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La cour d’appel de Paris autorise l’extradition de Cesare Battisti

Publie le vendredi 2 juillet 2004 par Open-Publishing

de Ariane Chemin

La chambre de l’instruction de la cour d’appel a jugé, mercredi 30 juin, qu’elle n’avait pas à statuer sur la "doctrine Mitterrand", qui s’oppose à l’extradition des anciens activistes italiens, et a estimé que la procédure était conforme au droit. L’écrivain devrait se pourvoir en cassation.

Juste le temps de réaliser, d’attendre la fin de la phrase. A peine la courte annonce terminée, à peine l’"avis favorable"à l’extradition de Cesare Battisti prononcé en une sèche et absconse formule juridique de deux minutes par la cour d’appel de Paris, et la salle d’audience retentit de cris. "C’est une honte !" "Police partout, justice nulle part !", "C’est une dictature !". L’ex-activiste italien, réfugié en France en 1990 et condamné par son pays à la prison à perpétuité pour quatre meurtres et braquages commis pendant les "années de plomb", ne dit pas un mot, livide. Sa fille est là, pas loin, immobile.

La petite cohorte des soutiens s’en va du palais de justice, tandis que les CRS se déploient sur le boulevard. Quelques personnes tentent un sit-in, allongées sous un chandail ou une veste, bloquant quelques minutes le passage des voitures. L’écrivain de polars Fred Vargas est en larmes, Guy Bedos, "très malheureux", comme Daniel Pennac et Dan Franck, ou la chanteuse Lola Lafon. Oreste Scalzone, l’un des premiers réfugiés italiens, répète sa colère aux micros. D’autres italiens réfugiés se tiennent à l’écart. Aphones. Discrets, aussi, comme si une drôle de menace pesait au-dessus d’eux.

Les avocats de Cesare Battisti, Mes Irène Terrel et Jean-Jacques de Felice, ont immédiatement indiqué que leur client se pourvoyait en cassation après cette "décision politique qui déshonore nos institutions et les principes d’un Etat de droit". Lors de l’audience, le 12 mai, ils avaient mis en avant le principe de l’autorité de la chose jugée, en rappelant que la cour d’appel de Paris avait une première fois, en 1991, rejeté une demande d’extradition concernant l’ancien activiste.

LIBRE, SOUS CONTRÔLE JUDICIAIRE

La cour répond que la décision de 1991 se fondait sur des mandats d’arrêt alors que celle rendue mercredi est fondée sur des "condamnations définitives" prononcées pour meurtres par les tribunaux italiens. Juridiquement, il s’agit donc, pour elle, d’une nouvelle demande.

Deuxième argument avancé par les conseils de Battisti : la procédure de contumace italienne ne serait pas conforme à l’ordre public français et ne respecterait pas la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’elle bafouerait le droit des accusés à un "procès équitable". Pour la cour, "Battisti était au courant de son procès et s’est volontairement abstenu de comparaître". Sa défense "était présente lors des débats en 1991". Elle estime que "le système processuel italien est voisin de celui appliqué en France", et que "l’absence de purge en matière de contumace ne saurait (...) être invoquée dans la mesure où la réforme de "contumacia" comporte des caractéristiques distinctes de l’ancienne procédure de la contumace abrogée en France par la loi du 9 mars 2004". En conséquence, conclut la cour, l’accusé a été "mis en situation d’exercer les voies de recours ouvertes par la législation de l’Etat requérant", soulignant que le système italien est "soumis aux mêmes règles en ce qui concerne les conditions requises pour le déroulement d’un procès équitable".

Enfin, alors que les avocats avaient rappelé l’engagement de l’ancien président de la République François Mitterrand, en 1985, de ne pas extrader les activistes italiens -"la doctrine Mitterrand"-, la cour a souligné qu’elle ne pouvait statuer sur cette question "en raison du principe de séparation des pouvoirs".

Immédiatement, les "politiques" présents au palais de justice, Yves Cochet (Verts), Julien Dray, porte-parole du PS, Pénélope Komitès (Verts) se sont réunis dans un café. Fred Vargas s’est ensuite rendue à l’Assemblée nationale avec Yves Cochet et Jacques Bravo, le maire (PS) du 9e arrondissement de Paris, pour retrouver François Hollande, et mettre au point la défense des partis de gauche, tous engagés contre l’extradition de Cesare Battisti.

Leur cible, désormais, c’est Jacques Chirac : il faut qu’il s’exprime. Un vœu pourrait être formulé au Conseil de Paris en ce sens, lundi 5 juillet. "Nous ne nous déterminons pas par rapport à Battisti et à des faits qui auraient dû être jugés par la justice italienne, et qui doivent peut-être être regardés de nouveau, explique François Hollande au Monde. Il ne s’agit pas davantage de prendre position sur son innocence. Ce n’est pas non plus, enfin, une solidarité à l’égard de l’extrême gauche, encore moins une complaisance avec l’activisme des années 1970. Tout amalgame avec Action directe doit être condamné. C’est une affaire de principe, celui la parole donnée en 1985, avant l’arrivée de Battisti en France, par l’Etat, en l’occurrence François Mitterrand, explique le premier secrétaire du PS. Tout l’enjeu, aujourd’hui, avec cette possibilité d’extradition, c’est de savoir si Jacques Chirac rompra avec François Mitterand, mais aussi avec les principes de François Mitterrand auxquels il s’est soumis deux fois : une fois comme premier ministre, entre 1986 et 1988, et une fois comme président de la République, entre 1995 et 2003."

"La parole de la France a été engagée et une pratique a été suivie par tous les gouvernements, celui de M. Balladur, celui de M. Juppé depuis, a indiqué de son côté l’ex-garde des sceaux Elizabeth Guigou. Je ne pense pas qu’il faille revenir sur ce passé-là." Un peu plus tôt, en revanche, Manuel Valls, un des secrétaires nationaux du PS, avait expliqué dans les couloirs de l’Assemblée que son parti "se trompait de combat".

Le pourvoi en cassation étant suspensif, Cesare Battisti, soumis à un contrôle judiciaire qui lui interdit de quitter l’Ile-de-France et de fréquenter les aéroports, tout en "pointant" tous les samedis, reste libre. Jusqu’à la fin de la procédure, et en attendant le décret du gouvernement.

Ariane Chemin

Satisfaction générale en Italie

L’avis favorable donné par la justice française à l’extradition a été unanimement salué en Italie. "C’est la fin d’un cauchemar. Je n’y croyais plus", a affirmé Adriano Sabbadin, dont le père avait été assassiné en 1979 par le Mouvement des prolétaires armés pour le communisme. "C’est une énorme victoire du gouvernement italien parce que la justice française nous a donné raison", s’est félicité le ministre de la justice, Roberto Castelli, soulignant que "l’affaire n’est pas encore terminée, parce que Battisti, et cela est juste, peut faire appel, et je pense qu’il le fera". Le ministre de l’intérieur, Giuseppe Pisanu, a pour sa part indiqué que "les terroristes, vieux et nouveaux, en Italie et à l’étranger, doivent savoir qu’il n’y a pas de voie de salut pour eux et qu’un jour ou l’autre ils seront rattrapés". Membre de la Margherita (centre gauche), Enzo Bianco a qualifié cette décision de "juste". Le député vert Paolo Cento a, lui, prôné une "mesure d’amnistie-pardon".

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