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Maxime Vivas : quand Gilles Martinet parle de Battisti, de Gaulle s’attriste

Publie le dimanche 11 juillet 2004 par Open-Publishing


de Maxime Vivas

En une du Monde
du 8 juillet 2004
, un réquisitoire de G. Martinet contre Battisti.

Je ne traiterai pas ici du droit légitime à l’exposé des opinions sur la violence,
mais de distorsion des faits, d’ignorance, d’amalgame, de troncature de documents,
d’insinuations malveillantes et de mensonges.

Le plus grave d’abord : Martinet prétend démontrer sur deux longs paragraphes
que l’asile offert par la France concernait les Italiens qui n’ont pas commis
de crime de sang. Il se réfère à une déclaration de Mitterrand datée du 22 février
1985. Or, tous les exilés politiques Italiens des « années de plomb » étaient évidemment
accusés d’avoir commis de tels crimes. C’est pourquoi, deux mois plus tard, le
20 avril, devant le 65ème congrès de la Ligue des Droits de l’Homme, Mitterrand
prononce une déclaration solennelle (que Martinet n’a pas lue) où cette mention
ne figure plus. C’est cette parole-là, cet engagement dit « Doctrine Mitterrand » qui
ont conduit des centaines d’Italiens à se réfugier chez nous. Martinet s’exprime
sur ce point sans connaître ce texte essentiel qui rend caduc le précédent. Et,
sans la moindre réserve, le Monde, qui en avait rendu compte naguère, publie
désormais un « point de vue » qui le gomme.

L’effet de halo : à trois reprises, Martinet évoque les Brigades Rouges, organisation à laquelle Battisti n’a jamais appartenu. Au passage, le nom de Aldo Moro est cité.

Les références historiques hémiplégiques : Martinet agite l’épouvantail d’Action Directe. Mais il ne dit rien sur l’OAS dont les militants ont été graciés. Rien sur les factieux italiens (dont peu ont été inquiétés) responsables des terribles attentats de la gare de Bologne et de la piazza Fontana. Les activistes de droite sont effacés de la mémoire de Martinet.

L’amalgame insidieux : invoquant Rossana Rossanda « communiste intransigeante » (qui n’a rien à voir avec ce dossier), Martinet insinue que Battisti, ses soutiens et les Brigades Rouges sont de la même « famille ». Il faut l’avoir lu pour le croire : « même s’ils n’osent le formuler ouvertement », ceux qui s’opposent à l’extradition sont des crypto-terroristes.

La diabolisation : Battisti était « le chef militaire d’un groupe terroriste ». Où Martinet a-t-il été pêcher cette fable ? En vérité, il était un des plus jeunes militants d’un éphémère mouvement comptant quelques dizaines d’adhérents

Affirmation péremptoire : Battisti serait un tueur. « Il y a bien eu crimes de sang » assène Martinet. Battisti nie. Aucun témoin oculaire ne l’accuse, sa condamnation à la prison à vie, définitive, non révisable, est basée sur les déclarations évolutives d’un seul « repenti » qui a sauvé ainsi sa propre liberté.

Les arguties foireuses : pour Martinet, la justice italienne n’est pas suspecte car elle « poursuit Berlusconi et l’oblige à faire voter des lois qui, momentanément, le protègent ». Comprenne qui pourra : justice ficelée, instrumentalisée, donc justice libre. En vérité, toute une batterie de lois spéciales a été mise en place pour juger les protagonistes de cette époque de guerre civile larvée. Treize cas de torture, durant l’instruction du procès Battisti, ont été révélés. Amnesty International a dénoncé plusieurs fois le fonctionnement de la Justice Italienne.

A ce stade, s’impose l’amer constat gaullien : « La vieillesse est un naufrage ». Car force est de constater que Martinet, incohérent « ambassadeur de France », a perdu sa capacité d’information et a égaré son esprit cartésien dans la poche du jeune militant de gauche qu’il fut jadis.

Pourquoi parle-t-il, alors ? La raison apparaît implicitement au détour de deux phrases qui plaident pour une restructuration politique de l’Europe dont (« et nous ne devons pas [l’]oublier… ») fait partie l’Italie : « La social-démocratie européenne accepte l’économie de marché… » et « personne à gauche ne demande la renationalisation des entreprises privatisées. »

Et tout le monde est au fait des futures privatisations ? Des projets de généralisation de la précarité, de mise à mal de la sécurité sociale et des retraites et, par suite, de la nécessité d’un nouvel espace policier et judiciaire européen, de l’urgence a effrayer les peuples (cf. Gênes juillet 2001) pour verrouiller les velléités de contestation ?

Poser ces questions n’est pas établir un lien factice entre les impératifs de l’ultra-libéralisme européen et le cauchemar que vivent un écrivain et sa famille. Les politiciens italiens ont aussi leurs exigences intérieures et notre gouvernement a besoin de prouver son ardeur anti-terroriste. D’où l’acharnement contre Battisti, bouc émissaire. Une deuxième fournée se prépare contre des réfugiés dont les noms sont écrits, pions d’une partie truquée qui les dépasse et qui nous concerne tous.

Maxime Vivas, écrivain (et partisan des renationalisations).

11.07.2004
Collectif Bellaciao