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Nucléaire : Nicolas Sarkozy, égal de Roselyne Bachelot

Publie le vendredi 9 juillet 2004 par Open-Publishing


de Stéphane Lhomme

Roselyne Bachelot restera célèbre pour avoir osé affirmer "le nucléaire est l’industrie la plus propre". Nicolas Sarkozy s’est hissé lundi 5 juillet au niveau de l’ancienne Ministre de l’Ecologie en déclarant au Sénat "le nucléaire, c’est un choix écologique". Mais, autant il était de bon ton de se moquer de Roselyne Bachelot, autant le silence règne dans les rangs après la "sortie" du supposé futur Président de la République. Ceci expliquant cela, bien entendu. Nous nous proposons de rompre cet assourdissant silence.

Pour les besoins de sa démonstration, Nicolas Sarkozy réduit la question écologique au problème de l’effet de serre, et même aux seule émissions de CO2. Nous verrons plus loin que, même dans ces conditions, le nucléaire est pris en défaut. Mais il convient avant tout de faire connaître au ministre de l’Economie de nombreuses raisons pour lesquelles le nucléaire n’est aucunement écologique.

 les déchets radioactifs polluent la planète pour des centaines de milliers d’années. Depuis des décennies, les chercheurs du nucléaire dépensent vainement d’immenses sommes (d’argent public) pour résoudre ce problème… insoluble. La seule question des déchets suffit à disqualifier le nucléaire. Non seulement il n’est pas écologique, mais il est tout simplement injustifiable.

 l’industrie nucléaire contamine l’environnement dès les opérations d’extraction de l’uranium. C’est ainsi que la multinationale Areva-Cogéma est coupable de graves pollutions tant en Afrique qu’en France. La Criirad* l’a démontré lors d’une mission au Niger en décembre 2003 et suite à de nombreuses études en Limousin qui ont aboutit le 25 mars dernier au renvoi en correctionnelle de la Cogéma.

 des contaminations ont aussi lieu lors du conditionnement de l’uranium après son extraction : par exemple le 20 mars dernier, la rupture d’une digue de l’usine Areva-Comurhex de Malvézy (Aude), classée Seveso 2, à provoqué l’écoulement de 15.000 m3 de boues radioactives et nitrées.

 les centrales nucléaires rejettent en fonctionnement "ordinaire", c’est-à-dire en dehors de tout incident, de la radioactivité dans l’air et dans l’eau. Ces rejets font hélas l’objet d’autorisation officielles, bien que les autorités internationales aient officiellement admis que "toute dose de rayonnement comporte un risque cancérigène et génétique". **

 les centrales nucléaires connaissent en permanence des incidents au cours desquels elles rejettent de la radioactivité bien au-delà des limites légales, pourtant déjà bien laxistes et de toute façon injustifiables. Ainsi, le 13 mai dernier, la centrale nucléaire de Saint-Laurent (Loir-et-Cher) a rejeté dans l’air du sodium 24 radioactif. Officiellement, les rejets étaient de 1/200ème des limites annuelles. Or, nous nous sommes procurés un rapport interne à EDF, daté du 23 juin, qui permet de conclure à un rejet de l’ordre de 7,5 à 15 GBq, soit…10 à 20 fois la limite annuelle.

 les centrales nucléaires rejettent aussi de l’eau chaude en grande quantité dans les rivières, avec d’importantes conséquences environnementales mais aussi des problèmes de santé publique du fait de la prolifération d’amibes et de l’utilisation massive de produits chimiques pour tenter d’empêcher ce phénomène. Lors de la canicule 2003, nous avons pu dénombrer une bonne trentaine d’infractions, avant que le gouvernement ne couvre les irrégularités des centrales par un arrêté dérogatoire le 12 août. Pire : 10 mois plus tard, par un discret communiqué daté du 15 juin, EDF vient de reconnaître que la centrale nucléaire du Blayais (Gironde) avait à elle seule occasionné pas moins de 50 infractions aux rejets d’eau chaude. Il est vrai que cette centrale fonctionnait alors depuis des mois… avec des autorisations de rejets périmées. C’est peut-être pour cela qu’elles ont pu être aussi facilement bafouées.

 les centrales nucléaires rejettent dans l’environnement de grandes quantités de produits chimiques. Souvent, elles dépassent les limites autorisées qui sont pourtant aussi laxistes que pour les rejets radioactifs. Le record est certainement détenu par la centrale nucléaire de Saint-Laurent (encore !) dont les autorités ont reconnu, sans pour autant la sanctionner, qu’elle rejetait depuis 1999, et encore aujourd’hui, de 2 à 4 fois trop de sodium, sulfates, phosphore et chlorures***.

 le ministre de l’Economie semble ignorer aussi que la catastrophe de Tchernobyl constitue une pollution majeure de l’environnement. Inquiétant de la part de quelqu’un qui fut, en 1987, chargé de mission pour la lutte contre les risques chimiques et radiologiques au sein du ministère de l’Intérieur. En 2004, M. Sarkozy lance la construction du réacteur EPR, pourtant vulnérable face à un crash aérien, ce qui est intolérable pour un réacteur post 11 septembre 2001.

