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LES LIMITES DE L’ALTERMONDIALISATION

Publie le dimanche 30 mai 2004 par Open-Publishing
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par Patrick MIGNARD

Après plusieurs années d’apparition dans ce que l’on peut appeler le « débat public » ou le « mouvement social », il est temps de tirer des leçons de cette expérience… ce qui commence à se faire, timidement, dans les milieux concernés. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui s’y sont impliqué-e-s, beaucoup également ont pris leurs distances (j’en suis), d’autres continuent à y venir.

Ce texte est personnel et ne représenté que l’opinion de son auteur qui n’appartient à aucune organisation… ce qui ne l’empêche pas d’être « actif ».

FONDEMENTS ET GLISSEMENTS THEORIQUES

L’altermondialisation, qui s’est à l’origine appelée l’antimondialisation, a débutée par une prise de conscience. Son origine date (1997) de la révélation, à l’échelle internationale, par internet et des organes de presse de la négociation secrète dans le cadre de l’OCDE de l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement). Cet « Accord » avait pour objectif d’accorder les plus grandes facilités aux entreprises multinationales et transnationales en matière d’investissement dans tous les pays, et de brider les législations locales qui auraient pu entraver leurs intérêts. Le tollé qui s’en est suivi à eu deux conséquences : l’abandon de l’AMI et le lancement du mouvement altermondialisation. Ce fut, il faut le reconnaître un tournant capital dans le processus de prise de conscience de ce qu’est la mondialisation.

Je passe sur les tentatives de récupérations plus ou moins grossières des organisations politiques, quoique celles-ci ne soient pas étrangères aux dérives théoriques dont je vais parler.

En effet, doit-on parler de « mondialisation marchande » ou de « mondialisation libérale ». Nous avons vu dans l’article précédent (LES AMBIGUITES DE L’ALTERMONDIALISATION) que ces deux notions sont totalement différentes, n’ont pas le même sens et n’impliquent pas les mêmes choses. Or, et il suffit de prendre les principaux textes et déclarations des « leaders » du mouvement pour voir qu’il s’agit essentiellement de lutter contre la « mondialisation libérale » ou « mondialisation néo-libérale »… ce qui peut paraître curieux puisque parallèlement on dit que « Le monde n’est pas une marchandise ». Alors pourquoi ne pas contester et lutter contre la « mondialisation marchande » ? La question mérite d’être soulevée.

En fait, celles et ceux qui prétendent diriger ce « mouvement » sont beaucoup moins radicaux qu’ils ne le disent et qu’ils n’apparaissent. Leur objectif est une « régulation de la mondialisation », autrement dit on laisse les principes du système marchand, tels qu’ils sont et on les module, on les adoucis… bref, on les rend plus supportables. On fait finalement au niveau mondial ce que les interventionnistes et les keynésiens ont fait au niveau national. Ainsi le mot d’ordre « Le monde n’est pas une marchandise » devient un pur produit médiatique mais sans contenu réel, et à fortiori sans projet politique… uniquement destiné à décorer des T shirt.

C’est ce qui explique qu’ils se retrouvent parfaitement sur le même terrain politico économique que certains politiciens, de droite comme de gauche qui finalement ne sont pas hostiles à une régulation qui pourrait apaiser les conflits à venir.(on a bien vu tous ces gens se promener sans état d’âme à Porto Alègre… et même trouver que c’était intéressant ! Ben voyons !).

Conclusion de tout cela : le mouvement altermondialiste, n’est pas, sur un plan de la conception, de l’analyse, de la réflexion ce qu’il prêtant être. Et quand il dit « Un autre monde est possible », il a toutes les peines du monde à en esquisser les contours… et pour cause…Là aussi on en reste au slogan « publicitaire ».

UN LOBBY ALTERMONDIALISTE

Sans vouloir entrer dans une polémique, il faut bien constater, ce qui explique les dérives précédentes, l’existence d’un « lobby » altermondialiste, c’est-à-dire un groupe de personnes, généralement parisiennes, pour quelques unes sous-marins d’organisations politiques ou de médias qui ont mis la main sur le mouvement et dispose au niveau national et international des moyens et du monopole de l’expression. Elles ont effectivement joué un rôle important quant à l’émergence du mouvement mais elles l’ont rapidement confisqué. Habilement certes, laissant aux « locaux » une liberté qui ne les gène pas, mais tenant fermement les commandes nationales. La dernière tentative de mise au pas, l’été dernier, en dit long sur le verrouillage et le contrôle exercé sur le mouvement. Heureusement ce mouvement n’est pas homogène et son contrôle total n’est pas possible, mais l’existence de ce groupe freine considérablement toute avancée dans la réflexion… et on va le voir dans l’élaboration d’une pratique politique. Ce qui est grave c’est que l’illusion joue à plein. Multiplier les commissions, les formations, se jeter à corps perdu dans des forums, des marches, des colloques, des rencontres puis recommencer les forums,…..et tenir le devant des médias, donne une extraordinaire illusion de l’efficacité… Or, le mouvement à tendance à s’essouffler, pour une raison simple : après avoir foncé pendant cinq ans dans des pratiques et démonstrations, somme toutes traditionnelles, le manque de perspectives concrètes et politiques apparaissent… et c’est logique. Autrement dit la nécessaire mutation du mouvement se pose ou va se poser.

LA NON RECHERCHE PRATIQUE

Là est le point nodal du problème. Que faire ? La réponse à cette question renvoie au premier point : comment poser le problème ? Or, nous l’avons vu, la manière dont est posé le problème est loin de permettre un dépassement de la situation actuelle, tout au plus un aménagement.. mais le veut-on vraiment ?. Mais il y a, je pense, encore plus grave, c’est toute l’interrogation sur la problématique, la logique, les conditions du changement. En effet, « changement dans l’Histoire », signifie, changement de rapports de production, et donc de rapports sociaux et prise de relais par de nouveaux rapports de production.

Cette question n’est en fait jamais examinée. En dehors de réunions, formation, rencontres, forums, traditionnels… il n’y a aucune réflexion et à fortiori pratique dans la mise en place de nouveaux rapports sociaux. « Un autre monde est possible », OK, mais lequel ? Comment dépasser le monde actuel ? Quelles pratiques à mettre en place ? Qui ? Non seulement aucune réponse n’est apportée, mais les questions ne sont même pas posées. Les expériences alternatives qui existent en France, en Europe et dans le monde, si elles sont présentées avec sympathie, ne sont jamais intégrées dans une réflexion stratégique ayant pour objectif de penser et de construire ce « nouveau monde ». Quel sens peut avoir une réflexion politique alternative qui n’intègre pas les pratiques alternatives ?

Nous sommes là effectivement aux limites de l’altermondialisation actuelle. Si cette problématique est juste, l’altermondialisme actuel est loin d’être opérationnel en tant que mouvement en vue d’un changement. Encore faut-il, bien entendu s’entendre, sur la nature de ce changement et donc la volonté politique qui l’exprime. Toute la question est là aujourd’hui. Il faudra bien y répondre.

Messages

  • mon avis est que consciemment ou non, ce mouvement est une soupape de sécurité de la société capitaliste, qui permet donc de faire tomber l’exaspération d’une grande partie via un cadre qui se dit
    de l’autre bord. Les ras le bol sont donc canalisés et toute velléité de révolte ainsi calmée voire éteinte par le fait de se croire entendu et par des discours où la solution ne viendrait que d’ "un aménagement du système" . Ce n’est qu’un humble avis mais il n’est sûrement pas complètement erroné...