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Rendez-nous Battisti, on vous envoie Messier

Publie le jeudi 8 juillet 2004 par Open-Publishing
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L’État ne lache jamais ses proies. Et ce n’est pas Cesare Battisti qui dira le contraire. Un coup à droite, un coup à gauche, la justice en ce qu’elle a d’officiel, c’est-à-dire un ministère et ses juges, donne la mesure de la confusion entre équité et vengeance.

Que les institutions soient italiennes ou françaises, qu’il s’agisse d’une mécanique judiciaire venant de Rome ou de Paris, la coopération, l’entraide, autant de bonnes vertus, de saines vertus, trouvent leur illustration dans une répression accablante.

Voilà Cesare Battisti, depuis plusieurs années réfugié en France, sous mandat d’extradition, après une vie refaite, sans repentance ni récidive, jamais entendu par un juge quelconque, condamné à pourrir en prison parce que le président de la République en a décidé ainsi. François Mitterrand avait difficilement pu dans les années 80 ne pas accorder le droit d’asile à tous ces réfugiés. Tradition et doctrine oblige. Le socialisme qui semblait émerger dans le « pays des droits de l’homme » était, à tort ou a raison, porteur d’espoir. L’élan émotionnel, la répression ne pouvaient qu’ouvrir nos frontières. Mais la vengeance, comme on dit dans les pages roses du Larousse, est un plat qui se mange froid. La machine à broyer ne s’est jamais enrayée. Juste un peu somnolente. L’exemple de Cesare Battisti, quand on commence à avoir la tête en vacances, est là pour nous le rappeler. Les meilleurs mauvais coups se portent bien souvent pendant la trêve estivale. Mais pour l’État il n’est jamais de trêve. Pour un Battisti qui est frappé, ce sont des dizaines d’autres réfugiés italiens qui vont devoir craindre la même justice élémentaire, j’allais dire expéditive.

Berlusconi aussi médiocre crooner que chef d’État, et quand bien même serait-il bon dans ces registres spectaculaires, Berlusconi donc, aficionado d’une manière de fascisme rampant sur le ventre trouve là l’occasion de se réjouir. Tirer un trait sur les années de plomb en jetant ses acteurs en prison, n’a jamais été de nature à apaiser les esprits. Mais faut-il qu’ils soient apaisés ces esprits-là ? Le pouvoir italien, géniteur des Mussolini, des maffias, organisateur de misère, de chômage, d’exil, n’a jamais brillé par son progressisme. La pesanteur de la charité chrétienne omniprésente, et puis une bonne répression, n’ont jamais fait de mal à personne et l’État a toujours besoin de montrer ses muscles. Mais pour qu’il y ait répression, il faut qu’il y ait un minimum d’agitation : logique. L’exemple de Gênes et de la grande manifestation contre le sommet du G8 qui s’était soldée, on s’en souvient malheureusement, par l’assassinat de Carlo Giuliani, est là pour nous le rappeler.

Chirac est l’auxiliaire de ce magnat de l’audiovisuel, j’allais dire de la presse, du papier imprimé plutôt, et sans doute première fortune d’Italie, et il piétine allégrement ce qui restait d’humaniste ou d’humanitaire, peu importe, dans le regard des candidats à l’exil partout dans le monde. Une petite touche de sagesse en élargissant Joëlle Aubron, une louche de férocité en conservant en prison ses compagnons plus morts que vivants, un soupçon de largesse et Papon sort inopinément de son coma de taule en faisant des claquettes, Messier en garde à vue VIP juste le temps du bouclage de Libé, et voilà les affaires faites.

Le problème n’est plus de savoir si Cesare Battisti est un camarade ou non, mais bien de constater que peu à peu l’Europe des répressions avance ses pions. Lissage des législations, démocraties molles du jarret, uniformisation des comportements. N’oublions jamais que l’espace Schengen c’est non seulement la libre circulation des individus, mais aussi la libre circulation des juges, des flics et but ultime de la manœuvre, celle des marchandises. La justice est régulatrice du capitalisme, non pas l’inverse, et les poulets zélés n’en sont que le bras armé.

Battisti, entre autres militants anticapitalistes, fait les frais de cette idéologie perverse. Rien d’étonnant dès lors que Messier soit totalement impuni. Le seul reproche que le pouvoir peut lui signifier c’est d’en avoir fait un peu trop et de s’être fait gauler. Mais l’État ne pardonne jamais à ses adversaires.

Jipé

Monde libertaire hors-série n°25 d’Eté 2004

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