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Guantanamo n’est qu’une pièce d’un dispositif mondial

Publie le lundi 21 juin 2004 par Open-Publishing

"Le monde secret des prisons US"

source : http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article=1315

Le gouvernement des États-Unis, en coordination avec ses principaux alliés, a mis en place en réseau "invisible" de prisons et de centres de détention où des milliers de suspects ont disparu sans laisser de traces depuis le début de la "guerre contre le terrorisme".

Jason Burke dresse une cartographie d’un réseau mondial clandestin de prisons où plus de 3.000 membres soupçonnés d’Al Qaeda sont détenus sans procès - et où beaucoup sont torturés - depuis le 11 septembre.

The Observer - 13 Juin 2004
Jason Burke

Le gouvernement des États-Unis, en coordination avec ses principaux alliés, a mis en place en réseau "invisible" de prisons et de centres de détention où des milliers de suspects ont disparu sans laisser de traces depuis le début de la "guerre contre le terrorisme".

Au cours des trois dernières années, des milliers de militants suspectés ont été transférés à travers le monde par des services de sécurité états-uniennes, arabes et sud-est asiatiques, souvent au cours d’opérations secrètes qui outre-passent les lois d’extradition. Cet incroyable trafic a vu de nombreuses personnes, dont des citoyens britanniques, expédiées par l’occident vers des pays où ils peuvent être torturés pour les faire parler. Toute information est ensuite communiquée aux États-Unis et, dans certains cas, les services de renseignements britanniques.

La révélation de l’existence de ce système occulte fera monter la pression sur l’administration Bush pour son approche "cavalière" des droits de l’homme et va gêner Tony Blair, un solide allié du Président George Bush.

La pratiques des "remises" - lorsque des suspects sont remis directement entre les mains d’un autre état sans passer par une procédure légale - ont déclenché une vague de colère. Au moins 70 "remises" ont été effectuées, selon des sources à la CIA. Dans de nombreux cas, ces remises concernaient des hommes qui avaient été libérés par les tribunaux et donc considérés comme légalement innocents. Les Remises sont souvent utilisées par les interrogateurs états-uniens lorsqu’ils pensent qu’un traitement sévère - interdit dans leur propre pays - pourraient donner quelques résultats.

L’Observer a eu connaissance des détails de deux incidents au cours desquels des hommes avaient été détenus par les États-Unis malgré l’innocence prononcée par les tribunaux de leur propre pays. Dans un cas, un homme d’affaires britannique nommé Wahab al-Rami, un Irakien habitant au Royaume-Uni et un Palestinien cherchant l’asile ont été arrêtés par des officiers états-uniens et locaux en Gambie au mois de novembre 2002 à leur descente d’un avion en provenance de Londres.

Leur arrestation, résultat d’une information transmise par les services de sécurité britanniques - survint quelques jours seulement après leur arrestation par la police britannique qui les soupçonnait de terrorisme. Ils avaient été libérés par un tribunal britannique.

Les deux furent ensuite transférés à Guantanamo - ils y sont toujours - en dehors de toute procédure juridique. Au cours d’un autre incident, deux turques, un saoudien, un kenyan et un soudanais furent arrêtés au Malawi au mois de juin 2003. Ils étaient soupçonnés de financer des réseaux terroristes. Libérés par les tribunaux locaux, ces hommes furent remis à la CIA et enfermés pendant plusieurs mois. Les observateurs affirment que ces incidents ne représentent que le "sommet d’un iceberg".

Peu réussissent à sortir du réseau fantôme des centres de détention, qui vont de grands camps de détention comme à Guantanamo à des navires de guerres dans l’Océan Indien. Les témoignages sur le nouveau goulag sont donc rares.

Une de ces histoires concerne un Canadien d’origine syrienne, Mahr Arar, arrêté par les autorités états-uniennes à la fin de 2002 au cours d’une escale à New-York, et soupçonné d’activités terroristes.

