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Cesare Battisti : la fin du calvaire ?

Publie le mercredi 30 juin 2004 par Open-Publishing

de Alain Nicolas

La cour d’appel de Paris rend aujourd’hui son arrêt sur la demande d’extradition de l’écrivain, qu’elle avait déjà rejetée en 1994.

Cesare Battisti va-t-il enfin pouvoir vivre ? Vivre libre, en paix en France, comme le droit et la justice l’y avaient autorisé, avant que l’incroyable acharnement politico-judiciaire dont il a été la cible depuis le 10 février ne vienne remettre en cause les plus élémentaires de ses droits.

Depuis 1991, le droit de l’ancien membre des Prolétaires armés pour le communisme (PAC) de vivre en France avait été reconnu par la Cour de cassation, qui avait, par deux arrêts, refusé son extradition. Ayant pris sans ambiguïté ses distances avec un passé de militant d’extrême gauche marqué par la " guerre civile larvée " qui avait déchiré l’Italie de 1969 à 1982, il était en outre justiciable de ce qu’on a appelé la " doctrine Mitterrand ", qui accordait explicitement un droit d’asile à ceux qui, ayant rompu avec la " machine infernale ", s’engageaient à sortir de la clandestinité, à ne pas avoir d’activités politiques en France, sous le contrôle de la police. Une parole donnée qui n’était pas un caprice de président faisant joujou avec ses pouvoirs régaliens, mais, comme le note Jean-Pierre Mignard, un des avocats qui en avait était un des négociateurs, un acte politique fondamental, " un protocole de reddition " (1), une contribution à la fin des " années de plomb " qui d’ailleurs n’avait en rien dégradé les relations franco-italiennes. Une jurisprudence qui, alternance ou pas, n’avait jamais été remise en cause par les gouvernements qui s’étaient succédé.

Sous cette double protection, Cesare Battisti avait rebâti une vie, fondé une famille. Il était devenu écrivain, ce qui ne suffisait pas à la nourrir, et vivait de son travail de gardien d’immeuble. Un homme tranquille, qui se trouve soudain au céur de la tourmente, et dont la vie peut du jour au lendemain se trouver détruite. Cesare Battisti avait été condamné en 1981 à douze ans de prison pour appartenance aux PAC, sans qu’aucun fait délictueux lui soit personnellement imputé. C’est en vertu des lois d’exception votées entre 1974 et 1982 que cette condamnation fut obtenue. Arrêté en 1979, il s’évade en 1981 et quitte l’Italie. Le fugitif devient alors un bouc émissaire tout trouvé. Pièce par pièce, on charge son dossier. Un, deux, trois, quatre meurtres lui sont collés sur le dos, plus une quarantaine de braquages. En fait, " c’est la totalité des faits reprochés aux PAC " qui lui est attribuée. Pour réussir ce tour de force, alors qu’aucun témoin ne l’a reconnu, qu’aucun indice ne l’accable, la justice italienne a recours à cet " instrument juridique nouveau ", le " repenti " (2). Il s’en trouve un, Pietro Mutti, prêt à dire tout ce qu’on voudra pour forger un coupable sur mesures. Ancien fondateur des PAC, qu’il a quittées après leur dissolution, il avait rejoint le groupe armé Prima Linea. Il risque gros, et va devenir, de témoignage en témoignage, de réduction de peine en réduction de peine, la pièce maîtresse de l’accusation. Par l’effet de ce curieux principe des vases communicants judiciaires, son cas s’allège à mesure que celui de Battisti s’alourdit. Aujourd’hui, il est libre et Battisti condamné à deux peines de prison à perpétuité.

Perpétuité qu’il risque fort de purger, en vertu d’une " particularité " du droit pénal italien, datant de Mussolini, qui veut qu’une peine prononcée par " contumacia " soit définitive, et ne donne pas lieu à un procès contradictoire si le condamné est d’une manière ou d’une autre à la disposition de la justice. Ce principe, maintes fois rappelé, est à la source de plusieurs condamnations de l’Italie par Ammnesty Intenational. Il est l’une des bases du refus d’extradition opposé jusqu’ici par la justice française.

Jusqu’ici : depuis septembre 2001, au nom de la lutte contre le terrorisme, une " nouvelle doctrine " est mise en place par les gouvernements français et italiens. Côté italien, il est tentant de trouver une question qui réconcilie les milieux judiciaires et le gouvernement Berlusconi. Côté français, on sait que la sécurité est un des fonds de commerce de la droite au pouvoir, avec les surenchères justice-intérieur particulièrement fortes à l’époque du passage de Sarkozy à Beauvau. Le cas Battisti est idéal, et qu’importe que quelques jours avant son arrestation il ait été informé de sa prochaine naturalisation. Quelques mois auparavant, en août 2002, Paolo Persichetti avait été extradé sans grande émotion. Mais la machine se grippe grâce à la vigilance des amis de l’écrivain. La réalité du dossier risque d’exploser à la figure des manipulateurs : une parole d’État donnée puis reniée, une accusation qui ne tient que sur un repenti, un procès irréversible où l’accusé n’a jamais été entendu en personne. Pour couronner le tout, un énorme affront aux règles fondamentales du droit : la remise en cause de l’autorité de la chose jugée. Pour les mêmes faits, sans aucun élément matériel nouveau, une fois l’extradition refusée, par deux arrêts de 1991, le ministère demande à la même cour de prononcer le contraire de ce qu’elle avait jugée, et ce treize ans plus tard (3).

Pour toutes ces raisons, la mobilisation est, d’emblée, massive : plusieurs milliers de pétitions sont signées en quelques jours, qui obtiennent la remise en liberté provisoire de Cesare Battisti. Une contre-attaque, relayée par la presse française, a particulièrement ciblé les milieux de gauche français, visant à diaboliser le " terroriste " et à banaliser la justice d’exception italienne. Mais les initiatives de soutien telles que la soirée du 26 juin ont montré les limites de cette tentative d’intimidation. La justice est en éveil, et l’opinion ne dort pas. Cette journée devrait être celle de la fin du calvaire judiciaire d’un homme, celle de l’honneur de la justice.

Alain Nicolas

(1) Entretien à Libération in la Vérité sur Cesare Battisti, coll. dir Fred Vargas, ed. Viviane Hamy.

(2) Des témoins si peu fiables que les auteurs de l’attentat de la Piazza Fontana ont été remis en liberté pour cette raison. Il est vrai qu’ils étaient d’extrême droite.

(3) Voir la tribune juridique de MM Terrel et de Felice, avocats, dans l’Humanité du 17 juin 2004, avec les consultations des plus grands spécialistes français de ces points de droit.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-06-30/2004-06-30-396373