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La défense de Battisti met à mal l’accusation.

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

Les défenseurs de Battisti réduisent à néant les arguments de l’accusation : le cas a bien été tranché en 1991, et l’accusé ne bénéficiera pas d’un nouveau procès.

Quand Cesare Battisti se présente à l’audience de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, mercredi, il est déjà dix-huit heures et la lassitude se lit sur le visage des magistrats comme du public. Ce qui suivra va réveiller tout le monde. L’écrivain porte sur lui les marques de l’angoisse dans laquelle on le fait vivre depuis que le ministre de la Justice français l’a fait arrêter, en février, au mépris de la parole donnée, respectée par les neuf gouvernements, de droite ou de gauche, qui se sont succédé depuis. Depuis treize ans, quand un arrêt avait rejeté les demandes d’extradition présentées par la justice italienne. Il vivait en paix, ayant tourné le dos à la violence des " années de plomb ", occupant le modeste emploi de gardien d’immeuble, et se consacrant à l’écriture de romans policiers estimés. Au-delà de l’émotion liée au cas personnel de Battisti, l’audience promettait aussi d’assister, en direct, à une attaque frontale contre les principes les plus fondamentaux du droit, les pratiques les plus constantes de la justice en France et dans tous les pays démocratiques.

Dans ses réquisitions, l’avocat général propose tout simplement d’abord de ne tenir aucun cas des décisions de la même cour d’appel française qui, en mai 1991, avait rejeté les demandes d’extradition italiennes. Certes, la demande d’aujourd’hui est basée sur les mêmes faits, mais s’appuie, juridiquement, sur des documents différents, et l’" autorité de la chose jugée " ne peut s’y appliquer. Par ailleurs, Battisti aurait été défendu par un avocat choisi par lui, et bénéficierait d’une possibilité de révision, la loi sur la " contumacia " italienne ayant évolué sur quelques aspects.

La défense n’aura aucune peine à réfuter point par point ces arguments, ainsi que des points plus techniques liés à la confusion des peines soulevés par le ministère public.

Auparavant, un représentant de l’Ordre des avocats, au nom du bâtonnier, vient faire solennellement état d’une protestation contre les allégations mensongères et injurieuses à l’égard de la défense contenues dans la note remise le 5 avril, la veille de la première audience, par les autorités italiennes. Allégations fondées, au surplus, sur la violation du secret de la correspondance entre un avocat et son client, atteinte manifeste aux droits de la défense. Il rappelle qu’une plainte est déposée par ses confrères. Au passage on aura appris que l’ambassade d’Italie, sans vergogne, vient de récidiver et de déposer une nouvelle note le 11 mai !

Après avoir souligné la " désinvolture " méprisante de la partie italienne, la défense, en la personne de Me Pellazza, avocat de Battisti, rétablit certains faits. Me Fuga, son ancien avocat, de la présence de qui se prévaut le gouvernement italien, n’assure plus sa défense depuis 1985, et aucun avocat n’était présent aux procès qui ont rendu définitive les condamnations de Battisti. Puis c’est le tour de Me Irène Terrel. En une plaidoirie puissante et solidement étayée, elle pilonne les thèses de l’avocat général. S’appuyant sur deux consultations de juristes réputés, dont le professeur Decaux, de Paris-II, spécialiste incontesté de l’extradition, elle rappelle qu’aux termes des lois, c’est l’identité des faits incriminés et non des documents, des " titres ", qui doit être examinée pour savoir si on doit recourir au principe immémorial " non bis in idem " qui fonde et l’autorité de la chose jugée. Citations à l’appui, elle démontre l’irrévocabilité de la décision de rejet de mai 1991. Elle aura au passage démonté une manipulation des autorités italiennes, qui avaient en effet pris soin de ne pas appuyer leur demande sur un jugement de prison à perpétuité pris par contumace et sans recours, car ils étaient certains d’être déboutés. Le fait de l’inclure dans les " éléments nouveaux ", loin de constituer un argument de plus, pousse au contraire au rejet. Me Terrel rappelle en effet que la loi française, les conventions internationales comme la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, sont constantes dans le rejet de toute peine de réclusion perpétuelle irréversible en l’absence de l’accusé. La cour écoute, attentive, notant les arguments qui s’enchaînent, implacables.

Après un démontage en règle du rôle crucial du seul repenti, lui-même identifié dans un premier temps comme un des meurtriers, et dont les déclarations chargent Battisti en proportion inverse de la gravité de ses peines, il ne restera à Me De Felice qu’à enfoncer le clou en plaidant, avec l’humanisme qu’on lui connaît, pour un jugement de paix civile, et pour dire sa confiance en la capacité de la justice française à ne pas se déjuger sous la pression politique. L’air circule enfin. Rendez-vous pris pour le 30 juin, où le jugement sera rendu.

http://www.humanite.fr/journal/2004-05-14/2004-05-14-393674