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Voter est un droit, mais est-ce véritablement un devoir ?

Publie le dimanche 20 juin 2004 par Open-Publishing
9 commentaires

de Patrick MIGNARD

Que le droit de vote soit un progrès par rapport aux autres pratiques politiques, c’est une évidence. Que le système de la représentation politique soit une nécessité dans une société organisée, c’est également difficilement contestable. Pourquoi, en dépit de ces « évidences » une telle méfiance a fini par naître entre les citoyens et « la » politique ? Pour une raison apparemment fort simple : l’élection est incapable de répondre aux grands problèmes de notre société. Il a fallu du temps pour faire ce constat, mais aujourd’hui il est en passe d’être établi et compris par un très grand nombre, sinon par la majorité.

Le discours politique sur le « changement », véritable « tarte à la crème » de toutes les campagnes électorales, ne passe plus… par ce que le citoyen sait qu’il est faux… De là à en conclure que celles et ceux qui le tiennent sont des mystificateurs, à défaut d’être des imbéciles (ce qu’ils ne sont pas), il n’y a qu’un pas qui aujourd’hui est franchi.

L’insistance des politiques à vouloir nous faire croire « qu’ils ont la solution » et les pratiques mafieuses et crapuleuses de certains,… agrémentés d’une impunité d’autant plus assurée que la place dans l’appareil de l’Etat est élevée, ont fini par jeter le discrédit sur l’ensemble de la « classe politique » et donc sur le système qui lui assure l’accession au pouvoir.

Une telle « dérive » de la conscience citoyenne est évidemment insupportable pour celles et ceux qui ont en charge le fonctionnement du système. Il leur faut absolument sauver l’illusion d’un consensus populaire, et quoi de mieux comme consensus que la « participation à l’élection ». Gauche et Droite réunies n’ont qu’une seule obsession : « que le peuple participe à l’élection », cette participation sera l’expression, la concrétisation de l’adhésion du citoyen au système qui le gruge, de son allégeance au système… et on pourra toujours lui répliquer que « les politiques menées ne sont finalement que l’expression de sa volonté »… bloquant ainsi toute contestation dangereuse. Pour celles et ceux qui n’ont pas compris, on procède par culpabilisation avec l’argument classique : « Des femmes et des hommes sont morts pour le droit de vote »… comme si ces femmes et ces hommes s’étaient battus pour que l’élection devienne la mascarade qu’elle est aujourd’hui ! Cautionner une telle chose n’est ce pas les tuer une deuxième fois ?

Certes, Droite et Gauche préfèrent chacune voir ses propres membres accéder et occuper le pouvoir pour bénéficier de ses privilèges, mais le principal danger est tout de même cette suspicion citoyenne qui se généralise et dont l’expression est l’abstention, c’est dire un nouveau phénomène politique qui est la remise en question de la comédie électorale qui nous est régulièrement jouée. Droite et Gauche se satisfont parfaitement d’une « alternance politique » qu’elles nous présentent comme la quintessence du fonctionnement démocratique… le problème pour elles c’est que les citoyens y croient, eux, de moins en moins.

Pour combattre cette tendance du « rejet de la politique », en fait « des politiques et de leurs pratiques », tout ce joli monde fait assaut de « civisme », voire de « morale civique », expliquant doctement et avec le plus grand sérieux que la « participation est un acte citoyen » et que celle ou celui qui ne vote pas est, bien entendu, un « mauvais citoyen »… l’abstentionniste n’est qu’un « pêcheur à la ligne »(?) de surcroît « irresponsable »…

Si à une époque, l’abstentionnisme était, encore que, réductible à la nonchalance, à l’irresponsabilité ou la paresse civique, aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas. La montée vertigineuse des taux d’abstention n’a plus rien à voir avec la « pratique de la pêche à la ligne » et dénote au contraire l’émergence d’un phénomène politique qui prend de l’ampleur pour des raisons beaucoup plus graves.

Si le droit de vote demeure aux yeux de toutes et tous un droit, on n’est plus bien certain qu’il constitue encore un devoir. En effet, à la question « Doit-on aller voter ? », on ne peut pas ne pas accoler la question « Pour quoi faire ? » Or, nous l’avons vu, la réponse à cette dernière question est tout à fait problématique.

« Voter » pour simplement « voter » n’a aucun sens… ou bien alors, il s’agit d’entretenir l’illusion symbolique, la croyance en une utilité politique de choix et de changement… qui n’existent pas. A la limite, et c’est ce vers quoi nous allons, voter dans ces conditions, c’est-à-dire prendre systématiquement les gens pour des imbéciles dans ce qui devrait constituer un acte essentiel de la vie citoyenne, c’est ouvrir la voie à des démagogues dont on sait ce que ça peut donner… rappelez vous la république de Weimar !

Ce n’est donc pas un hasard si, aujourd’hui, nous assistons à une véritable offensive pour faire participer aux élections… c’est la meilleure manière pour faire que rien ne change.

