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Battisti : Du droit à la morale.

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

Par : Daniel Jacoby, Avocat à la Cour

Président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme

Irène Frain, Ecrivain
Bernard Lallement, Ecrivain

La demande d’extradition de Cesare Battisti examinée, ce mois-ci, par la cour d’appel de Paris a fait couler beaucoup d’encre, des deux côtés de la frontière, suscitant bien plus de passion que de raison. Aussi, n’avons-nous nulle intention de nier l’atrocité des crimes commis. Nul combat ne justifie la mort d’innocents et la violence, comme l’écrivait Jean-Paul Sartre, est toujours la manifestation d’un échec.

Mais, à défaut de l’admettre, il nous appartient de comprendre les errements de ces militants, en Italie, qui ont été animés par l’obsession délirante d’une conquête de la liberté au prix de la terreur. Il n’est pas question, non plus, d’opposer la douleur des victimes, le souvenir de morts aussi injustes qu’inacceptables, aux protestations d’innocence de Cesare Battisti dont il convient de lui donner acte.

En 1985, reprenant à son compte les conclusions d’un groupe de travail réuni autour du ministre de l’intérieur Gaston Defferre, le président de la République de l’époque, François Mitterrand, a accordé, l’asile à des militants révolutionnaires italiens des années de plomb sous condition de « reddition ». Plus d’une centaine, dont Cesare Battisti, vinrent donc se réfugier en France.

Un acte régalien qui s’assimile au droit de grâce

Chacun est libre d’exprimer son opinion sur la mesure entreprise. Elle peut être approuvée comme honnie. Cela dit, nous sommes en présence d’un acte de gouvernement s’imposant à tous. Observons, toutefois, qu’il ne souleva guère de grands émois au moment où il fut décidé.

Mais, au-delà du judiciaire, c’est, avant tout, de morale dont il est question. Aussi, le droit transalpin est-il sans incidence dans les circonstances qui nous préoccupent car la détermination de la République française s’est manifestée en toute connaissance de cause. Et justement, parce que, depuis près de vingt ans, notre pays a pris, et assumé, une position sur laquelle aucun gouvernement, quelle que soit sa coloration politique, n’est revenu, nous ferions courir un grand danger à nos libertés publiques que de renier l’asile que la France a, librement, octroyé. Nous pourrions, d’ailleurs, relever que, M. Juppé étant Premier ministre, Cesare Battisti obtint, en 1997, le renouvellement de son titre de séjour pour une durée de 10 ans.

A l’image de celle accueillant sur notre sol des dirigeants étrangers s’exilant, pour quelque raison que ce soit, de leur pays, la volonté, qui s’assimile au droit de grâce, du président François Mitterrand a produit des effets juridiques en faveur de Cesare Battisti, et des autres réfugiés italiens desquels on parle peu, au demeurant, mais qui sont tout aussi impliqués. Ils en bénéficient au sus et vue de tous. Une telle décision ne saurait être rapportée sans conséquence pour notre démocratie.

Au lendemain des évènements de la guerre d’Algérie qui connut des exactions, de part et d’autres, sans commune mesure, le général de Gaulle eut la sagesse de proposer une loi d’amnistie conforme à nos traditions républicaines. Nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux le gouvernement italien à entreprendre une telle démarche.

Extrader Cesare Battisti serait faire injure à notre république qui s’enorgueillit d’être la patrie des droits de l’homme et dont le droit d’asile est l’un de ses attributs fondamentaux.

Respecter la parole donnée est, non seulement, une règle de droit mais, aussi et surtout, un principe, incommensurable, de morale.