Il serait possible de multiplier les exemples car les activités de l’industrie nucléaire sont aussi diverses que polluantes. Quel que soit l’appréciation que l’on peut porter sur l’industrie nucléaire, il ridicule et scandaleux de la présenter comme un option "écologique".

Mais venons en à la question cruciale, martelée inlassablement par M. Sarkozy : le nucléaire permettrait de lutter contre le réchauffement climatique. Même si c’était vrai, ce serait absurde : à quoi bon rejeter moins de CO2 si c’est pour contaminer la planète avec le nucléaire ? De toute façon, la "solution" du nucléaire est totalement illusoire : M. Sarkozy raisonne comme si la consommation d’énergie nucléaire se substituait mécaniquement à celle d’énergie fossile (pétrole, charbon, gaz) selon le principe des vases communicants. Ainsi, plus un pays a de centrales nucléaires, plus il est supposé être vertueux dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que c’est faux : la France, malgré ses 58 réacteurs nucléaires, est le troisième émetteur de gaz à effet de serre de l’Union européenne, talonnant la Grande-Bretagne. Certes, ce serait encore pire sans le nucléaire mais, si vous êtes soupçonné d’avoir assassiné dix personnes, vous ne pouvez prétendre être innocent sous prétexte de n’en avoir assassiné "que" huit. La réalité est incontournable : pays ultra-développé, la France rejette énormément de CO2. De plus, le nucléaire ne réduit en rien les émissions des autres gaz (méthane, protoxyde d’azote, halocarbures, etc.) qui représentent pas moins de 40% de l’augmentation de l’effet de serre due aux activités humaines et que la France rejette aussi à grande échelle.

Pourtant, bien que ce soit faux, admettons un instant que la France lutte efficacement contre le réchauffement climatique grâce au nucléaire. Il n’a échappé à personne que la canicule avait pourtant sévi chez nous l’été dernier. Les tenants du nucléaire ont ainsi découvert, 18 ans après Tchernobyl, que les frontières n’étaient pas plus susceptibles d’arrêter la chaleur… que les nuages radioactifs. Car, dans notre hypothèse, les coupables sont forcément les autres pays qui n’ont pas, ou pas assez de nucléaire. Le réchauffement climatique venant de chez eux, ils doivent donc rattraper leur retard et arriver à la même "performance" que la France : environ un réacteur nucléaire pour 1 million d’habitants. Cela signifie qu’il faudrait construire en Chine et en Inde respectivement 1300 et 1000 réacteurs nucléaires. Au total, il "faudrait" 6500 réacteurs sur Terre (contre 440 aujourd’hui… dont beaucoup vont fermer dans les années qui viennent). Nous n’évoquerons même pas la démultiplication des risques que cela entraînerait puisque... personne n’envisage ne serait-ce que la construction de 5% de ces réacteurs. Ce serait de toute façon voué à l’échec : les réserves mondiales d’uranium - qui "nourrit" les centrales atomiques - seraient quasi immédiatement épuisées.

Mais le lobby nucléaire, M Sarkozy en tête, crie tout de même au miracle et au "grand retour de l’atome" parce que les chinois veulent construire… trente réacteurs nucléaires en 20 ans. Ce sera suffisant pour occasionner d’autres Tchernobyl, mais cela n’aura qu’un effet marginal sur le émissions de gaz à effet de serre.

C’est entendu : en déclarant que le nucléaire est "écologique", M. Sarkozy s’est ridiculisé. Pour faire bonne mesure, il a cru bon de rajouter que les antinucléaires "sont des pollueurs".Or, c’est au contraire le ministre de l’Economie qui condamne l’environnement. Non seulement par la relance du nucléaire à travers le projet de réacteur nucléaire EPR, mais aussi en décrétant, sans la moindre justification, que la France devra produire "25 % de richesses en plus dans dix ans et deux fois plus qu’actuellement dans trente ans"****. C’est le mythe de la croissance infinie dans toute sa splendeur, condamnant définitivement la planète. M. Chirac a pourtant déclaré en septembre 2002 à Johannesburg : "Si l’humanité entière se comportait comme les pays du Nord, il faudrait deux planètes supplémentaires pour faire face aux besoins". Il se trouve que les solutions que nous proposons pour sortir du nucléaire sont, justement, les seules qui permettront de lutter réellement contre le réchauffement climatique : les pays riches doivent réduire fortement leur consommation énergétique et, dans le même temps, financer le développement des énergies renouvelables partout sur la planète.

Utopique ? Peut-être. Mais assurément écologique.

Stéphane Lhomme

Porte-parole du Réseau "Sortir du nucléaire"

* Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (www.criirad.org )

** Commission Internationale de Radioprotection (CIPR), 1990. L’Autorité de sûreté française participe à la CIPR.

*** http://asn.gouv.fr/data/information/49_2003_med.pdf

**** Déclaration de M. Sarkozy le 15 avril 2004 à l’Assemblée nationale