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Cesare Battisti : la jurisprudence Berlusconi

Publie le vendredi 2 juillet 2004 par Open-Publishing

de Michel Guilloux

Non seulement justice n’est pas faite, mais l’idée qu’on s’en fait de ce côté-ci des Alpes depuis les Lumières vient d’être atteinte.

" Comment ma seule voix d’homme peut-elle affronter tous les cris qui ont déjà déferlé contre moi ? Comment puis-je contrer la rumeur qui m’accable : " criminel odieux ", " assassin ", " tueur ". Cet homme qui n’est pas moi porte mon nom dans les journaux, partout. Cet homme, je ne le reconnais pas [.] . Mais aujourd’hui, sans que je comprenne ni pourquoi ni comment, l’extradition me menace de nouveau, et la réclusion à perpétuité. Dans cet inexplicable cauchemar dont toute raison m’échappe, je ne sais et je ne peux vous dire qu’une seule chose : si tel devait être mon destin, alors, en vérité, justice ne serait pas faite. " Ainsi s’exprimait l’écrivain italien Cesare Battisti, dans nos colonnes le 7 avril dernier. Son cri n’a rien perdu du désespoir et de la colère qui le portaient. Non seulement justice n’est pas faite, mais l’idée qu’on s’en fait de ce côté-ci des Alpes depuis les Lumières vient d’être atteinte par la décision favorable à son extradition rendue hier à Paris.

Un gouvernement populiste, aligné sur les pires positions guerrières des États-Unis, capable de condamner un citoyen en son absence sur la base de déclarations de " repentis " pour deux meurtres commis simultanément à des centaines de kilomètres de distance, vient de remporter une victoire. Le ministre italien de la Justice, Roberto Castelli, de la Ligue du Nord, s’en félicite d’ailleurs avec force bruit.

L’écrivain, dont l’oeuvre témoigne avec une rare acuité de l’impasse du terrorisme, s’est étonné du bruit soudain dont son nom puis sa personne ont fait l’objet depuis le début de l’année. À l’injustice flagrante et à la rupture de parole de la France - la " doctrine Mitterrand " - qu’illustre son cas s’ajoute une évolution inquiétante esquissée depuis des mois par le gouvernement et qu’il faudrait peut-être rebaptiser " jurisprudence Berlusconi ".

De Rome, Silvio Berlusconi a mené de front sa " réforme " de la justice, mise au pas des juges et volonté d’autoamnistie pour ses propres " affaires ", et instrumentalisation du cas Battisti pour mener campagne électorale, rassurant ses amis néofascistes et mélangeant avec sa démagogie coutumière " années de plomb " et après-11 septembre 2001. À Paris, à la veille de l’adoption du second volet de sa loi, Dominique Perben reprenait à son compte la version officielle italienne. Le ministre du gouvernement Raffarin mettait en place alors un dispositif de " répression administrée ", selon la formule de l’ex-garde des Sceaux Robert Badinter. Ses principaux points en sont connus : supériorité du parquet sur la défense et les juges, instauration du " plaider coupable ", recours possible aux " repentis ". Victime expiatoire, Cesare Battisti a été instrumentalisé par un pouvoir partisan de la criminalisation de la pauvreté comme de toute opposition à sa politique, comme l’ont illustré l’enfermement de José Bové, les poursuites contre Alain Hébert ou encore l’inscription sur le fichier d’empreintes génétiques de la police de l’animateur des chômeurs-CGT de Marseille. " Il n’y a pas d’ambiguïté. Il y a changement d’attitude de la part de la France et je l’assume ", déclarait Dominique Perben dès 2002. Mais aujourd’hui la liberté d’un homme est dans la balance. Le premier ministre ajoutera-t-il à l’infamie le déshonneur de la France en signant l’arrêt d’extradition ?

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-07-01/2004-07-01-396391