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L’Irlande replonge l’UE dans la crise mais 2008 n’est pas 2005

Publie le vendredi 13 juin 2008 par Open-Publishing
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L’Irlande replonge l’UE dans la crise mais 2008 n’est pas 2005

ven. juin 13, 2008 3:49 CEST

par Yves Clarisse

BRUXELLES (Reuters) - Le "non" irlandais au traité de Lisbonne replonge l’Union européenne dans une profonde crise institutionnelle, mais la décision des autres pays de poursuivre la ratification du texte change la donne par rapport à 2005.

Le vote de l’Irlande, le seul pays de l’UE où était organisé un référendum sur le traité, constitue une véritable catastrophe pour une construction européenne qui paie notamment la facture du mécontentement face à la dégradation de l’économie.

"Je suis effondré", a déclaré le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet. "Cela envoie un signal négatif dans le cadre d’une Europe en pleine reconstruction sur le plan institutionnel."

Antonio Missiroli, directeur de centre de réflexion European Policy Centre (EPC), insiste lui aussi sur la gravité du moment.

"Cela déclenche une crise politique en Europe qui requiert une direction forte en Irlande, à Bruxelles et ailleurs en Europe", a-t-il estimé. "Plus vite on agira, plus il est possible que la crise puisse être traitée et peut-être résolue."

Il y a tout d’abord le fait qu’il s’agit du troisième "non" au même texte, puisque le traité de Lisbonne reprend pour l’essentiel les éléments du projet de Constitution européenne déjà rejeté par la France et les Pays-Bas au printemps 2005.

Or, après les deux pays fondateurs de la Communauté européenne, l’Irlande n’est pas n’importe quel Etat membre.

Depuis leur adhésion en 1973, les Irlandais ont bénéficié de la plus grande injection de fonds européens par habitant, transformant un pays qui, lors de son adhésion en 1973, était le plus pauvre de l’UE, avec un PIB qui s’élevait à 69% à peine de la moyenne communautaire, en une nation prospère.

L’Irlande est devenue le deuxième pays le plus riche de l’Union après le Luxembourg, avec un PIB par habitant qui s’élève désormais à 146% de la moyenne communautaire.

En outre, contrairement au Royaume-Uni, par exemple, aucune grande formation politique n’est eurosceptique.

PAS DE SOLUTION ÉVIDENTE

Le pays est au coeur des coopérations européennes en étant par exemple membre de l’euro, même si sa neutralité et son insularité l’ont incité à renoncer à la politique de défense et à l’accord Schengen de libre circulation.

Il n’y a donc pas de sortie de secours évidente.

Dans le cas de la France et des Pays-Bas, le "non" de 2005 a incité les dirigeants de ces pays à expliquer à leur opinion publique que le traité simplifié ne justifiait pas un nouveau référendum et l’on est passé par la voie parlementaire.

Impossible en Irlande, où le référendum est une obligation constitutionnelle et les diplomates européens soulignent que ce pays a déjà obtenu en 2001, après son rejet du traité de Nice, et dans les négociations pour le traité de Lisbonne toutes les dérogations qu’il réclamait, notamment sur la défense.

"On a mis trois ans à élaborer un plan B. Il n’y a tout simplement pas de plan B au plan B", a expliqué une source gouvernementale française de haut niveau.

Les répercussions sur la bonne marche de l’Union seront extrêmement importantes, puisque le malaise qui saisit les opinions publiques par rapport à l’Europe et qui est confirmé par de nombreux sondages d’opinion est plus que jamais patent.

"ÇA VA TANGUER MONSTRUEUSEMENT"

"On ne peut pas envoyer paître le seul pays qui a permis à ses citoyens de se prononcer directement, même si la coalition du ’non’ était hétéroclite et a agité des craintes totalement infondées", a expliqué un diplomate de haut niveau.

"Cela aura un profond retentissement en France, le camp du ’non’ va se réveiller", a-t-il prédit. "Ça va monstrueusement tanguer. Le spleen va gagner l’Europe. Le non irlandais est finalement pire que le non français."

Cela fait dix ans que l’UE consacre l’essentiel de son énergie à sortir de ses problèmes institutionnels et le "non" irlandais l’oblige à replonger les mains dans le cambouis sans aucune garantie de faire pouvoir faire redémarrer le moteur.

Or, l’Union n’a plus de temps pour l’introspection : le fléchissement de l’économie et la lutte contre le changement climatique obligent les dirigeants européens à réagir vite.

La France, qui s’apprête à assumer la présidence de l’UE à partir du 1er juillet prochain, affiche un certain flegme.

"Les priorités restent", affirme Jouyet en évoquant le pacte sur l’immigration, l’Europe de la défense, la réduction des émissions de CO2 et la réforme de la Politique agricole commune.

Mais comment imaginer parler défense ou Europe verte avec un pays où le débat a précisément porté sur ces points ?

POURSUITE DES RATIFICATIONS

Comment nouer sans cacophonie un accord de partenariat avec la Russie et continuer à négocier avec les pays candidats à l’adhésion alors que le traité devait adapter les institutions précisément pour faire face à une UE comptant plus de 30 pays ?

Le président stable du Conseil européen, le "ministre" des Affaires étrangères de l’UE, la généralisation du vote à la majorité qualifiée : tout cela passe en effet à la trappe.

"C’est une tragédie, parce que les problèmes que le traité devait résoudre subsistent", a regretté le député européen Andrew Duff, une libéral-démocrate britannique.

Mais il y a une différence de taille par rapport à 2005.

A l’époque, malgré les appels à poursuivre le processus de ratification, nombre de pays, dont le Royaume-Uni, la Pologne ou la république tchèque avaient arrêté le mouvement.

Aujourd’hui, tous les Etats membres sont décidés à aller de l’avant et à rejoindre les 18 pays qui ont déjà ratifié.

C’est notamment vrai pour le premier ministre britannique Gordon Brown, qui a fait savoir à ses partenaires européens qu’il ne jouerait pas une partition discordante.

Les "Vingt-Six" vont donc demander au Premier ministre irlandais Brian Cowen, lors du Conseil européen des 19 et 20 juin, de trouver une solution au problème créé par son pays.

Un second référendum peut-il être organisé en Irlande ? Quels sont les changements - forcément cosmétiques - qui lui permettraient de le remporter ? Quel est le calendrier, même si l’on sait déjà qu’il sera impossible de faire entrer le traité en vigueur à la date prévue du 1er janvier 2009 ?

Pour les autorités françaises, de toute manière, le poids de 26 Etats membres sur 27 permettra d’éviter l’arrêt du train en gare, ce qui laisse entrevoir la naissance d’une Europe à deux vitesses si l’Irlande ne parvient pas à monter à bord.

"Il faut poursuivre les politiques communes qui sont les nôtres", a estimé Jean-Pierre Jouyet. "Nous verrons ceux qui sont en mesure de nous suivre dans cette voie."

 http://today.reuters.fr/news/NewsAr...

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