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La France enjambe Mitterrand pour extrader l’écrivain Battisti

Publie le vendredi 2 juillet 2004 par Open-Publishing

de SANDRA VINCIGUERRA

JUSTICE - La Cour d’appel de Paris s’est déclarée favorable à l’extradition de Cesare Battisti vers l’Italie. Les avocats de l’ex-militant d’extrême gauche déposent un pourvoi en cassation. Le feuilleton judiciaire se poursuivra encore quelques mois.

La Cour d’appel de Paris a donné hier son feu vert à l’extradition vers l’Italie de Cesare Battisti, ancien activiste d’extrême gauche et aujourd’hui auteur de polars réputé. Cette décision, saluée par Rome, a suscité de vives protestations au sein de la gauche française. La chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris « rejette les moyens formés par les défenseurs de l’extradable et dit qu’il y a lieu d’accueillir favorablement la demande d’extradition » de l’Italie, a annoncé le président de cette chambre, Norbert Gurtner. De plus, elle estime que les procès où Cesare Battisti n’avait pas voulu être présent et s’était fait représenter par des avocats étaient équitables.
L’avis favorable à l’extradition va être transmis au Ministre de la justice, Dominique Perben, qui proposera ensuite à la signature du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin un décret autorisant l’extradition.

RETOUR DANS LE TEMPS

Cesare Battisti a été condamné à la perpétuité par contumace. Plusieurs arrêts rendus entre 1990 et 1993 le reconnaissent coupable de deux meurtres et de complicité dans deux autres, tous commis entre 1978 et 1979. La France, qui lui avait accordé l’asile selon la « doctrine Mitterrand » (lire ci-dessous), avait répondu négativement à une demande d’extradition de l’Italie, en 1991, au motif qu’elle ne reposait alors que sur un simple mandat d’arrêt. Mais la requête a été reformulée sur la base de la condamnation définitive, et présentée le 20 décembre 2002 par le gouvernement italien. C’est à cette dernière demande que la Cour d’appel de Paris a répondu favorablement.
Reprochant aux magistrats d’avoir « bafoué l’autorité de la chose jugée », le Parti socialiste, le Parti communiste et les Verts ont appelé hier le président de la République Jacques Chirac à refuser de signer un décret permettant d’extrader Battisti. « La France se dévalorise, elle est la patrie des droits de l’homme et une terre de refuge. La parole de la France a été rompue du côté de la justice, elle ne doit pas l’être du côté politique », a expliqué Yves Cochet, député vert de Paris.
Une centaine de personnes ont manifesté devant le Palais de justice, bloquant la circulation et criant leur désapprobation : « Honte à la justice française ! », « Police partout, justice nulle part ! ».

QUELQUES MOIS DE SURSIS

Me Irène Terrel, avocate de Cesare Battisti, a dénoncé « une décision politique prise sur ordre, qui déshonore nos institutions et les principes d’un Etat de droit ». Pour les avocats de Battisti, l’avis favorable de la chambre d’instruction à cette extradition constitue « un revirement radical de la jurisprudence extraditionnelle des cours françaises, constante depuis plus de quinze ans, et une régression majeure des garanties du procès équitable ».
L’écrivain est actuellement en liberté et ne sera pas extradé dans l’immédiat, car il va déposer un pourvoi en cassation. Suspensif, son examen prendra environ quatre mois.
Son rejet est probable : les juges ne s’exprimeront que sur la forme de la décision d’extradition et non sur le fond. Le Premier ministre pourra donc signer le décret d’extradition, mais l’Italien pourra alors déposer un recours devant le Conseil d’Etat (échelon suprême de la juridiction administrative), dont l’examen peut également prendre plusieurs mois.
A Rome, le Ministre italien de la justice, Roberto Castelli, a déclaré que la décision de la Cour d’appel constitue « une énorme victoire du gouvernement italien, parce que la justice française nous a donné raison ». « C’est, a-t-il ajouté, un signal important pour tous les délinquants et tous les terroristes ».


