Accueil > Musique et internet : la charte ne règle en rien la question du filtrage

Musique et internet : la charte ne règle en rien la question du filtrage

Publie le jeudi 29 juillet 2004 par Open-Publishing

Par Estelle Dumout

C’est en grande pompe qu’après des mois de querelle stérile, les acteurs de la musique et de l’internet ont signé une charte de réconciliation. Mais la question centrale, celle du filtrage préventif, ravivera les hostilités dès la rentrée.

PARIS - La hache de guerre semble enterrée entre l’industrie du disque et les fournisseurs d’accès internet (FAI). C’est en tout cas le message que se sont efforcés de faire passer l’ensemble des associations professionnelles impliquées dans la polémique sur le piratage de musique sur internet, réunis le 28 juillet à Paris dans la légendaire salle de spectacles du boulevard des Capucines, l’Olympia.

Ils y ont tous signé solennellement une « Charte d’engagements pour le développement de l’offre légale de musique en ligne, le respect de la propriété intellectuelle et la lutte contre la piraterie numérique » (à consulter ici au format PDF). Un spectacle savamment orchestré par le ministre de l’Économie et des Finances, Nicolas Sarkozy, en présence de son collègue à la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, et de son adjoint à l’Industrie, Patrick Devedjian.

Cette paix des braves a été longue à se dessiner, après des mois de polémiques stériles entre les deux camps. Les dernières négociations ont été âpres, jusque tard la nuit dernière, de l’aveu même de nombreux participants rencontrés dans les travées de l’Olympia. C’était compter sans la détermination de Nicolas Sarkozy, qui a repris le dossier en cours et accéléré les manœuvres afin que tout soit bouclé avant les vacances du gouvernement. « Je me réjouis beaucoup de votre empressement à signer [ce texte], […] car les locations commencent le 1er août, et pour moi aussi », a-t-il plaisanté.

« Même si tout n’est jamais parfait dans une négociation », la charte signée ce jour est une « réelle avancée », selon le ministre de l’Économie. Il s’agit « d’un point de départ », pour son homologue de la Culture, qui a d’ores et déjà fixé de nouveaux objectifs pour la rentrée : élargir cette concertation à d’autres acteurs, et en priorité à l’industrie cinématographique, dont la problématique en matière de distribution en ligne diffère quelque peu de celle de la musique.

Les artistes interprètes manquent à l’appel

Même satisfaction affichée tant par les fournisseurs d’accès internet (FAI) que par l’industrie musicale et les société civiles d’ayants droit : « Cette charte est une première étape importante, car elle marque la première action de concertation positive entre les deux industries », s’est félicitée à la tribune Marie-Christine Levet, présidente de l’Association des fournisseurs d’accès et de services internet (AFA). Gilles Bressand, président du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), principal interlocuteur du côté des maisons de disque, a résumé le tout : « Enfin, nous y sommes ! »

Manquent toutefois à l’appel les deux principaux représentants des artistes interprètes, l’Adami et la Spedidam. Cette dernière a exprimé ses « réserves » sur le contenu de cette charte. Elle a dénoncé « un hypothétique et inquiétant filtrage des contenus échangés sur internet » et « refuse de qualifier de telles pratiques comme étant de la piraterie ». Rappelons que la Spedidam milite depuis de nombreux mois, avec l’Adami, pour la création d’une "licence légale", calculée sur le prix de l’abonnement à un FAI, qui permettrait selon elle de légaliser les échanges via les réseaux P2P.

Concrètement, les principales mesures tournent autour de trois axes, conformément à ce qui avait déjà été annoncé la semaine dernière : pédagogie, promotion des offres légales et répression des actes de contrefaçon. Un comité de suivi se réunira tous les deux mois pour dresser le bilan de cette coopération. C’est sur ce dernier volet répressif que les positions ont été le plus difficiles à concilier. Comme nous l’avons déjà expliqué, les FAI ont accepté, sous la pression de l’industrie du disque, de coopérer plus activement à la lutte contre l’échange de fichiers protégés : ils s’engagent à adresser un message d’avertissement à tout internaute repéré par un ayant droit en train d’offrir ou de télécharger illégalement ce type de fichiers ou à suspendre, sur requête d’un juge, l’abonnement d’une personne condamnée pour contrefaçon.

Aucun engagement concret des FAI sur le filtrage

En revanche, derrière le consensus général, il apparaît clairement que la question cruciale du filtrage des réseaux peer-to-peer, réclamé par le Snep, n’est toujours pas tranchée. L’industrie du disque a marqué un point début juillet, en fournissant une étude censée prouver la faisabilité technique et économique d’un tel filtrage.

Sur la base de ces résultats, Patrick Devedjian a nommé deux experts chargés d’étudier « ces propositions de filtrage, mais aussi les solutions d’interopérabilité des systèmes de distribution de la musique ». Il s’agit de Gilles Kahn, président de l’Institut national de la recherche en informatique (Inria) et d’Antoine Brugidou, responsable des activités Service Public au sein de la société de conseil Accenture.

Le texte de la charte précise ensuite que si ces deux experts l’estiment nécessaire et possible, sur les plans techniques et économiques, des expérimentations pourront être menées via un ou plusieurs fournisseurs d’accès. Leurs premières conclusions devraient être rendues d’ici début octobre. « Un bilan de l’expérimentation est établi de manière à proposer […] le bénéfice d’un de ces systèmes aux abonnés qui le souhaitent », poursuit la charte. Car le principe de base retenu repose, quoiqu’il arrive, sur l’activation volontaire du filtre par l’internaute.

A priori, les fournisseurs d’accès semblent donc avoir perdu la partie sur ce sujet. Stéphane Marcovitch, délégué général de l’AFA, confie à ZDNet que « l’on peut envisager que le filtre se situe sur les serveurs des FAI, pourvu que l’activation se fasse à la demande de l’internaute ». Une idée qu’il réfutait encore, pourtant, la semaine dernière...

Toutefois, comme le fait habilement remarquer Michaël Boukobza, directeur général d’Iliad, la maison mère de Free, la formulation de la charte « est restée volontairement ouverte ». Rien dans la charte n’oblige les prestataires techniques à utiliser un filtre, même si les conclusions des experts et des expérimentations sont positives. Et c’est d’ailleurs ce que regrette Jérôme Roger, directeur de la société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) : « Nos efforts ont enfin abouti sur des engagements réciproques, mais les FAI refusent encore de s’engager sur la mise en œuvre du filtrage dès lors qu’il serait jugé efficace et opérationnel par les experts. »

http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39163417,00.htm