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Triste réalité, démagogie et affabulation(s)

Publie le jeudi 29 juillet 2004 par Open-Publishing
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ZeDrX

La messe est dite :
la jeune mythomane qui avait mis toute la France médiatique
et politique en émoi a été jugée fissa et condamnée pour l’exemple à une peine
relativement légère assortie d’une obligation de soins.

On se dit que décidement cette Marie-là ne fera pas l’objet de l’admiration des
foules, tant son geste puéril et irresponsable provoque la consternation. A lire
l’histoire personnelle de cette jeune fille, relayée par tant de journaux ces
derniers temps, on a l’impression d’une vie gâchée, du geste de trop de la part
d’une âme en souffrance déconsidérée par ses proches.

Enfin, cette triste affaire aura surtout été le déclencheur d’une écoeurante
campagne médiatique qui a vu le landernaü politique se livrer à un concours de
déclarations compassées et indignées, répondant une fois de plus au manichéisme
le plus simpliste qu’il soit.

"La France, pendant la guerre de 40, a été le seul pays qui ait donné des enfants à déporter. Et maintenant on laisse des gens se faire attaquer comme ça sans réagir, sans rien faire"

Le summum de la démagogie a peut-être été atteint avec cette déclaration de Jean-Paul Huchon, président PS de la région Ile-de-France. Il est vrai que le PS est en campagne électorale, visant déjà les présidentielles de 2007, et essaye de redorer son image écornée par la polémique sur l’attitude supposément laxiste du gouvernement Jospin vis-à-vis de la résurgence de l’antisémitisme en France, épouvantail déjà agité par un Sarkozy calculateur après son voyage aux Etats-Unis fin avril.

Que le chef de l’Etat ait embrayé sur ce fait divers dès le soir de la supposée agression, sans recul et manifestant ainsi légèreté et imprudence, n’est finalement que la manifestation d’un opportunisme classique chez Jacques Chirac qui a pour habitude de faire feu de tout bois afin de se faire bien voir des foules qui le réélisent mandat après mandat en dépit de tout ce que l’on peut savoir sur le personnage aujourd’hui. Qu’il soit suivi sans état d’âme par ses ministres Dominique de Villlepin et Nicole Guedj ne relève après tout que du fonctionnement discipliné de la machine gouvernementale. Et l’on est malheureusement habitué à ce que le monde politique fasse montre d’une telle précipitation, étant intrinsèquement voué à la flatterie de ses diverses clientèles électorales.

Pour les médias, c’est une nouvelle fois le discrédit le plus total. Un tel emballement médiatique suivi d’un tel flop fait immanquablement penser à l’éclatement d’une bulle de savon. La cerise sur le gâteau, ce sont les fausses excuses qui ont suivi après la révélation de la supercherie : après le c’est-pas-nous-c’est-la-faute-au-gouvernement, certains des plus grands journaux nous ont expliqué sans honte que le fait d’avoir fait autant de bruit médiatique pour rien n’était en fait pas si grave puisque la cause est juste et que de toute façon l’antisémitisme ça existe. Moi je me souviens d’une histoire qui m’avait marqué l’esprit quand j’étais petit, un conte sur un petit berger farceur intitulé "Le garçon qui criait au loup"...

Les médias sont friands de ce genre d’histoires qui permettent d’exposer la face obscure de notre société, de livrer au voyeurisme de tout-un-chacun le miroir déformant constitué de faits divers répugnants, qui choquent la conscience collective mais la façonnent aussi, pour le meilleur comme pour le pire.

Ici, le sujet est sensible et le terreau fertile : antisémitisme, mal qui ronge notre société en même temps que fantasme agité comme un chiffon rouge par des personnalités politiques en quête de légitimité, tabou omniprésent dans la société française et catalyseur de toutes les bêtises et de toutes les angoisses.

Je n’ai jamais compris l’antisémitisme, comment on pouvait être capable de détester quelqu’un à l’avance, juste en raison de sa religion, de sa culture, de son appartenance à un groupe particulier. En fait, je comprends mieux la peur des petites vieilles qui serrent leur sac à main dans la rue à la vue de grands gaillards noirs ou arabes : après tout, ils sont différents, n’ont pas la même couleur de peau. On dit même qu’ils ont une religion arriérée, violente et fanatique, qu’ils voilent leurs femmes après les avoir violées dans les caves de leurs cités bâties dans des banlieues sauvages livrées à l’anarchie tribale. Qu’ils complotent, forment des réseaux secrets, fabriquent des bombes pour les candidats au suicide désireux de se faire exploser au beau milieu de notre fragile démocratie décidement bien en danger. C’est qu’on en a entendu beaucoup de clichés racistes ces derniers temps...

