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Justice Vérité et justice pour Battisti

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

L’Humanité, 12 mai :

Après une campagne de déstabilisation de ses défenseurs en France, la demande d’extradition de l’écrivain est examinée aujourd’hui.

Aujourd’hui, Cesare Battisti saura enfin si la justice française revient sur ses propres décisions. Il y aura bientôt treize ans, le 29 mai 1991, elle déclarait l’ancien membre des Partisans armés pour le communisme non extradable. L’homme allait pouvoir mettre fin à une vie de proscrit, trouver un travail, se consacrer à l’écriture, vivre. C’était compter sans la vindicte de la droite française et italienne. En mai 2003, Dominique Perben, ministre de la Justice du gouvernement Raffarin, saisit la cour d’appel de Paris de trois demandes d’extradition émanant du gouvernement italien, demandes auxquelles elle refuse de donner suite. La question a, en effet, été tranchée et aucun élément nouveau n’est produit de nature à revenir sur cette affaire.

Une mobilisation sans précédent

Il en faut plus pour décourager le ministre : le 10 février 2004, les policiers de la direction nationale antiterroriste (DNAT) arrêtaient Cesare Battisti, au motif de menaces de mort proférées contre des voisins, et le plaçaient sous " écrou extraditionnel ". L’élite de la police antiterroriste pour une querelle de voisinage ? Une thèse vite réduite à néant. Sans vergogne, le ministre reprend alors la version de l’accusation italienne, à la veille même du jour de sa comparution. Entre-temps, une mobilisation sans précédent dans un tel cas se développe. Plus de vingt mille personnes signent une pétition proposée par quelques écrivains de romans policiers, regroupés autour de Claude Mesplède, des interventions se multiplient dans les médias. Le 3 mars, Battisti est remis en liberté, la question de l’extradition reportée au 7 avril.

Le 5 avril, la justice italienne transmet à Paris un dossier de 800 pages, et l’audience est une nouvelle fois repoussée, jusqu’aujourd’hui. Un rassemblement est programmé à 17 heures devant le Palais de Justice. Entre-temps, la justice italienne et la droite française se sont déchaînées. Leur objectif : jeter le trouble chez tous ceux qui ont soutenu Cesare Battisti, en leur faisant croire que leur bonne foi a été abusée, et qu’on les a conduits à soutenir un terroriste plus ou moins crapuleux, qui se pare de sa qualité d’écrivain pour échapper à un juste châtiment. Leur argumentation est triple.

D’abord, Battisti a bénéficié d’un procès équitable, en son absence certes, mais assisté d’un avocat. Ensuite, il n’aurait été qu’un petit malfrat reconverti dans le meurtre terroriste, et il ne saurait être question ni d’amnistie ni de prescription. Exit les " années de plomb ". Enfin, la question du droit d’asile, de la " parole donnée ", n’aurait aucune valeur juridique et ne saurait servir à protéger un malfaiteur légalement condamné.

Pour que la vérité soit dite

Complaisamment relayée par les médias, y compris par certains de ceux qui avaient fait écho à l’émotion soulevée par l’arrestation de l’écrivain, cette campagne a semé le trouble. À la place du ministre haineux se contredisant, de graves magistrats, des journalistes pondérés, nous disaient, en substance : " Chers amis français, nous comprenons votre réaction, bien conforme à vos traditions, mais Battisti n’est pas du tout l’idéaliste que vous croyez. C’est un criminel qui exploite votre naïveté. " Il a fallu, à coup de mises au point, contrer cette vague de désinformations. Ici même, nous avons publié les points de vue de Valerio Evangelisti et d’Erri De Luca.

Parmi celles et ceux qui ont le plus oeuvré pour que la vérité soit dite sur Cesare Battisti figure Fred Vargas (1). On sait que son talent de romancière se double d’une solide rigueur scientifique. Archéologue reconnue internationalement, elle a reçu de hautes distinctions pour ses travaux sur la peste. Dans un petit livre rouge, elle nous livre les matériaux pour comprendre à la fois l’histoire des " années de plomb " et le parcours de ceux qui cédèrent à la tentation de la violence, ainsi que le contexte italien contemporain. Textes, chronologies, nous permettent de comprendre. Un livre précis et engagé, utile pour savoir, argumenter, convaincre. Les matériaux d’une enquête comme les aiment les lecteurs de Fred Vargas. Il dépend d’eux que, là aussi, la vérité triomphe.

Alain Nicolas

(1) La Vérité sur l’affaire Battisti, textes et documents rassemblés par Fred Vargas, Éditions Viviane Hamy, 240 pages, 7 euros.

http://www.humanite.fr/journal/2004-05-12/2004-05-12-393526