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"BHL" mise sur la raison, Moustaki sur le coeur pour défendre Cesare Battisti

Publie le mardi 29 juin 2004 par Open-Publishing

de Ariane Chemin

Des artistes et écrivains ont soutenu le réfugié italien, samedi à Paris, avant que la cour d’appel de Paris se prononce, mercredi, sur son extradition.
Il y avait beaucoup d’invités, mais seuls deux d’entre eux ont vraiment fait de la politique. Au Théâtre de l’Œuvre, à Paris, samedi 26 juin, pour soutenir l’ancien activiste de l’extrême gauche italienne Cesare Battisti, qui saura mercredi s’il sera ou non extradé de France vers l’Italie, Bernard-Henri Lévy et Georges Moustaki ont réveillé une salle gentiment seventies, réplique de ces années fanées où toute la gauche se retrouvait.

Bien sûr, l’écrivain de polars Fred Vargas, Lio, la chanteuse et comédienne, et Jacques Bravo (PS), le maire du 9e arrondissement, ont rappelé que des militants et des élus UMP avaient pris parti pour l’ancien dirigeant du Mouvement des prolétaires armés pour le communisme (PAC).

Julien Dray, soutien de la première heure - comme les plus mitterrandistes de son parti -, a expliqué qu’en l’absence de François Hollande il fallait, "au nom du PS", défendre "l’honneur de la République". Mais la soirée a surtout attiré d’ex-militants communistes ou de l’extrême gauche. Et BHL - qui, "pour être là ce soir, a annulé un rendez-vous important aux Etats-Unis", a expliqué Fred Vargas - n’avait pas envie de flatter la salle. Il l’a bousculée de ses libertés de penser.

Si le philosophe s’est engagé aux côtés des écrivains Philippe Sollers ou Dan Franck, ce n’est pas pour défendre une "parole donnée" en 1985 : "Le vieux libertaire qui sommeille en moi n’idolâtre pas l’Etat à ce point." Pas question non plus, a-t-il expliqué en se démarquant de l’historien Pierre Vidal-Naquet, de veiller sur la "doctrine Mitterrand" comme sur un texte sacré : "Il lui est arrivé sur des points au moins aussi sensibles de faire preuve de sa faillibilité."

L’auteur de L’Idéologie françaisene veut pas en outre qu’on imagine qu’il a "la moindre indulgence ou nostalgie, cela va sans dire, pour le terrorisme, la lutte armée ou même le radicalisme politique". Enfin, contrairement à Guy Bedos qui l’a précédé sur scène, BHL n’est pas "certain de l’innocence de Cesare Battisti". Les responsables parisiens du PCF ont rentré les derniers leurs épaules lorsque M. Lévy a réclamé un "Livre noir des années de plomb, comme il y a eu le Livre noir du communisme".

LA MARQUE DE LOIS D’EXCEPTION

Si BHL était là, c’est parce qu’il "croit que les juges risquent, s’ils se prononcent pour le "oui", de commettre une terrible injustice". L’intellectuel s’est replongé dans le procès de 1993. M. Battisti est réclamé par l’Italie pour deux peines de réclusion criminelle à perpétuité prononcées par contumace par la cour d’assises de Milan. Il s’étonne qu’on condamne sur la foi d’un seul témoin - qui plus est, un "repenti".

"Les juges français prennent-ils conscience de la monstruosité de la peine capitale par contumace -infligée- par une justice qui, s’il se livrait, lui interdirait d’être rejugé ? Il filerait à la case prison à vie, sans recours et sans merci. Je ne suis pas en train, comme le dit la presse italienne, de donner des leçons à l’Italie. Il faut seulement que les juges français sachent que dans le système pénal italien (...), il y a encore la marque de lois d’exception, spéciales ou peut-être scélérates (...) et que Cesare Battisti serait extradé mercredi dans un pays où le président du Conseil n’est pas tout à fait n’importe quel chef de gouvernement. C’est un homme qui se soustrait aux juges avec d’autres moyens que Cesare Battisti", a-t-il ajouté sans citer Silvio Berlusconi.

La salle a enfin applaudi BHL lorsqu’il a réclamé une amnistie générale en Italie : "Le monde change. Vingt ans, c’est beaucoup", a conclu le philosophe. Il a laissé la place à Georges Moustaki, venu directement de l’aéroport. Il a emprunté gentiment, sans rechigner, la guitare de Dominique Grange qui a notamment dédié sa chanson "droit d’asile" - écrite pour les réfugiés italiens - à leurs compagnes, à leurs compagnons et à leurs enfants. Il a chanté d’abord en italien, puis, sous les vivats, sans la nommer, a parlé enfin de la "révolution permanente". Il a terminé avec Bella Ciao. Et le théâtre tout entier, un peu sonné par le parler vrai de BHL-la-raison, a bissé le Moustaki-de-son-cœur.

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