LE POIDS DU REPENTIR

Ancien membre des Prolétaires armés pour le communisme, Cesare Battisti, a été condamné à perpétuité par contumace par la cour d’assises de Milan en 1990. Il a été reconnu coupable d’événements remontant à 1978 et 1979, sur la foi des révélations d’un fondateur des PAC, le « repenti » Pietro Mutti, en échange d’une forte réduction de peine. Battisti a ainsi été reconnu coupable de l’assassinat du chef de prison Antonio Santoro (accusé par les PAC de violences sur détenus, juin 78), de complicité directe dans l’assassinat de l’activiste d’extrême droite Lino Sabbadin (accusé par les PAC d’avoir tué un voleur, février 79), du « concours moral » dans le meurtre de Alberto Torregiani (accusé par les PAC d’avoir tué plusieurs voleurs, février 79) et de l’assassinat de l’agent de police politique Andrea Campagna (accusé par les PAC de complicité de torture sur les suspects du meurtre Torregiani, avril 79). La condamnation a été confirmée en cour de cassation en 1993.
SVa avec les agences

VINGT-TROIS ANS DE DÉMÊLÉS JUDICIAIRES

1977 : Cesare Battisti s’engage dans les Prolétaires armés pour le communisme (PAC).
1979 : Il est incarcéré avec des camarades et le groupe se dissout.
1981 : Il est condamné à 12 ans et 10 mois d’emprisonnement pour « appartenance » aux PAC. Battisti s’évade, rejoint la France et fuit au Mexique où il exerce notamment le métier de journaliste.
1985 : La « doctrine Mitterrand » ouvre les portes de la France aux réfugiés italiens ayant renoncé à toute forme de violence politique. Selon le président français, les lois spéciales adoptées en Italie étaient non seulement contraires à la conception française du droit, mais aggravaient la situation politique italienne.
1990 : En Italie, Battisti est condamné par contumace à la perpétuité sur la seule foi des révélations d’un fondateur des PAC, le « repenti » Pietro Mutti. En échange d’une forte réduction de peine, il a accusé Battisti de nombreux crimes. Battisti a ainsi été reconnu coupable de deux meurtres et de complicité dans deux autres assassinats. La condamnation est confirmée en cour de cassation en 1993.
1990 : Battisti, au fait de la « doctrine Mitterrand », s’installe en France.
1991 : Il est placé sous écrou extraditionnel. Saisie par la justice italienne, la justice française le déclare non extradable. En France, il poursuit son activité d’écrivain et devient un auteur de romans noirs réputé.
1997 : Il obtient une carte de séjour de dix ans sous le gouvernement Juppé.
1998 : Lionel Jospin confirme la « doctrine Mitterrand » et assure aux avocats des réfugiés italiens que les noms de ces derniers seront supprimés du fichier des personnes recherchées, prévu par les accords de Schengen.
10 février 2004 : Cesare Battisti est arrêté chez lui à Paris par la Direction nationale anti-terroriste. Une plainte pour insultes et menaces de mort déposée par un voisin contre Battisti aurait amené la police à effectuer des recherches. Le nom de Battisti se trouve toujours (à nouveau ?) dans le fichier des personnes recherchées. Sa fiche contient une fausse information, à savoir qu’en 1991 la Cour d’appel de Paris l’aurait déclaré extradable. Battisti est écroué, bien que la plainte soit classée et l’information sur l’arrêt de la Cour rectifiée. La demande de la justice italienne pour l’extradition de Battisti est toujours pendante.
3 mars : Battisti est remis en liberté surveillée, jusqu’à la date d’un jugement sur son extradition fixée au 7 avril.
6 avril : La justice italienne fait parvenir un dossier de 800 pages à la justice française en complément d’information. Le jugement est reporté au 12 mai.
12 mai : Le Parquet général de Paris s’est déclaré favorable à l’extradition vers l’Italie.
30 juin : La Cour d’appel de Paris donne son feu vert à l’extradition de Battisti. Il est actuellement en liberté et ses avocats s’apprêtent à déposer un pourvoi en cassation. S’il est extradé, Battisti ne sera pas rejugé en Italie, conformément au droit italien. SVa
Sources : www.vialibre5.com, La Vérité sur Cesare Battisti, 2004 aux éditions Viviane Hamy, Via Libre !, 2004 aux éditions L’Insomniaque).

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