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Les deux déclarations de M. Mitterrand en 1985 sur les réfugiés italiens

Publie le jeudi 8 juillet 2004 par Open-Publishing

LE MONDE

Voici les propos que le président François Mitterrand a tenus au sujet des
Italiens réfugiés en France, une première fois, le 22 février 1985 à
l’Elysée, lors d’une conférence de presse commune avec Bettino Craxi, alors
président du conseil italien, et deux mois plus tard, le 20 avril 1985,
devant le 65e congrès de la Ligue des droits de l’homme.

22 FÉVRIER 1985

Les principes d’action sont simples à définir. Ils sont souvent moins
simples à mettre en ¦uvre. Il s’agit du terrorisme, qui est par définition
clandestin ; c’est une véritable guerre. Nos principes sont simples. Tout
crime de sang sur lequel on nous demande justice ­ de quelque pays que ce
soit et particulièrement l’Italie ­ justifie l’extradition dès lors que la
justice française en décide. Tout crime de complicité évidente dans les
affaires de sang doit aboutir aux mêmes conclusions. J’ignore ­ mais telle
n’était pas votre question ­ les problèmes de droit commun qui sont
ordinairement traités de cette façon. Et tout Italien ­ puisqu’on parle des
Italiens ­ reconnu comme terroriste dans son pays pour des actes de cette
gravité et reconnu comme pouvant être extradé par la justice française, tous
ces cas sont naturellement soumis à l’exécutif qui conclura à l’extradition
ou à l’expulsion selon les cas, mais toujours selon un critère de sévérité,
ce qui va de soi.

La France, autant que d’autres pays, encore plus que d’autres pays, mène une
lutte sans compromis avec le terrorisme. Depuis que j’ai la charge des
affaires publiques, il n’y a jamais eu de compromis et il n’y en aura pas.

Le cas particulier qui nous est posé et qui alimente les conversations, est
celui d’un certain nombre d’Italiens venus, pour la plupart, depuis
longtemps en France. Ils sont de l’ordre de trois cents environ ­ plus d’une
centaine étaient déjà là avant 1981 ­, qui ont d’une façon évidente rompu
avec le terrorisme. Même s’ils se sont rendus coupables auparavant, ce qui
dans de nombreux cas est probable, ils ont été reçus en France, ils n’ont
pas été extradés, ils se sont imbriqués dans la société française, ils y
vivent en tout cas avec la famille qu’ils ont choisie, ils exercent des
métiers, la plupart ont demandé la naturalisation.

Ils posent un problème particulier sur lequel j’ai déjà dit qu’en dehors de
l’évidence ­ qui n’a pas été apportée ­ d’une participation directe à des
crimes de sang, ils ne seront pas extradés. Cela je l’ai répété à M. le
président du conseil tout à l’heure, non pas en réponse à ce qu’il me
demandait mais en réponse à un certain nombre de démarches judiciaires qui
ont été faites à l’égard de la France. Bien entendu, pour tout dossier
sérieusement étayé qui démontrerait que des crimes de sang ont été commis ou
que, échappant à la surveillance, certains d’entre eux continueraient
d’exercer des activités terroristes, ceux-là seront extradés ou, selon
l’ampleur du crime, expulsés.

C’est donc simple en principe, c’est moins simple à faire parce que les
vrais terroristes engagés sont clandestins ; ils ne sont pas membres de
cette petite communauté dont je viens de parler ; ils ont sans aucun doute
été mêlés aux événements antérieurs ­ quelquefois même antérieurs à 1975 ­ à
propos desquels nous ne jugeons pas bon de créer des situations qui seraient
inextricables ; mais nous ne souhaitons pas non plus que certaines autorités
étrangères créent des cas artificiels. Il y a une réalité, et cette réalité,
c’est la réalité terroriste.

Il y a donc des personnes clandestines ou en fuite et qui sont recherchées
par la police française comme elles le sont par la police italienne. Toute
arrestation qui interviendrait ­ il en est intervenu encore récemment ­
donnera lieu à procédure d’extradition, si les autorités judiciaires
italiennes le demandent et si la justice française le propose : à ce
moment-là, l’exécutif agira dans le sens de l’extradition. Il y a d’ailleurs
des cas que je connais qui auront cette réponse.

Mais il ne faut pas faire de confusion avec le groupe de personnes
compromises sans crime de sang dans les événements tout à fait détestables
qui doivent être condamnés et qui se sont produits en Italie autour du
phénomène terroriste. Ne pas confondre.

20 AVRIL 1985

Prenons le cas des Italiens. Quelque trois cents Italiens qui ont participé
à l’action terroriste en Italie depuis de longues années, avant 1981, plus
d’une centaine sont venus en France, ont rompu avec la machine infernale
dans laquelle ils s’étaient engagés, le proclament, ont abordé une deuxième
phase de leur propre vie, se sont insérés dans la société française, souvent
s’y sont mariés, ont fondé une famille, trouvé un métier.

Bien entendu, s’il était démontré que tel ou tel d’entre eux manquait à ses
engagements, nous trompait tout simplement, nous frapperions, mais j’ai dit
au gouvernement italien, de même lorsqu’est venu M. Craxi récemment à Paris,
dans une conférence de presse, j’ai dit que ces trois cents Italiens ­ c’est
naturellement un chiffre tout à fait global qui ne m’engage aucunement, mais
cela veut bien dire ce que cela veut dire ­ étaient à l’abri de toute
sanction par voie d’extradition, et que celles et ceux d’entre eux qui
poursuivaient les méthodes que nous condamnons, que nous n’acceptons pas,
que nous réprimerons, eh bien, nous le saurons, et le sachant, nous
extraderons.

Dire cela dans un congrès de la Ligue des droits de l’homme, ce n’est pas le
plus facile. Je le dis presque à voix basse : je serai, pour ma part,
intransigeant, je dirais implacable, à l’égard de toute forme de terrorisme.