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Cesare Battisti : la cour d’appel choisit l’extradition

Publie le vendredi 2 juillet 2004 par Open-Publishing

de Alain Nicolas

La chambre de l’instruction de la cour d’appel autorise l’extradition de l’écrivain italien. Ses avocats annoncent un recours probable en Cassation.

" La cour agrée la demande d’extradition. " Il est deux heures et six minutes, les portes de la chambre de l’instruction de la cour d’appel sont ouvertes depuis à peine trente secondes et la stupeur se lit sur tous les visages, sur ceux de la famille de Cesare Battisti, d’abord. Certains ont fait le voyage, et n’ont pas besoin de se faire traduire : les murmures de protestation, qui s’amplifient en cris de colère, sont assez éloquents. La salle évacuée, et sur la place, devant le palais de justice, ceux qui avaient assisté à l’audience retrouvent les membres du comité de soutien et nombre de ceux qui, depuis le début, se sont mobilisés pour empêcher ce qui vient précisément de se produire.

Il y a la " seconde famille " de Battisti, celle du " polar ", dont la vigilance est pour beaucoup dans la mobilisation qui a accompagné l’écrivain tout au long de son odyssée judiciaire : Fred Vargas, Dan Franck, bien sûr, mais aussi Michèle Lesbre, Daniel Pennac, Frédéric Fajardie, Jean-Hugues Oppel, Jean-Bernard Pouy, Gérard Streiff. Peu à peu, des groupes se forment, des prises de parole s’improvisent au gré des micros tendus çà ou là. C’est Guy Bedos qui insiste sur le reniement de la parole donnée, sur la tache dont la justice vient d’accabler le visage de la France. C’est Daniel Pennac qui s’interroge sur le sort de tous les réfugiés politiques, puisque aucune remise en cause des conditions de leur jugement, fussent-elles iniques, n’est désormais admissible. Il rappelle qu’il y a vingt ans tout le monde se satisfaisait de savoir les militants d’extrême gauche italiens en France, ayant abandonné les actes de violence, et s’abstenant d’intervenir dans la vie politique. Oreste Scalzone, directement concerné par les demandes d’extradition italiennes, rappelle qu’il n’a pas renoncé à la lutte armée pour satisfaire un caprice présidentiel, mais à la suite d’un accord politique négocié, que le gouvernement italien avait suivi de bout en bout. Pour lui, " la décision reste politique. Elle était celle de Dominique Perben, elle est maintenant celle de Jacques Chirac. Va-t-on réellement tourner la page des années de plomb ? Va-t-on continuer à s’enliser dans la vengeance sans limitation de durée et le mensonge d’État ? Nous ne sommes pas, poursuit-il, au lendemain d’une défaite, mais à la veille d’une nouvelle étape de la lutte ". Cesare Battisti, on le sait, n’a pas épuisé toutes les voies de recours. Ses avocats, on le sait, avaient annoncé l’intention de leur client de se pourvoir en Cassation, voire de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Il est possible aussi, si le gouvernement signe le décret d’extradition, de demander son annulation en Conseil d’État.

Ce n’est donc pas l’épilogue, mais une étape de plus dans un feuilleton politico-judiciaire qui dure depuis maintenant vingt-cinq ans. Arrêté en 1979, Cesare Battisti avait été condamné, en 1981, à douze ans de prison pour appartenance aux PAC, sans qu’aucun fait délictueux lui soit personnellement imputé. C’est en vertu des lois d’exception, votées entre 1974 et 1982, que cette condamnation fut obtenue. Arrêté en 1979, il s’évade en 1981, et quitte l’Italie. Le fugitif devient alors un bouc émissaire tout trouvé. Pièce par pièce, on charge son dossier. En fait, c’est la totalité des faits reprochés aux PAC qui lui est attribuée. Pour cela, alors qu’aucun témoin ne l’a reconnu, qu’aucun indice ne l’accable, la justice italienne a recours à cet " instrument juridique nouveau ", le " repenti ". Il s’en trouve un, Pietro Mutti, prêt à dire tout ce qu’on voudra pour forger un coupable sur mesures. Par l’effet d’un curieux principe des vases communicants judiciaires, son cas s’allège à mesure que celui de Battisti s’alourdit. Aujourd’hui, il est libre et Battisti condamné à deux peines de prison à perpétuité. Dans tout État de droit, il aurait la possibilité, en un nouveau procès, de se défendre, de faire face à ses juges, aux témoins qui l’accablent. Pas en Italie, où une disposition, datant de Mussolini, n’accorde pas à un condamné par contumace un procès contradictoire, ce qui a été, maintes fois, condamné par Amnesty Intenational.

Jusqu’ici, la justice française avait tenu ferme sur ses principes. De même, elle avait refusé de revenir sur une décision acquise dans les refus d’extradition prononcés en 1991. Battisti était protégé par l’autorité de la chose jugée, sur la base d’un des plus vieux adages du droit : " Non bis in idem " (pas deux fois pour la même chose). C’est ce principe, un des plus fondamentaux de la justice, sur lequel repose la sécurité juridique des citoyens, qui est aujourd’hui battu en brèche. Cela mérite amplement que l’on demande à la Cour de cassation de revenir au droit. Mais pour cela, la démarche juridique doit être soutenue par la mobilisation de tous. Là encore, l’été doit être celui de la vigilance

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-07-01/2004-07-01-396410