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« Battisti ne pourra pas obtenir un nouveau procès en Italie »

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

La justice française examinait hier la demande d’extradition de l’écrivain.

Par Dominique SIMONNOT

jeudi 13 mai 2004

La robe noire de Me Giuseppe Pelazza s’orne d’une corde dorée, comme en Italie. Il est celui qui défendit Cesare Battisti devant la cour d’assises de Milan. En l’absence de son client, en cavale. Hier, l’écrivain italien, condamné dans son pays à la prison à perpétuité, comparaissait devant la chambre de l’instruction de Paris qui doit décider s’il sera extradé ou pas.

Contexte. Posté juste derrière Battisti, l’avocat italien a commencé par un rappel de l’histoire. Par ce qu’étaient les « procès politiques des années 80 », ceux des années de plomb. « Il ne faut pas, prévient-il, oublier ce contexte. Notre cour constitutionnelle a reconnu que des lois d’exception peuvent être promulguées dans des situations exceptionnellement graves ou anormales, mais elle a dit aussi que ces lois doivent être limitées dans le temps sous peine de perdre leur légitimité. » Or, poursuit l’avocat, ces lois ont perduré. Les procès et les condamnations prononcées à l’époque « étaient basés sur l’accumulation de témoignages de repentis, souvent contradictoires. Dans le cas Battisti, il n’y eut aucune communication entre lui et ses défenseurs, et il y eut, en son absence, trois versions différentes des faits données par les repentis. Or, l’absence de l’accusé rendant impossible tout contre-interrogatoire, il était impossible à l’avocat de reconstruire les faits. Et l’univers de ces procès s’est refermé sur les témoignages des repentis. »

Me Pelazza a aussi démoli les arguments de Sylvie Petit-Leclair, l’avocate générale favorable au retour de Battisti en Italie. Justement sur la contumace (jugement en l’absence de l’intéressé). A la différence de la France, la contumace en Italie ne donne pas droit à un nouveau procès. « Depuis 1999, avait assuré l’avocate générale, un condamné par contumace en Italie peut obtenir une voie de recours s’il démontre qu’il n’a pas pu se défendre correctement ou qu’il n’a pas été avisé des étapes de son procès. » Faux ! objecte le défenseur italien : « Le condamné par contumace n’a absolument aucune possibilité d’obtenir un nouveau procès. » Battisti ne pourra jamais, s’il est renvoyé en Italie, être rejugé de « manière normale », sous l’égide de « lois normales ». Rien que pour ça, l’extradition ne devrait pas être accordée, car le droit italien heurte un principe intangible du droit français : chacun a droit à un procès équitable où il est entendu et défendu.

En 1991, la justice française avait refusé l’extradition de Battisti. Il fallait donc un fait nouveau pour justifier une nouvelle demande de l’Italie. Sans quoi l’extradition violerait le principe du non bis in idem (nul ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits). Et, selon l’avocate générale, ce fait nouveau existe. C’est un arrêt de la cour d’assises de Milan de 1993 condamnant Battisti à la prison à vie. Me Pelazza la contredit à nouveau : « Cet arrêt ne fait que confirmer les précédentes condamnations, pas un mot n’est changé ! » Le président Norbert Gurtner et ses deux assesseures notent tout. « Nous vous remercions maître. »

Protestation. L’avocate générale avait aussi développé l’indispensable et nouvelle confiance instaurée par l’espace judiciaire européen : « Le mandat d’arrêt européen est la preuve de cette confiance entre les Etats membres », dit-elle. Seul hic, l’Italie a refusé de le ratifier, craignant que les ennuis judiciaires de Silvio Berlusconi n’entraînent un jour son arrestation au cours d’un déplacement européen. Sylvie Petit-Leclair avait conclu par ces phrases : « Cesare Battisti n’est pas ici depuis si longtemps, seulement depuis 1991, et si sa famille, ses enfants sont installés ici, la France n’est pas un pays qu’il adore particulièrement, je crois savoir que le Mexique est aussi son pays de prédilection ! S’il devait quitter la France, ce ne serait pas une atteinte insupportable au droit de vivre en famille au sens que protège la Convention européenne. »

L’audience avait débuté par une protestation très inhabituelle de l’Ordre des avocats de Paris contre l’ambassade d’Italie, accusée d’avoir diffamé les avocats de Battisti dans une note versée à la procédure. Et l’ancien bâtonnier de Paris, Paul-Albert Iweins, a été délégué pour dire son « émotion » : « On allègue que les avocats se sont comportés en complices de leur client pour tromper la cour lors de la procédure d’extradition en 1991, c’est totalement inexact et extrêmement grave. Les diplomates habituellement contrôlent leurs mots ! Je n’ai pas pour habitude de dire que tous les diplomates sont des espions, je trouve outrageant qu’une note laisse à penser que tous les avocats sont des escrocs ! » Les plaidoiries des avocats français ont débuté dans la soirée, et la cour s’est donné jusqu’au 30 juin pour réfléchir.