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L’afflux de clandestins relance le débat sur l’immigration en Italie

Publie le mercredi 28 juillet 2004 par Open-Publishing

Deux millions d’Africains attendent en Libye de pouvoir embarquer, affirme le ministre de l’intérieur. Objectif : Lampedusa, "porte de l’Europe" pour les trafiquants d’êtres humains.

de Salvatore Aloïse

A Lampedusa, l’île italienne à mi-chemin de l’Afrique devenue la porte d’entrée de l’Europe pour les trafiquants d’êtres humains, c’est de nouveau l’état d’urgence. Comme l’année dernière à la même période, les clandestins arrivent par centaines. Le centre d’accueil de l’île, conçu pour fournir une première assistance à environ 200 personnes, en accueille presque trois fois plus ces jours-ci. Il a fallu transférer une partie des nouveaux arrivés vers la Sicile et la Calabre.

Tout laisse prévoir que le flux d’arrivages va se maintenir ces deux prochains mois. Le ministre de l’intérieur, Beppe Pisanu, a lancé l’alarme devant le Parlement la semaine dernière : "Deux millions d’Africains, de l’autre côté de la Méditerranée, en Libye, n’attendent que d’embarquer pour l’Italie." Un dossier a été adressé au Parlement européen, contenant de nombreuses photos de cadavres dans le désert ou flottant en mer, témoignant des tragédies durant la traversée du continent puis du canal de Sicile.

Des centaines de personnes seraient impliquées dans ce trafic dont le chiffre d’affaires est estimé à 2,5 milliards d’euros. En 2003, les autorités italiennes avaient signé un accord de coopération avec le gouvernement libyen pour la surveillance des frontières. L’Italie a dépêché des fonctionnaires pour entraîner les agents libyens, des équipements ont été mis à la disposition de Tripoli. Mais la Libye fait l’objet d’un embargo sur les équipements pouvant servir à des fins à la fois militaires et civiles, comme les avions, et elle demande en vain de l’argent, des hélicoptères et des instruments de surveillance plus sophistiqués.

Dans un entretien accordé au Corriere della Sera, mardi 27 juillet, l’ambassadeur libyen relance la demande d’avions pour le rapatriement dans leurs pays des immigrés africains. Il fait valoir qu’avec 4 000 kilomètres de frontières terrestres et 2 000 maritimes, son pays ne peut pas faire grand-chose sans une vraie aide internationale.

En 2003, plus de 80 000 immigrés ont été trouvés en situation irrégulière en Italie. 24 000 expulsions ont eu lieu rien qu’au cours des cinq premiers mois de 2004, facilitées par la loi Bossi-Fini. Cette loi, du nom des dirigeants de la Ligue du Nord et de l’Alliance nationale, qui ont fait de la lutte contre l’immigration clandestine leur cheval de bataille, vient d’être remise en cause, le 15 juillet, par un arrêt de la Cour constitutionnelle.

"TOLÉRANCE ZÉRO"

Désormais, les clandestins ne peuvent plus être expulsés "sans le plein contrôle d’un juge", c’est-à-dire sans un interrogatoire contradictoire en présence d’un avocat. La Cour remet aussi en cause l’arrestation du clandestin qui n’a pas quitté le sol italien dans les cinq jours suivant un ordre d’expulsion, une disposition de la loi qui n’était pas vraiment appliquée.

La Ligue du Nord a réussi à bloquer jusqu’ici toute tentative du gouvernement de corriger la loi dans le sens voulu par l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Elle exige le maintien de la "tolérance zéro", même si cela nécessite une révision constitutionnelle. En attendant une solution, le ministre de l’intérieur a recommandé à la police de faire appel à la magistrature pour les prochaines expulsions. Les clandestins trouvés en situation irrégulière seront placés dans des centres de rétention.

Au moment où la Cour sanctionnait le gouvernement à propos des expulsions, l’Italie s’attirait des protestations internationales à propos de l’affaire du Cap-Anamur, le bateau de l’ONG humanitaire allemande du même nom. En juin, ce bateau avait recueilli des clandestins se déclarant de nationalité soudanaise dans le canal de Sicile. Après des palabres, les autorités italiennes avaient accepté de les faire débarquer en Sicile. Mais le commandant et le président de l’ONG avaient été arrêtés (puis relaxés) pour "complicité dans l’introduction de clandestins". Ils auraient menti sur les conditions du sauvetage et sur la nationalité des clandestins.

Selon le ministre de l’intérieur, aucun n’avait la nationalité soudanaise qui donne droit au statut de réfugié. Ils ont été immédiatement réexpédiés au Nigeria et au Ghana, malgré la recommandation du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) d’accorder à certains d’entre eux un permis de séjour "à caractère humanitaire". Pour l’opposition de centre-gauche, le message est clair : le gouvernement maintient le cap de la fermeté et c’est un gage donné à la Ligue du Nord.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-373850,0.html