Il a suffi d’une première dépêche AFP relatant la supposée agression de "Marie L." par quatre Arabes et deux Noirs pour que l’ensemble de la classe politique et des médias sonnent l’hallali contre la communauté arabe - voire arabo-musulmane comme on l’appelle aujourd’hui - , les nazis de banlieue (sic) et autres admirateurs du Hamas (re-sic), bref la multitude des islamo-terroristes banlieusards fous qui nous menacent de toutes parts... Déjà, en juin dernier, les journaux s’étaient emballés suite à l’agression au couteau du jeune Israël Ifrah à Epinay, qualifiée immédiatement d’antisémite, omettant au passage de signaler que six personnes en tout - de toutes origines et de toutes confessions - avaient été attaquées par le même homme qui s’avèrera après son arrestation être un déséquilibré mental. Cette fois, l’affaire n’était pas montée aussi haut et avait été rapidement étouffée après quelques explications circonstancielles embrouillées.

N’est-il pas anormal qu’une telle erreur se répète deux fois à un mois d’intervalle ? Que penser d’une démocratie où les médias deviennent collectivement hystériques à la moindre bribe d’information pour le moins suspecte et non corroborée par des témoins ou des enquêteurs ? Il est navrant de voir les grands journaux de référence se comporter comme des tabloïds à sensation et encore plus navrant de constater par la suite leur absence de remord qui traduit une si grande arrogance et un mépris certain quant à leur mission première qui est d’informer les individus sur la base d’informations saines et recoupées.

Si les médias n’en finissent pas de se ridiculiser et perdre ainsi ce qui leur reste de crédibilité - la liste est déjà longue pour cette seule année 2004 en matière de bidonnages et autres ratés médiatiques - , l’impact sur la société française est également dramatique et la liste des victimes s’allonge : d’un côté effectivement les juifs qui malheureusement subissent une résurgence de l’antisémitisme sur le terrain et courent le risque de ne plus être écoutés et d’apparaître comme des sortes de privilégiés d’un racisme multiforme. De l’autre des populations maghrébines stigmatisées comme violentes et fanatiques. La lutte antiraciste apparaît ainsi à plusieurs vitesses qui fustige aussi spectaculairement les actes antijudaïques qu’elle laisse se banaliser dans l’indifférence les pratiques discriminatoires dont sont victimes les populations d’origine étrangère, notament africaine et maghrébine. On comprend que ces derniers soient en colère.

L’ambiance est bien délétère ces temps-ci au sein des communautés arabes et juives. Il a pourtant suffi d’une même barbarie profanatrice dans deux cimetières d’Alsace, l’un juif et l’autre musulman, pour rappeler que les deux sont confrontées au même mal. La haine de l’autre et de la différence. Il est hélas plus facile pour certains politiciens, représentants d’associations et de communautés et autres professionnels du discours moralisateur et de l’emphase républicaine et humaniste de désigner les boucs-émissaires, d’atomiser la société en groupes ethniques et religieux antagonistes, d’importer des conflits lointains dans notre pays afin de servir de paravent à l’abandon de populations entières dans leurs quartiers délabrés.

Aux côtés de la vieille démagogie européenne antijuive qui a perpétré ses massacres et ses pogroms tout au long des siècles, jusqu’à l’horreur finale hitlerienne, émerge à nouveau aujourd’hui l’ancienne démagogie antiarabe, celle des Croisades, des fantasmes orientalistes puis des guerres coloniales et de l’exploitation des immigrés dans les usines des Trente Glorieuses. Au vieil antisémitisme chrétien s’ajoute aujourd’hui le nouvel antisémitisme arabe issu de la contemplation impuissante des malheurs de la Palestine, de l’annihilation lente et inexorable de ces Territoires Occupés qui ressemblent si étrangement aux banlieues-ghettos délaissées de la France. Au racisme antiarabe très présent dans la société française s’ajoute aujourd’hui la peur et la haine de ceux qui rejouent les drames des attentats anti-israéliens sur notre sol et voient dans leurs concitoyens musulmans des monstres sanguinaires prêts à tout.

Et pendant ce temps-là, on continue de cracher dans les bus sur de jeunes juifs aux cris de "sale feuj" et on continue également de bastonner impunément des arabes et des noirs sans que cela ne fasse la une des journaux.

http://zedrx.blogspot.com/2004/07/triste-ralit-dmagogie-et-affabulations.html

29.07.2004
Collectif Bellaciao

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