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Les mythes économiques

Publie le jeudi 10 juin 2004 par Open-Publishing


de Patrick MIGNARD

Au Moyen Age, lorsqu’on voulait justifier et faire accepter leur situation à celles et ceux qui étaient les victimes du système politique et économique dominant, on leur expliquait deux choses. La première c’est que c’était la « volonté de Dieu ». La seconde c’est que « dans une vie future, après la mort, ils atteindraient la félicité et ce, en proportion de leur humilité et de leur obéissance ici bas » ; et ça a marché pendant quelques siècles. Aujourd’hui, Dieu et le Paradis ne sont plus au hit parade des croyances il a fallu trouver autre chose.

DE LA VOLONTE DE DIEU AU GENIE DE L’HOMME

Le « Siècle de Lumières » à largement laïcisé l’activité des hommes, et par voie de conséquence les systèmes économiques et politiques qui depuis ont vu le jour. Dieu n’est plus le socle essentiel sur lequel se fonde l’édifice social, politique et économique, il n’est plus qu’un sous produit de l’angoisse métaphysique qui tourmente chaque être humain qui n’a pas pris la mesure de la dimension de son génie. La « révolution marchande » qui a, peu à peu, (du 12e au 18e siècle) miné le substrat idéologique du Moyen Age à remplacé la crainte de Dieu, par le stress des affaires. Le commerçant, quand il se lève le matin n’est pas obsédé par Dieu ou le Diable, mais par la réussite ou la faillite de son commerce. La « révolution industrielle » a parachevé cette oeuvre. Désormais le mot d’ordre n’est plus le Paradis, mais le Progrès et dans le cas où lon garde tout de même (sait-on jamais !) le premier, l’un ne pouvant aller sans l’autre.

Ainsi du milieu du 19e siècle jusqu’à loin dans le 20e, le Progrès a été de toutes les aventures idéologiques humaines même l’Eglise, pourtant si réticente, et on le comprend, a été obligée de se mettre à la page.

Reprenant la même rhétorique, mais cette fois en plus laïque, les nouveaux prêtres de l’économie de marché ont réussi à convaincre la multitude que leur génération sacrifiée, par le travail, servirait aux générations suivantes. C’est le même discours que le système soviétique a d’ailleurs servi à ses exploités on connaît la suite. Le Paradis n’était désormais plus au Ciel (surtout qu’avec la naissance de l’aviation, le doute s’installait), mais dans le Futur affirmation moins risquée.

Progrès scientifique, progrès économique et progrès social constituaient le triumvirat de la réussite et du bonheur. En douter était comme au Moyen Age douter de l’existence de Dieu une sorte de pensée hérétique.

Pourtant au bout de quelques années le doute s’est installé. La condition ouvrière, la colonisation, les guerres entre pays riches, le chômage, la misère ont miné la confiance du peuple pourtant compensée par les progrès spectaculaires dans la communication, les transports, la médecine. Mais le bonheur est-il un équilibre entre la douleur et la jouissance ?

Aujourd’hui, avec le recul de l’Histoire le doute n’est plus permis, du moins pour les plus lucides : le génie de l’homme, dont le progrès technique est une manifestation, n’a pas rendu l’humanité, plus heureuse, plus juste, plus harmonieuse. Laccroissement incessant des inégalités et la destruction massive de l’environnement fait croire même au contraire. Alors ?

Alors, on a tout simplement inventé de nouveau mythes.

LES NOUVEAUX MYTHES

La particularité de ces nouveaux mythes est d’être plus modestes, moins voyants et, disons le mot, plus pédagogiques, en ce sens qu’ils justifient, plus qu’ils n’exaltent, qu’ils se placent plus dans le système qu’ils ne le transcendent.

Le « fordisme », (du nom de Ford, le constructeur automobile) pur produit de lindustrie américaine en pleine croissance qui avec la plus grande assurance affirme au début du 20e siècle que le système économique, dont il est le chantre, apportera prospérité et bonheur universel il donne à voir aux sceptiques son propre fonctionnement : en augmentant le salaire de ses ouvriers, il leur permet d’acheter ses propres voitures. Ca a marché un temps mais on n’a pas pu en tirer une règle générale l’Histoire l’a montré. (Nous reviendrons sur ce paradoxe dans un autre article).

Ainsi en est-il de la « participation » qui a pour faculté de briser la barrière entre les possesseurs du capital et celles et ceux qui nont que leur force de travail pour vivre, pratique qui va du simple « intéressement » à la production, jusqu’à la possession de parts du capital (actions) par les salariés. Expérience mainte fois répétée dans les pays développés, mais elle non plus n’est cependant pas venue à bout des contradictions d’un système essentiellement basé sur le calcul économique et l’instrumentalisation des individus. Quand s’est inéluctablement développée la mondialisation marchande, quand la concurrence acharnée entre vieux pays développés au riche passé social et les jeunes pays aux coûts de production ridiculement bas est devenu essentielle, quand les salaires ont pu être comparés au niveau mondial, les « apparences » ont volé en éclats, et la participation, au même titre que les « acquis sociaux », autre mythe, ont disparus, ou tendent à disparaître.

Le « développement durable » : c’est le mythe à la mode aujourdhui en passe de supplanter celui de « la croissance » (sur lequel nous reviendrons dans un autre article), censé allier les exigences et les contraintes de la production marchande avec le respect de l’environnement. Devant le désastre écologique provoqué par la course aux matières premières, au gaspillage affolant de l’énergie, au déchaînement sans limite de la production de nuisances, alliée à une course effrénée à la baisse des coûts de production, il a fallu apaiser les craintes montantes d’une population qui, a trop consommer, craint de mourir étouffée par ses propres déchets. Le docte discours économique va donc concilier ce qui est parfaitement irréconciliable : le calcul marchand et l’équilibre de la nature, car les gestionnaires du système ont compris que la vérité est incomparablement moins importante que ce à quoi les gens croient, ou soient prêt à croire, pourvu que leurs intérêts immédiats sont préservés.

La « modernité », vieux mythe ravalé, qui a lintérêt déchapper à des explications économiques qui savèrent finalement erronées (voir les précédent mythes). La modernité n’a pas à se démontrer ou à se justifier elle s’impose. Mais attention, la modernité ne porte que sur l’apparence, pas sur l’essentiel : par exemple il est « moderne » de virer des salariés en surnombre, de supprimer le salaire minimum, ou de liquider le service public, mais il est épouvantablement incorrect de remettre en question l’appropriation privée du profit qui est pourtant une pratique qui n’a rien de très moderne puisque datant, dans le système, du 19e siècle. La aussi, concernant la modernité, tout est sur les apparences, le clinquant, le pseudo novateur et autre « miroir aux alouettes ». On ne dira plus « patrons », mais « entrepreneur », on ne dira plus « chômeur », mais « demandeur d’emploi » ou « bénéficiaire de plan social », on ne dira plus salarié, mais opérateur. Le chic étant dailleurs de remplacer le français par l’anglais qui comme chacun sait est une langue tout ce qu’il y a de moderne.

Le système marchand a produit, et produit, des mythes qui permettent de faire accepter à tout un chacun une réalité quil ne comprend pas mais qu’il sent plus ou moins hostile. Servies par des moyens de communications d’une puissance sans égal dans l’histoire humaine, s’imposent des images totalement fabriquées par des spécialistes politiques de la mystification.