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Faire émerger la vérité Cesare Battisti

Publie le samedi 26 juin 2004 par Open-Publishing

Dans une semaine, la justice dira si Cesare Battisti doit, sans avoir été entendu par un juge, finir sa vie en prison. Fred Vargas revient sur une vérité qu’on essaie d’étouffer.

Fred Vargas, dont le dernier roman, Sous le vent de Neptune, connaît un succès qui ne se dément pas, a pris fait et cause pour l’écrivain Cesare Battisti, menacé d’extradition par le gouvernement français. Devant la contre-offensive qui visait à disqualifier les dizaines de milliers de Français qui exigeaient le respect de la parole donnée et du droit, elle a décidé de permettre à chacun de disposer des faits et du contexte de l’affaire. Son livre, intitulé la Vérité sur l’affaire Battisti (1), démonte les rouages du processus inquisitorial dont les racines remontent au véritable complot dont l’Italie a été l’enjeu dans les " années de plomb ". Malgré la haine dont elle est l’objet de la part de ceux pour qui la persécution doit être éternelle, elle persiste et signe.

Pourquoi avez-vous décidé de publier ce livre ?

Fred Vargas. Précisément parce qu’après une phase de mobilisation très intense, une contre-offensive s’est développée pour bloquer la protestation et la solidarité. Une première campagne avait été le fait de la droite et du gouvernement, en particulier du ministre de la Justice Perben. Elle n’a pas eu beaucoup d’effet parce qu’elle reposait sur des mensonges tellement évidents, de pressions sur la justice tellement grossières, qu’elle était très largement contre-productive. Ainsi, il y avait eu des versions différentes de son arrestation, passant d’une simple histoire de voisinage à un danger terroriste. De la même manière, de fausses informations avaient été diffusées par le ministre lui-même sur la possibilité d’un nouveau procès en Italie. Après la remise en liberté de Battisti, le 3 février, les choses se sont passées autrement.

Comment se caractérise cette deuxième phase ?

Fred Vargas. Par une autre forme de mensonge : la désinformation, l’amalgame. Ainsi, on va d’abord diaboliser Battisti. On va systématiquement employer le terme de " terroriste ", ce qui dans l’atmosphère de l’" après 11 septembre ", prend un sens tout à fait particulier. D’autre part, il faut occulter deux points : la caricature judiciaire que constitue sa condamnation, et le scandale, plus grand encore, de la procédure de contumace italienne, où aucun nouveau procès n’est possible. Aussi par ses objectifs. Ainsi, prenant le relais d’un véritable lynchage médiatique dans la presse italienne, une grande partie de la presse française va se livrer à un pilonnage en règle. Comme je l’indique dans mon livre, " après ses hauts débuts placés au plan moral et politique, le Monde s’effondra et opéra une brusque volte-face. À partir du 15 mars, semblant abandonner morale, droit et honneur, il entama une vraie campagne pour l’extradition " (2). Il s’agit de montrer à l’opinion publique française qu’elle a été induite en erreur. On donne la parole à Spataro, présenté comme simple " magistrat ", parlant de " témoins fiables " sans dire qu’il représentait l’accusation au procès Battisti et ne peut, c’est évident, que le juger " équitable ", sans rappeler qu’il fut un des principaux protagonistes de l’application des lois d’exception. On publie partout la photo du jeune Alberto Torregiani, hémiplégique en fauteuil, en le présentant comme la victime de Battisti. Or il a été atteint d’une balle tirée par son père au cours de la fusillade où celui-ci a été tué, et à laquelle, selon le ministère public lui-même, Battisti ne participait pas. Bref, il s’agit de faire de Battisti un monstre et de la justice italienne une justice comme les autres.

Sur quoi s’appuie cette campagne ?

Fred Vargas. Son principal ressort est la crainte de l’opinion publique française, surtout de gauche, de se faire manipuler. L’essentiel de l’argumentation tient en ceci : " Chers amis français, nous admirons votre générosité, mais vous vous trompez de cause. Battisti est vraiment un tueur, un terroriste condamné à raison et à la suite d’une procédure régulière. Il doit payer pour ses crimes. " Elle est d’autant plus pernicieuse qu’elle émane de milieux du " centre-gauche ", de la DS, qui par ailleurs s’opposent à Berlusconi. C’est elle qui est martelée partout, et qui a entravé gravement la mobilisation. C’est une intimidation qui s’apparente aux méthodes de l’Inquisition.

Quel est le propos du livre, dans ces conditions ?

Fred Vargas. Si je peux me prévaloir de mon expérience d’archéologue, c’est surtout pour la méthode : dégager la pollution pour faire émerger la vérité, et mettre en évidence, pour chaque élément, le contexte. Ainsi je me suis attachée à montrer ce qu’on a appelé " la stratégie de la tension ", la série d’attentats et d’assassinats perpétrés de 1969 à 1982 par l’extrême droite avec la complicité du gouvernement italien et de la CIA, voire de la Maffia, pour endiguer l’avancée électorale de la gauche. On passe cela systématiquement sous silence, ainsi que la passivité de la police et des services spéciaux et le traitement de faveur contre ceux qui ont quand même été pris.

Quels sont les principaux faits que vous aimeriez voir établis ?

Fred Vargas. D’abord le fait que les charges qui pèsent contre Battisti ne sont pas prouvées, établies par un jugement contradictoire et régulier. Les accusations d’assassinat, qui lui ont valu la perpétuité, ne sont étayées que par le témoignage d’un unique " repenti ", Pietro Mutti, qui de procès en procès le charge en échange de la liberté. On sait qu’Amnesty International a condamné toutes les lois d’exception de la période, et d’ailleurs les accusés de l’attentat d’extrême droite de la Piazza Fontana en 1969, qui fit 16 morts, ont été tout récemment acquittés au motif que l’accusation ne reposait que sur des témoignages de " repentis ". Il y a donc des repentis à géométrie variable selon l’appartenance politique de l’accusé !

D’autre part, Battisti n’a jamais été un des dirigeants des PAC : il était un des plus jeunes membres, simple militant, et à son arrestation n’a été condamné que pour " appartenance " aux PAC. C’est après son évasion, en son absence, qu’on commence à tout lui faire endosser. En fait, on voit bien le processus qui en fait le bouc émissaire idéal.

Enfin, on sait (3) que les conditions juridiques de l’extradition ne sont pas réunies.

Que peut-on faire, maintenant ? Quel est votre rôle dans le soutien ?

Fred Vargas. Il faut montrer que la manoeuvre a échoué. Que l’opinion française n’est pas dupe. On sait que, depuis ce livre, l’argumentation des " pro-extradition " recule. La solidarité connaîtra un moment fort avec la soirée que nous organisons, avec l’aide de Lio, samedi soir. Moi, dans cette affaire, je suis un petit hobbitt, parti en guerre contre le pouvoir et les grands médias, et, à leur grande fureur, les gens sont plutôt du côté des petits hobbitts.

Propos recueillis par Alain Nicolas

(1) La Vérité sur Cesare Battisti, textes et documents rassemblés par Fred Vargas. Éditions Viviane Hamy, 240 pages, 7 euros.

(2) Op. cit. p. 140.

(3) Voir la tribune de Me Terrel et de Me Felice dans l’Humanité du 17 juin 2004.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-06-26/2004-06-26-396171