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Réflexions sur le pouvoir

Publie le jeudi 14 mai 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

Du Pouvoir

Il faut détenir une sacrée dose d’orgueil, beaucoup de suffisance pour prétendre au pouvoir tel qu’il existe depuis la nuit des temps. Le pouvoir même sous ses apparences démocratiques de l’époque contemporaine reste pour l’essentiel le pouvoir personnel et personnifié dans des figures emblématiques, représentants d’une classe ou d’une caste. L’homme de pouvoir produit deux prototypes : l’homme d’Etat à la forte ambition et la petite crapule au médiocre dessein. Tous deux savent qu’ils doivent fouler au pied les idéaux dont ils se réclament, déjouer les pièges de leurs adversaires, et les assassiner mentalement pour se forger le caractère intransigeant et décidé que la mission qu’ils se sont donnée exige. Mentalement ? Seulement selon les circonstances, car l’Histoire prouve que de la pensée aux actes, il n’y a que quelques bourreaux qui séparent le criminel de la victime puisqu’en dernière instance la fin justifie les moyens.

L’homme du pouvoir est un tueur, mais ce qui le distingue du malfrat ordinaire c’est qu’il est stratège. La petite crapule, elle, peut parvenir au pouvoir mais n’y reste longtemps que si elle a su reproduire ses us et coutumes maffieux dans la hiérarchie de l’Etat. L’ homme d’Etat, lui, est un stratège de haut vol. Il connaît l’art de la guerre sociale avec ses méthodes, ses manipulations mais surtout il a l’intuition de l’opportunité, de l’occasion. L’homme d’Etat est un génie de la politique. Il réussit le tour de passe-passe d’apparaître ordinaire et donc humain et pourtant au-delà des contingences terrestres, presque proche des dieux. La petite crapule n’atteint jamais ces hauteurs, médiocre en humanité, elle est incapable de susciter le rêve, l’espoir, la grandeur. Tout au contraire l’homme d’Etat, figure vivante de la puissance doit aussi savoir produire l’illusion d’un changement espéré afin que la domination de classe se perpétue, en somme que les affaires continuent. Ainsi donc est la matrice séculaire de notre condition politique. Seule la révolution communiste brisera le moule abject de celle-ci. La petite crapule et l’homme d’Etat, ces criminels historiques seront enfin anéantis par le triomphe grandiose de la démocratie !

Jean-Paul Legrand

http://creil-avenir.com

Messages

  • Bonjour,

    Je me permets de citer tout de suite (parce que ça éclairera je pense la suite de mes élucubrations..) un extrait fameux de M Weber in "Le savant et le politique" :

    "Le pouvoir politique, c’est le monopole de la violence légitime".

    Et j’adjoins celle ci (Carl Schmitt "La Notion de politique et la Théorie du Partisan") :

    "Aussi longtemps qu’un peuple existe dans la sphère du politique, il devra opérer lui-même la distinction entre amis et ennemis, tout en la réservant pour des conjonctures extrêmes dont il sera juge lui-même. C’est là l’essence de son existence politique. Dès l’instant que la capacité ou la volonté d’opérer cette distinction lui font défaut, il cesse d’exister politiquement."

    En fait , cette réflexion que tu nous livres, c’est plutôt une réflexion sur les hommes de pouvoir (et...les femmes de pouvoir ça existe aussi), pas vraiment sur "le pouvoir" . Voire même sur les "politiciens" ou pire les "politicards" (appelons un chat un chat ?)

    Bon, il y a beaucoup de sujets soulevés très intéressants et qui sont de vraies questions mais de mon point de vue je trouve qu’il y a aussi qq assimilations ou imprécisions qui nuisent un peu au propos.

    Par exemple la réflexion sur la reproduction des us et coutumes maffieux au sein de l’Etat - on peut se dder si l’Etat "moderne" comme disent les journaux, ie pour nous capitaliste, n’est pas en soi corruptible, corrompu par essence ? donc si ce n’est pas plutôt de devoir savoir s’adapter ou faire avec les pratiques maffieuses DANS l’Etat (national et local) qui compte ?

