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Cesare Battisti, une ligne de vie à l’encre noire

Publie le samedi 31 juillet 2004 par Open-Publishing

de Nicolas Verdan

« Aujourd’hui, le révolté ne tape plus son destin sur la machine à tuer. Il l’étend raide sur le papier »

« Battisti, tu veux dire le criminel ? » Il a fallu se rendre à l’évidence. Cesare Battisti n’est pas seulement un romancier de talent. L’Italie voit en lui un terroriste comme ceux qui plombèrent ses années de démocratie dite chrétienne. Aujourd’hui, avec le concours de ses amis français, il se bat contre une extradition qui lui vaudrait la prison à vie dans le pays de ses origines. Tout ça, on le savait en glissant dans le sac de voyage une de ses œuvres, Avenida Revolución, paru en 2001. A force d’entendre parler du Battisti criminel, le Cesare romancier en devenait intrigant. Et là, même si Giulia n’en veut rien savoir, on s’avoue séduit par ce roman noir aux effluves de marijuana, réverbérant les radio songs de Manu Chao.

Inutile d’en rajouter. La soirée avait bien commencé sur la terrasse de Mila, une amie italienne en exil estival dans les Cyclades. Or, là, après ce cri poussé par Giulia, les aventures extraordinaires d’Antonio Casagrande, le petit comptable milanais traversant le Mexique en camping-car, tourneront court. Fouettées par le vent du soir, les pages du livre de Battisti claquent avec insolence. Mila ne dit rien. Elle sourit, laissant s’exprimer toute l’indignation de sa compagne Giulia qui fixe maintenant l’objet relié comme s’il s’agissait de l’arme avec laquelle Cesare Battisti aurait blessé puis abattu un boucher de Vénétie. C’était au milieu des années septante. Giulia était encore une enfant quand les extrêmes de la gauche et de la droite terrorisaient l’Italie. Mila, quant à elle, devait avoir le même âge que Battisti. Et de protester, doucement, sans se départir de son amusement face à la colère de sa jeune amie. « On parle du romancier, voyons ! »

Le romancier, oui, bien entendu. Mais Giulia a trouvé les mots pour semer le doute. Comme quoi, ce roman tant apprécié a quand même été signé par un type qui maniait le 357 Magnum avant la plume. Pourtant, lové entre la carafe de vin blanc et l’assiette de poivrons à l’huile d’olive, sur la table de Mila, ce bouquin a des airs de vacances. Il est même comme une promesse de livre de chevet. A la lumière de la veilleuse, sous la moustiquaire, on y décèlera toutefois de nouvelles ombres : « Désormais, un mur s’élevait entre lui et Milan. Le longer sans irritation deux fois par jour, c’était le minimum. Et le fracas produit par ceux qui tentaient de l’enfoncer sans même sans rendre compte suscitait parfois sa compassion. Antonio hasardait parfois un coup d’œil circulaire et poussait un soupir. Que faire d’autre ? Le mur de Milan était un charnier. Humide en plus. »

De quoi faire horreur à Giulia la Milanaise. Mais elle n’en saura rien. Elle ne lira pas Battisti. Des fois qu’elle aurait pensé la même chose que lui sur cette ville qu’elle, aussi parfois, sait haïr. De la bouche d’un autre romancier, elle aurait tout pu entendre sur l’Italie et ses cités berlusconiennes. D’un terroriste jugé non repenti par toute la Péninsule, jamais !

Antonio Casagrande poursuivra donc son périple mexicain dans l’indifférence de Giulia et de ses compatriotes. Ils ignoreront tout de sa révolution mexicaine. Ils ne le verront pas se heurter à la féroce douane étasunienne. Alors, pas un lecteur italien pour le voir faire tomber le mur de la honte séparant les deux Amériques ? Non. Ni pour voir Tonio réunir les gamins des rues et tout ce que Tijuana compte de clandestins pour les exhorter à déféquer devant les gardes-frontière : « Gate keeper x’c America, vamos a cagar compañeros ! »

Battisti a seulement changé d’armes. Son livre en témoigne, il n’a pas renoncé à renverser l’ordre du monde. Aujourd’hui, le révolté ne tape plus son destin sur la machine à tuer. Il l’étend raide sur le papier. Il fut un président français pour lui donner cette opportunité de se battre autrement. François Mitterrand lui avait accordé l’asile, sans l’absoudre pour autant de ses crimes. Désormais, cette parole est remise en cause. Elle n’a, semble-t-il, pas force de loi. C’est pourtant tout ce qu’il reste à ce terroriste d’hier : une parole, des mots. Déjà beaucoup. C’est avec ça qu’il a construit sa liberté. Lisons Cesare Battisti.

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