Après plusieurs jours d’interrogatoires, le spécialiste en informatique de 34 ans fut expédié par la CIA à la Jordanie et remis entre les mains des services de sécurité locales. Il fut régulièrement battu en Jordanie avant d’être expédié en Syrie, où il fut enfermé en isolement dans une cellule de 2m sur 1m pendant plusieurs mois et régulièrement battu avec des câbles. Il fut libéré et blanchi de toutes les accusations. Arar a déclaré la semaine dernière qu’il "tentait de refaire sa vie". "Je n’avais rien fait qui aurait pu me rendre suspect. Je n’arrivais pas à croire qu’ils allaient me renvoyer en Syrie," dit-il. "Il m’ont renvoyé pour me faire torturer."

Le réseau fantôme de prisons s’étend sur toute la planète. Les plus grandes centres gérés par les États-Unis sont la base aérienne de Bagram, au nord de Kaboul en Afghanistan, Guantanamo, où environ 400 hommes sont détenus, et en Irak, où des dizaines de milliers sont détenus. Saddam Hussein et des dizaines de hauts officiels du Parti Baas sont emprisonnés dans l’aéroport de Bagdad.

Cependant, Washington compte énormément sur ses alliés. Au Maroc, de nombreux détenus qui étaient entre les mains des États-Unis ont été transférés au centre d’interrogation d’al-Tamara situé à quelques kilomètres de la capitale, Rabat. De nombreux détenus avaient été initialement arrêtés par les autorités pakistanaises qui les ont remis aux états-uniens.

Parmi eux se trouve Andallah Tabarak, un militant soupçonné d’avoir été le garde du corps d’Oussama Ben Laden et arrêté fin 2001 par les pakistanais. Tabarak fut remis aux agents états-uniens, envoyé à Bagram puis à Guantanamo, avant de partir pour le Maroc. Au mois de Novembre dernier, Amnesty International a critiqué "l’augmentation brutale" de la torture en 2003 dans les prisons marocaines.

En Syrie, les prisonniers envoyés par Washington sont enfermés dans ’l’aile Palestinienne" du QG des services secrets et dans différents prisons à Damas et dans d’autres villes. L’Égypte a aussi reçu un flot continu de militants en provenance des centres états-uniens. De nombreux autres militants ont été envoyés en Égypte par d’autres pays avec l’assistance des États-Unis, souvent dans des avions appartenant à la CIA.

Au Caire, les prisonniers sont dans un centre d’interrogatoire de la directoire générale du renseignement à Lazoughli et dans la prison al-Mazra, selon Montasser al-Zayat, un avocat islamiste au Caire et ancien porte-parole de groupes militants interdits.

Des terroristes ont été aussi expédiés vers des sites à Bakou, Azerbaïdjan, et vers des sites non-identifiés en Thaïlande. On pense qu’ils sont nombreux aussi sur une base aérienne US dans le Qatar, et un grand nombre auraient été envoyés en Arabie Saoudite où des agents de la CIA sont autorisés à assister aux interrogatoires. Ailleurs, les officiels de la sécurité se contentent de transmettre des informations à la CIA.

On ne connaît pas le sort des prisonniers importants - comme ceux directement liés aux attentats du 11 septembre ou d’autres attaques d’Al Qaeda, ou des proches de Ben Laden. Abu Zubaydah, un Palestinien expert en logistique, fut arrêté après une fusillade à Faisalabad, Pakistan, en mars 2002, par une équipe mixte de forces spéciales pakistano-étasuniennes.

Après un bref interrogatoire, Abu Zubayda fut remis aux états-uniens, qui l’ont emmené à Bagram et on pense qu’il a ensuite été transféré en Jordanie, où il est emprisonné, avec plusieurs autres prisonniers importants, dans les prisons de la capitale, Amman, et dans des sites situés dans le désert à l’est du pays. Les enquêteurs jordaniens sont considérés comme des "professionnels" par les services de renseignement occidentaux, bien que le pays ait souvent fait l’objet de critiques au sujet des droits de l’homme.