    Je regrette qu’aucune place ne soit réservée aux êtres humains qui forment et représentent leur classe et qui sont obligés de se confronter au pouvoir de manière à la fois passive (pouvoir subi) et active (pouvoir à prendre). Je ne crois pas à la politique sans pouvoir, mais bien sur cela dépend de ce qu’on entend par pouvoir, et également par "politique". De mon point de vue le pouvoir tel que nous devons l’envisager est une traduction du vouloir.

    C’est ce qui nous différencie par exemple de certains mouvements purement contestataires mais sans volonté de "pouvoir".

    Même les anarchistes, ont , de mon point de vue , à se confronter avec cette notion et à en faire leur part. Parce qu’il n’y a pas que "pouvoir sur autrui" mais aussi, pouvoir sur les choses et pouvoir sur l’histoire, je pense. Et lorsqu’on se bat contre un ennemi (de classe) on est bien dans une dialectique de pouvoir ?

    Oui oui bien sur, "le pouvoir est maudit"...si on le prend sans immédiatement le renverser pour le changer et en substituer un autre plus conforme plus en correspondance avec nos objectifs. Mais ce qu’entendait L. Michel par là c’est bien l’exercice bourgeois du pouvoir bourgeois parce que dans un cadre bourgeois, enfin, je pense. Parce qu’enfin, quand Louise Michel était sur les barricades avec un fusil, elle était bien en relation direct avec le pouvoir même si c’ était dans la contestation de ce pouvoir ("qui est au bout du fusil" comme disaient les Mao...) ?

    Comment faire abstraction du pouvoir dans la lutte de classe, lutte qui implique conflit, qui implique rapport de force, qui implique pouvoir ?

    Je veux dire que le vouloir être libre c’est nécessairement se donner le pouvoir de l’émancipation, non ?

    Ensuite je ne suis pas convaincue par l’assimilation pouvoir/puissance (ou "puissant") ni par l’assimilation "homme d’État"/homme de pouvoir.

    Donc je comprends bien que ce qui est visé ici c’est plutôt "la politique politicienne", le pouvoir pour le pouvoir et non le pouvoir comme nécessité, comme contingence préalable à l’émancipation.

    Pour dire les choses clairement , ce qui me gêne un peu avec cette réflexion fort intéressante , c’est qu’en la poussant à fond, on fait à nouveau l’impasse de la question de l’Etat pour nous, comme si notre révolution ne pouvait être qu’une violente suppression de tout Etat.

    Je crois que la question de l’Etat socialiste, état de transition vers le communisme, doit être reposée, indépendamment, autrement, de ce qu’on a connu avec l’URSS post léniniste, mais aussi, à la lumière de la tragique fin de l’expérience anarchiste espagnole anti franquiste par exemple.

    Je pense qu’une réforme profonde de la conception même de l’Etat (et je ne parle donc pas d’aménager l’Etat bourgeois par une X ième "constitution") serait sans doute plus révolutionnaire que mille velléités de voir "disparaître" un Etat du jour au lendemain.

    Et c’est là justement que la réflexion sur le pouvoir reprend toute sa place, parce qu’une telle expérience de création d’un État réellement , profondément socialiste, ne sera pas viable ni pérenne dans un monde capitaliste si nous ne savons pas ce que doit être le pouvoir pour NOUS, selon nous, comment il doit être pris et compris, si ce que nous avons à offrir comme liberté n’est pas plus avantageux pour chacun de notre classe et de nos alliés de classe que ce que les marchands de Coca Cola et de canons ont à proposer...

    Et là on retombe sur la question de la culture, de l’éducation, de l’enseignement, comme seules armes fondamentales pour que la liberté se défende d’elle même

    Mais il ne tient qu’à nous de réfléchir aux mécanismes nouveaux permettant de lutter contre la corruption qu’exercerait le pouvoir en soi, il ne tient qu’à nous de définir ce qu’est le pouvoir pour des socialistes révolutionnaires, des communistes. Se posera donc fatalement la question de la bureaucratie et de la police, également.

    Ainsi donc est la matrice séculaire de notre condition politique. Seule la révolution communiste brisera le moule abject de celle-ci. La petite crapule et l’homme d’Etat, ces criminels historiques seront enfin anéantis par le triomphe grandiose de la démocratie !

    Sur ce dernier point, je ne suis pas d’accord - de mon point de vue , si nous ne commençons pas par briser ce moule (dans les têtes, dans les actes et dans nos organisations ou supposées telles) il n’y aura pas de révolution communiste, jamais.

