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EDF doit-elle être privatisée ?

Publie le samedi 22 mai 2004 par Open-Publishing
3 commentaires

Pour beaucoup de sympathisants et militants de gauche, la cause est entendue : EDF doit rester une entreprise publique. Pour sauvegarder l’emploi, pour assurer le contrôle stratégique de l’énergie par l’Etat, pour maintenir la qualité de l’exploitation et de la maintenance des infrastructures, pour garantir le maillage du territoire et le service public égal pour tous.

Toutes ces raisons sont bien sûr tout à fait honorables, voire primordiales pour certaines.

Regardons maintenant une autre réalité de la société EDF : cette entreprise est une forteresse moyen-âgeuse en état de siège.

Car s’il existe un modèle d’entreprise féodale - dans le sens de l’organisation en strates sociales et hiérarchiques parfaitement cloisonnées et immuables, liées par des relations de vassalité - , c’est bien cette entreprise qui en est le plus parfait exemple.

Au sommet, on trouve les représentants du cénacle des Grandes Ecoles.

En bas de l’échelle socio-professionnelle, la base est parfaitement encadrée par des syndicats ayant prêté allégeance à leur suzerain élyséen en retour de quoi celui-ci leur garantit la protection sociale et salariale.

Après tout, dira-t-on, qu’il y a-t-il de si choquant ? Cela n’est-il pas le cas de toute entreprise publique ?

Certes.

Sauf quand une entreprise publique atteint une situation de puissance financière, stratégique et politique telle qu’elle devient un véritable contre-pouvoir, dépourvu de toute garantie démocratique et échappant à tout contrôle possible par l’ensemble des citoyens.

Il existe idéalement trois pouvoirs dans notre démocratie : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. On doit en ajouter un quatrième : la presse et les médias en général. L’avènement de la Vème République a considérablement renforcé le pouvoir exécutif par l’instauration d’une quasi-monarchie présidentielle, et le développement des médias modernes a hypertrophié le rôle du quatrième pouvoir. Ces quatre pôles du pouvoir sont interdépendants et tendent à se mêler, l’exécutif utilisant les médias pour établir la communication gouvernementale à l’adresse des citoyens, et les médias ayant de plus en plus le pouvoir de faire et défaire l’exécutif à l’occasion des échéances électorales.

Le tenant du pouvoir législatif, le parlement ou Assemblée Nationale, n’est dans notre pays pas grand-chose de plus que le pendant partisan de l’exécutif et la salle d’attente de l’opposition désirant reprendre les rênes du gouvernement, et n’a guère de pouvoir réel, tandis que le judiciaire est soumis à l’autorité gouvernementale et se voit régulièrement la cible de campagnes médiatiques visant à affaiblir son influence et sa crédibilité.

Malgré les imperfections du système, il existe cependant un équilibre plus ou moins stable des pouvoirs - et surtout des outils qui permettent théoriquement aux citoyens d’effectuer un minimum de contrôle des institutions : l’exécutif est dépendant des électeurs, et les médias subissent la contrainte des consommateurs. Par sa simple volonté et un effort d’information et de formation, le citoyen/électeur/consommateur est en mesure de savoir dans les grandes lignes ce qu’il se trame au-dessus de lui et peut - toujours en théorie - peser sur les évènements. Le plus grand problème de nos démocraties ne repose pas tant sur les imperfections du système que sur le manque de connaissances des enjeux politiques et de culture politique et sociale de la part des électeurs potentiels. Ce qui conduit d’une part à l’abstention massive, d’autre part à la reconduction aux affaires de formations politiques discréditées, souvent incompétentes, et régies plus par la collusion d’intérêts personnels que par l’intérêt général.

Revenons à notre entreprise modèle, EDF.

Modèle de quoi ? Modèle de la transposition républicaine des modes de fonctionnement hérités de la féodalité et de l’armée.

Si un tel modèle est générateur d’excellence et de « génie », il est également un formidable outil conservateur. En effet, si les concours et la promotion internes facilitent l’ascension professionnelle de la base, celle-ci est toutefois limitée et encadrée, et les postes de direction restent aux mains de personnes issues du sérail. L’ascenseur social ne conduit pas jusqu’aux derniers étages, il s’arrête aux paliers intermédiaires, quand la vapeur brûlante venue des caves s’est tant dissipée et refroidie qu’elle en est devenue inopérante.

Mais, remarquera-t-on, c’est le cas de la quasi-totalité des entreprises, privées ou publiques, non ?

Oui. Mais ces dernières ne sont pas forcément présentées comme un paradis social. Paradis qui ne concerne de fait qu’une minorité de travailleurs.

Et elles n’exercent pas une pression politique suffisante à contrer les actions de l’exécutif. Que penser quand des choix nationaux cruciaux, comme la sortie ou le maintien du nucléaire, dépendent de négociations officieuses entre gouvernement et syndicats corporatistes ? Que penser d’une entreprise tentaculaire qui a les moyens stratégiques de priver quiconque d’énergie n’importe où sur le territoire, quartier par quartier, immeuble par immeuble ? Que penser d’une structure qui devient un véritable Etat dans l’Etat, avec ses élites issues des plus grandes écoles de la République, qui négocient la paix sociale dans l’ombre avec des syndicats disposant d’une puissance financière sans équivalent ? Que penser des ramifications de cette entreprise avec des partis politiques et des syndicats sans réelle assise populaire ou légitimité dans l’ensemble de la population ?

S’il est important de préserver le secteur de l’énergie de la cupidité des spéculateurs, il est tout aussi important de faire évoluer une telle structure anti-démocratique et autoritaire vers une organisation transparente et ouverte au contrôle par les citoyens.

Oui, les grands monopoles d’Etat, machines bureaucratiques opaques et lieux de toutes les compromissions et tractations corporatistes, devraient être réformés, non sur le mode du libéralisme et de la loi de la jungle, mais sur le principe de l’autogestion par les citoyens qui en sont les financiers et les principaux bénéficiaires.

A quand des véritables élections démocratiques dans les grandes entreprises publiques, à quand le contrôle réel des outils de service public par le citoyen ?

Messages

  • la base est parfaitement encadrée par des syndicats

    Mais alors pourquoi la base vote t-elle pour ces syndicats ?

    Bonne synthése de tout ce qu’ on peut entendre sur EDF pour arriver à ... l’ auto-gestion ! EDF n’ en ait pas encore là, c’ est certain. Peut-être parce que la société n’ en ai pas encore là ! Et je fais parti de ceux qui auraient bien voulu entrer à EDF. Et même si cette entreprise qui ne pratique pas l’ auto-gestion. . . .

    Car même encore maintenant, quoique de moins en moins, cette entreprise est encore bien plus " humaine" que bien des autres. Et je souhaite que tous les salariés puissent bénéficier des même acquis que les agent d’ EDF. EDF est à nous, c’ est à nous d’ agir en conséquence. La base encadrée par les syndicats ? C’ est nous cette base. Nous sommes tous plus ou moins bien encadrés.