Ce n’est pas non plus un hasard si les taux d’abstention sont minorés et si les calculs de pourcentages obtenus par les candidats sont calculés et diffusés par rapport aux « scrutins exprimés ». Refaites les calculs par rapports aux « inscrits » et vous vous rendrez compte que les « élus » sont des « nains politiques » !

Ce n’est pas non plus un hasard si les candidats aux élections, véritables ectoplasmes de la pensée politique, se vendent en utilisant les méthodes du marketing en valorisant leur image, ou celle de leur conjoint-e, ou chanteur/sportif préféré…

Ce n’est pas un hasard si, même s’ils « ne pêchent pas à la ligne », nombre de citoyens éviteront de faire la queue devant une urne, comme on fait la queue devant un boulangerie par temps de pénurie, pour déposer un bulletin qui a perdu tout son sens.

Enfin, ce n’est pas un hasard si régulièrement se repose le problème de savoir si l’on doit rendre le vote obligatoire… ce qui aurait l’avantage de pouvoir officialiser et légitimer l’escroquerie qu’est devenu l’élection.

Messages

  • Débat vieux... comme la démocratie !

    En France, légalement, le droite de vote n’est pas un devoir.

    En Belgique il est obligatoire, ce qui n’empêche pas 5 à 10 % d’abstention.

  • Bien contente de lire de temps en temps quelqu’un qui amène des arguments de fond,
    mais, Patrick, sais-tu que ce site a un coût, financé par des bénévoles, que ceux-ci appellent au secours pour les aider à tenir ?

    Plus le laïus est long, plus la facture s’alourdit :))

    Et voilà encore une difficulté à résoudre : tout le monde a le droit de s’exprimer ici
    mais qui paie ???Rien n’est gratuit en ce bas monde.

    C’est comme pour les élections, tout le monde peut se présenter, mais il faut trouver
    le pognon pour la campagne....

    Une extérieure au collectif, qui admire son boulot, qui participe financièrment à la mesure de ses petits moyens ; et qui aimerait être certaine qu’il y en a suffisamment d’autres...rien que pour pouvoir continuer à te lire .

    JB

  • Effectivement, ca ressemble de plus en plus a une mascarade !!! Mais avant la revolution, est il possible de se poser la question du moins pire ....
    Peut on finalement etre d’accord avec les fait que la politique ne fait rien bouger ??? Les 35 heures sont plus proche du cerceuil que de la nurserie, la retraite s’eloigne de plus en plus, la secu part en couille (plus pour les pauvres que pour les autres)
    Bref pleinde petits delices que nous subissons, et que nous supporterons encore pendant au moins trois ans ... Ne pas voter a mené Le Pen a second tour des presidentielles, est il vraiement plus un pantin que les autres, est il aussi innofensif ?!?!

    Meme si en face la politique menée n’est peut etre pas glorieuse, en attendant la revolution, je pense quand même que la politique du moins pire, n’est pas la plus stupide ... Viola, je ne millite pour personne, je suis pas super impliqué, je serais peut etre pas en premiere ligne pour la revolution, mais je represente peut etre une partie non negligeable de gens ... Ou peut etre n’ai je rien compris !

  • Bonjour "tout le monde" (o :

    J’ai été agréablement surpris de lire ce texte dont je partage le point de vue , il m’a fait penser à une ’Lettre ouverte aux représentants autoproclamés’ , écrite par un ami, sur son site http://www.etre-humain.net , lettre que je vous encourage à aller lire...!
    En voici l’introduction :
    "Ma nationalité est française. Régulièrement, on essaie de me faire croire que je vis dans une démocratie évoluée. Ceci est bien loin d’être mon avis. Le fait est que je vis dans une oligarchie. Et mon opinion sur cette oligarchie est que, loin d’être avancée, elle est plutôt primitive. ..."

    Vivement que les êtres humains se réveillent !

    Vincent

    • D’accord avec cet article, MAIS :

      on peut très bien exprimer son désaccord en allant voter blanc ou nul ; c’est fondamentalement différent de l’abstention !

    • Mais le résultat est le même : le système reste en place. Mollet jadis, Miterrand naguère n’ont fait que discréditer la gauche en général et le parti socialiste en particulier. Le Pen est-il autre chose qu’un épouvantail ?

  • Cette realité met en evidence un des manques de la republique pour pretendre à une democratie tel que la raison l’idealise.
    On peut egalement parler de la possibilité pour une ideologie de type identitaire d’acceder à une representation politique : la republique peut suicider la societé.

    La Veme republique s’inscrit dans l’histoire et l’oligarchie qu’elle contient suit aux systemes politiques d’apres revolution.

    Aussi une question revient : n’est-il pas temps que la philosophie politique reprenne la place que la science politique lui a volé ? en d’autres mots, que l’histoire et le savoir fassent front au tout fonctionnel amnesique.