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Battisti : La chambre de l’instruction de Paris doit réexaminer son cas aujourd’hui.

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

Il y a treize ans, quand la France refusait d’extrader Battisti

Par Karl LASKE et Dominique SIMONNOT

mercredi 12 mai 2004

Où est le fait nouveau ? Treize ans après que la justice française a déclaré Cesare Battisti inextradable, voilà la question posée à la chambre de l’instruction de Paris qui examinera, aujourd’hui, le cas de l’écrivain italien à nouveau réclamé par son pays où il est condamné à la prison à vie.

Pour ses avocats, Mes Terrel et de Felice, la réponse est claire : « Les faits invoqués par l’Italie aujourd’hui sont strictement les mêmes qu’en 1991, lorsque la chambre d’accusation a rendu un avis défavorable à son extradition. » Cette décision de 1991 devrait, en droit, rendre impossible l’extradition de Battisti, en vertu du principe intangible non bis in idem, nul ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. Quels que soient ces faits.

Les avocats, d’ailleurs, auront d’autres arguments. Notamment les interrogations face à une demande d’extradition présentée vingt-quatre ans après les faits et onze ans après une condamnation pour assassinats. Prononcée par contumace, cette dernière est, en Italie, non susceptible d’appel, contrairement au droit français. Les avocats feront aussi valoir les engagements de l’Etat français, puisque, dès 1981, des négociations se sont ouvertes entre les avocats des exilés italiens des années de plomb (dont Cesare Battisti) et les autorités françaises. Elles ont abouti à la « doctrine Mitterrand » : « la tranquillité à ceux qui ont rompu avec la machine infernale ». Il s’agissait, selon Me Jean-Pierre Mignard (Libération du 6 avril), un des principaux acteurs de ces pourparlers, d’un « protocole de reddition des exilés, aux conditions du ministre de l’Intérieur de l’époque, Gaston Defferre. Nous discutions, avocats, conseillers du président de la République, du ministre de l’Intérieur et policiers responsables de l’antiterrorisme et des RG... »

Confidentielles. Comment s’est forgée la conviction de l’Etat français ? Libération s’est procuré des notes confidentielles de l’époque qui éclairent le débat. Dans une analyse « sur la situation des Italiens asilés en France », le cabinet du Premier ministre émet, le 31 janvier 1985, un avis assez définitif sur la question. « Extradition : sauf à revenir sur l’actuelle position arrêtée (à un niveau semble-t-il élevé) de ne pas extrader, cette voie est fermée. » Ce document fait un premier bilan, à la fois juridique et statistique, de l’accueil des réfugiés italiens. Il démontre que l’asile de fait qui leur est accordé et le refus de leur extradition relevaient effectivement d’une décision prise au sommet de l’Etat. Et qu’en outre ces dispositions exceptionnelles mobilisaient l’administration française tout entière Justice, Intérieur, Affaires étrangères.

Liste. Les premiers « politiques asilés en France », comme les appelaient les conseillers ministériels, sont arrivés entre 1976 et 1978 et se cachent. Mais, en 1981, avec l’élection de François Mitterrand, plusieurs dizaines d’entre eux sortent de l’ombre, se regroupent en association et, assistés d’avocats, demandent « leur admission au séjour » aux cabinets des ministres de l’Intérieur et de la Justice. En 1982, une première liste officielle contient 89 noms, dont 56 obtiennent un permis de séjour. En 1983, une seconde liste porte sur 53 personnes, dont 30 « ne posaient pas de problèmes ». Et, en 1985, les autorités françaises qui disposent déjà d’une liste assez importante d’exilés déclarés estiment leur nombre « à 200/300 ». Les services du Premier ministre Laurent Fabius soulignent alors : « Il est indéniable que la remise des listes par les avocats a grandement facilité la tâche de "repérage" des services compétents. » Du coup, les services italiens connaissent, eux aussi, parfaitement la situation. « Il est indéniable que ces listes sont connues des services de police italiens : on constate en effet que, dans la plupart des cas, les personnes figurant sur les listes font par la suite l’objet d’une demande d’arrestation provisoire. »

On s’interroge. Que faire face à cette avalanche de demandes d’extradition, face à ces situations juridiques inextricables ? « Outre les questions de l’opportunité politique, il serait pratiquement impossible (sauf à faire siéger "en cadence" les chambres d’accusation) de donner suite quasi systématiquement aux demandes italiennes. » D’ailleurs, dans les cabinets des ministères, les juristes français s’étonnent devant « les qualifications vagues » communiquées par la justice italienne, et de l’absence de « renseignements précis sur les faits ou le degré de participation ». Et encore : « Il est de plus en plus fréquent que des affaires politiques soient banalisées en droit commun. » Des particularités qui reflètent le caractère massif et expéditif des poursuites et des procès engagés à l’époque en Italie. Aussi le ministère français de l’Intérieur transmet-il systématiquement les demandes d’extradition aux spécialistes de la justice, « pour instructions ».

Les réticences françaises seront confortées par le déroulement des premiers procès de l’extrême gauche italienne et les amples critiques d’Amnesty International, en 1987 et 1988, sur la législation d’exception et la durée de détention provisoire. Ainsi, le « procès de Rome » avait abouti en première instance, selon l’ONG, « à la condamnation à un total de cinq cents années de prison pour appartenance à des associations subversives », sur la foi d’un repenti, absent à l’audience, car libéré malgré une peine de vingt-sept ans de prison pour meurtre.

L’extradition étant exclue, comme on l’a vu, les autorités françaises n’envisageaient, en 1985, l’expulsion que pour « un ou plusieurs » membres de la vingtaine d’asilés « présentant un danger », « sous réserve de retenir les cas les plus graves ». Et à condition d’un avis favorable de la chambre d’accusation. Elles préconisaient aussi une « tolérance au séjour sans délivrance de titre » pour « l’immense majorité actuelle » et accordaient aux recherchés des cartes de séjour. Cet accueil des Italiens relevait aussi d’une « Realpolitik ». Les autorités françaises indiquent explicitement qu’elles souhaitent éviter « le glissement vers la délinquance de droit commun » des Italiens et éloigner « le risque de jeter certains asilés modérés mais "paumés" dans les bras des milieux terroristes ».

Contrat. Aucun des Italiens ne brisa le « contrat ». Aucun ne fut ni extradé ni expulsé, par aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche. Cette position institutionnelle fut liée tant à des exigences de paix civile qu’à une réflexion sur le chaos judiciaire italien de l’époque. Elle ne pourra pas être ignorée des juges français.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=204849