent surtout pas prétendre à
un CDI...

Propre jeu. L’inspection du travail conclut son rapport en prenant la
direction de France 3 à son propre jeu. Au terme de la longue grève de fin
2002 au cours de laquelle les salariés de France Télévisions réclamaient des
augmentations de salaire et l’intégration des précaires, organisations
syndicales et direction avaient signé un document stipulant que seraient
étudiés à l’avenir les cas des CDD totalisant 420 jours de travail. Soit,
calcule le rapport, 259 personnes à France 3 Lorraine- Champagne-Ardenne.
« Un chiffre, ironise l’inspection du travail, à rapporter aux dix
propositions de "permanentisation" faites par la direction de France 3
Lorraine-Champagne-Ardenne. »

L’épine dans le pied de la direction de la station de l’Est pourrait bien
chatouiller celui du grand patron de France 3, Rémy Pflimlin. En effet, à
l’initiative de la CGT, quatre autres comités d’entreprise (à France 3
Aquitaine, France 3 Ouest, France 3 Méditerranée, France 3 Paris
Ile-de-France-Centre ainsi qu’au siège de la chaîne) ont, eux aussi, saisi
l’inspection du travail qui pourrait aboutir à des résultats analogues à
ceux de France 3 Lorraine-Champagne-Ardenne. Cinq régions truffées de CDD
illégaux sur les 13 que compte France3 ? Patrice Papet, directeur des
ressources humaines de France 3, affirme ne pas s’alarmer : « Les conclusions
des différents rapports de l’inspection du travail rejoignent notre
préoccupation : il est nécessaire de procéder à d’autres "perma-
nentisations" » en plus des 140 effectuées en 2003 au niveau national. De
plus, Papet affirme qu’un CDI ne coûte pas plus cher à France 3 qu’un CDD.
Problème : Pflimlin peut-il faire exploser ses effectifs ? La patate chaude
des CDD abusifs de France 3 va donc remonter les étages jusqu’au ministre de
la Culture et de la Communication. Lors de la grève de 2002, l’ancien
ministre, Jean-Jacques Aillagon, avait systématiquement refusé toute
rallonge, laissant les directions des chaînes publiques gratter les fonds de
leurs maigres enveloppes. Après s’être attaqué au dossier des intermittents
du spectacle, son successeur, Renaud Donnedieu de Vabres, va devoir se
colleter l’audiovisuel public.

Liberation