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Cesare Battisti : Jean-Pierre Mignard, avocat, rappelle que la doctrine Mitterrand...

Publie le vendredi 2 juillet 2004 par Open-Publishing

Battisti. Jean-Pierre Mignard, avocat, rappelle que la doctrine Mitterrand est devenue la politique de la France : « La République s’est engagée depuis 1981 »

Par Dominique SIMONNOT

Maître Jean-Pierre Mignard est l’un des avocats qui ont, en 1981, fait partie du groupe de travail constitué de conseillers du chef de l’Etat, de conseillers ministériels, de policiers de haut grade et de magistrats, pour régler le cas des « réfugiés italiens ». Ils ont abouti à ce qui fut appelé la « doctrine Mitterrand », la promesse de tranquillité, en France, aux anciens activistes ayant « rompu avec la machine infernale ».

Comment analysez-vous l’avis « favorable » à l’extradition de Battisti rendu hier ?

Je constate qu’aucun fait nouveau n’a été produit par la justice italienne, susceptible de modifier l’opinion des juges français sur la réalité des faits reprochés à Battisti. Seul un jugement s’est substitué à une information judiciaire. Et Battisti n’a pas participé à ce jugement, il a été jugé en son absence.

Justement, les juges français valident la contumace à l’italienne, qui ne laisse pas de recours au condamné...

Considérer que l’absence de l’accusé n’est pas un élément suffisant pour démontrer qu’un procès est inéquitable me semble très surprenant. Il y a là une conception réductrice de la Convention européenne des droits de l’homme sur le procès équitable. Je suis très étonné par la motivation de la cour, qui admet la procédure italienne de contumace. C’est-à-dire qu’une personne peut être condamnée définitivement hors sa présence, puis privée de toute voie de recours. Or, la loi française, conforme à la Convention européenne, exige la présence physique de l’accusé pour que le verdict soit définitif. Elle exige que le « contumax » soit rejugé. Le raisonnement de la chambre de l’instruction est, à mon avis, une forme de sophisme. Il me semble que les juges n’ont pas apprécié combien leur mission de garde des libertés leur commandait d’émettre des réserves sur la contumace à l’italienne. Au lieu de cela, ils se sont fixés sur un standard minimal des droits de l’homme. Bien en dessous de ce qu’est la définition légale française du procès équitable.

Que pensez-vous de l’appréciation des juges français sur la « doctrine Mitterrand » ?

Formellement, la chambre de l’instruction a raison en invoquant la séparation des pouvoirs, les juges ne sont pas tenus par la politique française suivie depuis 1981 pour les réfugiés italiens. Mais cette politique est improprement appelée « doctrine Mitterrand », même si elle a été mise en oeuvre après l’élection de François Mitterrand. Il s’agit d’une politique de l’Etat, qui a engagé la République, plusieurs ministres, les services de la justice, de la police, sous les gouvernements Mauroy, Fabius, Chirac, Rocard, Cresson, Bérégovoy, Balladur, Juppé, Jospin. Soit deux présidents de la République, trois septennats et neuf Premiers ministres. Comment définir autrement une politique de l’Etat, quand on sait qu’elle s’est appliquée pendant vingt-trois ans ? La parole donnée, la confiance faite par les avocats dans les services de l’Etat justifient que cette politique soit totalement maintenue.

Comment analysez-vous cette nouvelle attitude de la France ?

Si l’Italie avait fait de ce problème une question centrale avec la France, les relations entre les deux pays n’en auraient-elles pas pâti durant ces vingt-trois ans ? Il n’en a rien été ! Les gouvernements italiens n’ont jamais exercé de mesures de rétorsion contre les gouvernements français et les services italiens de sécurité étaient, depuis le début, informés de bout en bout des initiatives prises par le gouvernement et les services de police français. Aucun événement de nature à modifier la politique n’étant survenu, le choix français n’a pas à être bouleversé.

Pourtant, le garde des Sceaux a clairement signifié qu’il demanderait au Premier ministre de signer le décret d’extradition de Battisti...

Il n’existe aucune raison objective pour que le Premier ministre ne poursuive pas la politique de ses neuf prédécesseurs ! S’il rompait avec une politique vieille de vingt-trois ans, on devrait s’interroger sur d’éventuelles circonstances exogènes au dossier.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=220222