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Affaire Battisti : évitons le lynchage

Publie le vendredi 9 juillet 2004 par Open-Publishing

de Marie-Dominique Massoni

Dans la page Courrier d’hier, Alain Thévenet dénonçait l’asile accordé par la France à Cesare Battisti. Il mettait en parallèle l’assassinat du PDG de Renault, Georges Besse, par des activistes d’Action directe, et les réactions qu’aurait suscité, à l’inverse, leur exil en Italie. Il évoquait, ainsi, « la raison d’Etat » comme cause de l’extradition de l’accusé et refusait une prescription qui aurait pu aussi conduire à amnistier Maurice Papon. En cas d’extradition, la justice italienne devra élucider les détails politiques « d’un passé collectif », ajoutait-il. Une lectrice lui répond ci-dessous.

appelons simplement à l’auteur de cette lettre que :

1) Cesare Battisti ne sera pas rejugé en Italie, contrairement à ce qu’il croit.

2) Qu’il n’a jamais commis de crime contre l’humanité, et qu’à la différence de Monsieur Papon, il n’a jamais été aux rênes d’un quelconque pouvoir politique ou administratif (comme celui-ci le fut au moment de la guerre d’Algérie). Je m’étonne qu’une personne qui se dit socialiste puisse mélanger de la sorte les considérants historiques.

3) Que la France (qui a effectivement incarcéré les anciens d’Action directe pour les réduire à néant, à défaut de les avoir exécutés) a accordé l’amnistie aux putschistes de la guerre d’Algérie et de l’OAS, dont les attentats, les massacres civils et les tortures étaient fort connus. Ce qui leur permet d’ailleurs d’avoir depuis une activité politique où l’on ne peut même plus faire mention des assassinats qu’ils commirent. Mais cette amnistie permit de retrouver une certaine paix civile.

A supposer qu’en son âme et conscience Monsieur Thévenet soit persuadé que Cesare Battisti est assez coupable pour mériter la prison à perpétuité, que ne mène-t-il campagne en France pour l’emprisonnement de tous ceux qui ont tenté ou tentent de déstabiliser des régions entières du monde, au profit de tel ou tel entrepreneur ? Sait-il de plus qu’en Italie, les exécuteurs des massacres de la gare de Bologne ou de la piazza Fontana sont, eux, tranquilles, et que leurs commanditaires continuent, eux, à diriger des secteurs économiques et politiques ? La position de Denis Tillinac, pourtant chiraquien, en faveur de l’amnistie est d’une autre tenue !

Je suis effarée de constater les ravages que l’accoutumance à l’immédiateté de l’information entraîne. La capacité à prendre de la distance, à ne pas tirer plus vite que son ombre, devrait être le fait de personnes qui ne sont pas impliquées dans les convulsions d’une guerre.

Il y a quelques années, j’avais été amenée à dénoncer le spectacle médiatique, l’instruction insuffisante et les experts en psychiatrie qui avaient envoyé en prison, pour fait d’abus sexuel sur mineur, un homme qui clamait son innocence. Les dernières horreurs du récent procès d’Outreau ont mis hélas en lumière ces terrifiantes irrationalités et les ravages de la conscience soumise à des campagnes d’information menées comme des campagnes publicitaires ici comme ailleurs. La pratique du lynchage citoyen est toujours une pratique de lynchage !

http://liberation.fr/page.php?Article=221821