Khaled Sheikh Mohammed et Ramzi bin al-Shibh, qui ont participé aux préparatifs des attentats du 11 septembre, ont aussi été remis aux états-uniens peu après leur capture par les forces de sécurité pakistanaises en septembre 2002 et mars 2003. On pense qu’ils sont interrogés en Thaïlande.

On ne connaît pas le lieu de détention de Riduan Isamuddin, militant indonésien surnommé le "ben laden de l’asie du sud-est", qui fut remis aux états-uniens après son arrestation par les forces de sécurité thaïlandaises au mois d’aout dernier. Jabarah Mohamed Mansur, soupçonné d’être impliqué dans les attentats contres les ambassades des États-Unis et d’Israël à Singapour, est apparemment interrogé dans l’état d’Oman.

Ce qui parait clair c’est que les états-uniens sont prêts à tout pour capturer les suspects et les placer dans des environnements où on pourra leur arracher le plus d’informations possibles le plus rapidement possible.

Au mois de mars 2003, des agents du FBI ont enlevé un suspect d’origine yéménite d’un hôpital à Mogadiscio, où il était soigné pour des blessures par balles. Deux mois auparavant, une opération sophistiquée, montée sous la forme d’une fausse activité de charité, attira en Allemagne le yéménite âgé de 54 ans, où il fût arrêté et extradé vers les États-Unis. Pour attraper Mohammed Iqbal Madni, soupçonné d’appartenance à Al Qaeda, en Indonésie, les enquêteurs US ont fait appel aux systèmes juridiques de trois états pour trouver une excuse pour cueillir le pakistanais de 24 ans. Il l’ont ensuite expédié au Caire dans un avion privé affrété par les Etats-Unis.

Le nombre exact de prisonniers détenus par les états-uniens et leurs alliés est inconnu, mais les officiels US affirment que plus de 3000 militants d’Al Qaeda ont été arrêtés depuis le 11 septembre. Environ 350 sont sur la base de Guantanamo. Très peu ont été libérés.

L’incarcération dans des prisons au Moyen-Orient de prisonniers capturés par les états-uniens ont provoqué la colère des militants. Abu Musab al-Zarqawi, le dirigeant terroriste d’origine jordanienne en activité en Irak, a déclaré au mois d’avril que les prisons de son pays natal était devenus des "guantanamos arabes".

"Chaque fois que les américains ont du mal à interroger quelqu’un au Pakistan ou Afghanistan, ils le transfèrent en Jordanie, où il sera torturé de toutes les manières possibles" a-t-il dit.

Les officiels états-uniens n’ont pas d’états d’âme. "On de fait d’omelette sans casser d’oeufs" a déclaré l’un d’eux la semaine dernière. "Le monde est un endroit cruel".

Et Cofer Black, à l’époque dirigeant de centre anti-terroriste de la CIA, a déclaré l’année dernière que "il y a un avant le 11 septembre, et un après le 11 septembre. Après le 11 septembre, on a retiré les gants".

Mais la semaine dernière, d’anciens officiers des services de renseignement ont critiqué cette tactique. Milton Beardan, après trente ans de carrière au sein de la CIA jusqu’en 1994, a dit que l’usage de la force ne marchait pas.

"Vous obtenez toutes sortes de confessions qui se révèlent être complètement fausses," dit-il. "Et sous-traiter la torture à quelqu’un d’autre est aussi mauvais que de le faire soi-même".

Wahab al-Rawi, dont le frère est détenu à Guantanamo, a dit qu’il était en colère contre les gouvernements britanniques et états-uniens.

"je veux juste savoir jusqu’où mon gouvernement est capable de céder devant les américains. A qui ces gens doivent-ils rendre des comptes ? Je demande seulement que Dieu les punisse, parce qu’il n’y a aucun pouvoir sur terre qui semble pouvoir les effrayer."

Traduction, CSP

Illustration : Yves OLRY