    C’est une vision mystique, religieuse de la révolution (dont nous sommes presque tous, nous communistes, "dépendants" même à "notre corps défendant" et contre laquelle nous devons lutter chaque jour - et c’est normal, car tous les grands penseurs ont démontré que l’essence de la modernité politique était profondément religieuse -)

    ça commence avec Saint Augustin et "la Cité de Dieu"

    « Deux amours ont donc fait deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste. L’une se glorifie en elle-même, l’autre dans le Seigneur. L’une demande sa gloire aux hommes ; pour l’autre, Dieu témoin de sa conscience est sa plus grande gloire. L’une dans sa gloire dresse la tête ; l’autre dit à son Dieu : « tu es ma gloire et tu élèves ma tête ». L’une dans ses chefs ou dans les nations qu’elle subjugue, est dominée par la passion de dominer ; dans l’autre, on se rend mutuellement service par charité, les chefs en dirigeant, les sujets en obéissant. L’une, en ses maîtres, aime sa force ; l’autre dit à son Dieu : « je t’aimerai Seigneur, toi ma force . » (XIV, 28)

    On pourrait presque remplacer dans cette conception qui nous oppresse le "Notre Père qui êtes aux cieux..." par :

    "Révolution qui êtes au cieux que votre règne vienne que votre volonté soit faite et ne nous soumet pas à la tentation mais délivre nous du mal".

    Je crois qu’un de nos problèmes en France, c’est qu’on a trop tendance à investir la Révolution (figure mythologique, fiction tant qu’elle est en mots) de la même attente messianique que les fascistes par exemple, sur l’homme providentiel.

    Nous notre Providence, notre Salut, ce n’est pas tant, au fond, un homme fort, "l’homme providentiel" de Max Weber, c’est "la Révolution"...

    Et bien je pense qu’on doit se défaire absolument d’une part de cette éducation chrétienne (au sens strict) - et c’est pour cela qu’être laïque est insuffisant pour être socialiste révolutionnaire je pense, et que la "fréquentation" de certains penseurs anarchistes est nourrissante aussi de ce point de vue, et d’autre part, de se défaire ce fantasme, de cette fiction - la Révolution n’est pas un "existant" qui planerait dans l’éther en attendant d’avenir "au bon moment".

    Elle n’est ni nécessairement socialiste ou communiste, ni "advenante"tout court d’ailleurs. La Lutte des classes peut parfaitement ne pas accoucher de la révolution, en d’autres mots. Et d’ailleurs cela Marx et Engels l’envisagent dans "Le Manifeste" mais on l’oublie très souvent ...

    La révolution, elle est à construire une fois renversée la classe auparavant dominante, la bourgeoisie, une fois saisi l’appareil d’Etat dans son entier, et l’Etat bourgeois n’est pas détruit par la simple magie de notre "accession aux manettes", il est à détruire par nous dès que nous plantons le drapeau rouge au fronton de l’Assemblée nationale et du Conseil d’Etat, dès que nous prenons l’Elysée.

    Or comme la nature a horreur du vide, pour le détruire il faut proposer autre chose à la place.

    Non pas qui en fasse office, non pas qui en tienne lieu, mais que nous aurons créé. Ce qui implique de mon point de vue que nous l’aurons réfléchi soigneusement auparavant (ce que nous avons cessé de faire depuis 40 ans, en tout cas, en France, en nous balançant désormais entre "acceptation pure et simple de l’Etat bourgeois" et "suppression totale de tout type d’Etat par la pure magie de la Révolution").

    C’est cela que j’aime chez un Fidel Castro - une fois Cuba "reprise" aux impérialistes, il a dit, je ne sais plus comment exactement, mais, en gros, "c’est maintenant que la révolution commence et elle ne peut pas finir, maintenant que le plus dur est à venir".

    Ce qui le distinguait d’un Guevara, qui ne tenait pas en place et était un pur guerrier.

    C’est là que je dis on ne peut pas être révolutionnaire sans être aussi réformateur (et j’ai pas dit réformiste...)

    A (pour)suivre donc,

    Fraternellement à toi,

    La Louve

    Ps : Évidemment, désolée si j’ai mal compris - ce qui sera sans doute le cas - ton propos.