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Libertés. L’ "affaire Battisti" comme révélateur

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

La cour d’appel de Paris a examiné, hier après-midi, la demande d’extradition de l’ancien activiste italien Cesare Battisti, protégé jusqu’ici par la " parole donnée " en 1985.

Comment expliquer que, pendant quatorze ans, Cesare Battisti ait vécu en France sans provoquer de réaction particulière, qu’il ait été, à maintes reprises, réclamé par l’Italie, qu’en 1991, il ait déjà été menacé d’extradition en France sans que les opinions publiques, française comme italienne, s’y intéressent particulièrement, et qu’en 2004, une brusque émotion se cristallise autour de lui, autour de son cas ? Dans une des interventions publiées ces jours-ci à l’initiative de Fred Vargas, Quentin Deluermoz arpente en historien, avec recul et méthode, les terres remuées par l’" affaire Battisti " en Italie et en France. " On voit comment, progressivement, Cesare Battisti est devenu "Cesare Battisti", relève-t-il. Une figure qui ne s’appartient plus, qui renvoie à des enjeux et à des affects de plus en plus divers, pluriels et mêlés, constamment rappropriés par des groupes variés pour des logiques parfois similaires, parfois opposées, parfois décalées, et qui finalement donnent plus à lire d’eux que de l’histoire qu’ils récupèrent. À ce stade, les quelques éléments tangibles qui peuvent être dégagés sont inopérants, voire inutiles : ils ne comptent pas. "

De Battisti à " Battisti ", le récit médiatique, alimenté en sous-main par des trafiquants politiques ou judiciaires, a construit un " monstre ", comme l’a relevé dans nos colonnes l’écrivain italien Valerio Evangelisti (lire l’Humanité du 16 mars). En équilibre sur la ligne des Alpes entre l’Italie et la France, Quentin Deluermoz explore les logiques à l’ouvre et tente de lever les caricatures réciproques : les Italiens n’en peuvent plus de se voir dans un miroir les travestissant tous en " fascistes " ; parce qu’ils défendent la " parole donnée " par l’État aux militants italiens réfugiés qui déclaraient abandonner la lutte armée, les Français ne vivent pas hors sol, intoxiqués par le romantisme et ses " bouffées révolutionnaires ". Oui, à la fin des années de plomb, l’Italie a bel et bien mis en place une justice " spéciale ", " extra-ordinaire ", pour juger les activistes de la gauche " extra-parlementaire " : cela signifie qu’au cour d’un État démocratique, un espace judiciaire " d’exception " s’est ouvert. Mais aux yeux de Quentin Deluermoz, c’est parfaitement " compréhensible dans le cadre de l’époque et de la nécessité de sortir de ce conflit ". Dès lors, estime l’auteur, la véritable question est : " Si cette procédure judiciaire, inacceptable dans une situation de paix, se comprend dans le cadre d’une sortie de conflit insurrectionnel, pourquoi se prolonge-t-elle aujourd’hui ? Donc : pourquoi vouloir arrêter maintenant Cesare Battisti ? "

Pour l’historien, l’" affaire Battisti " permet à la droite italienne de " résoudre la présence nouvelle et insupportable du passé dans le présent ". " En faisant de Cesare Battisti le monstre des années de plomb et en demandant son extradition, Silvio Berlusconi et son gouvernement parviennent d’abord à forcer le regard sur le passé du côté de l’extrême gauche, faisant oublier l’extrême droite dont certains sont proches ; ensuite à réactualiser en même temps le mythe du danger rouge, dans une période de crise sociale et de regain de la gauche italienne (qui n’est pas rouge du tout) ; enfin à résoudre ce passé qui ne passe pas et ainsi à se poser, par un tour de passe-passe, en héros de la nation. " Mais dans ce " débat ", on le sait, la gauche italienne, en particulier les lointains héritiers du PCI devenus Démocrates de gauche (DS), joue une carte complémentaire à celle de Berlusconi, faisant croire pour qu’il y ait autant de hargne charriée "

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