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Alerte aux attentats, Bush joue avec le feu

Publie le mercredi 4 août 2004 par Open-Publishing

Les Etats -Unis ont relevé le niveau d’alerte, mais ont tardé à admettre que les informations dont ils disposent datent de plusieurs années.
Alerte aux attentats, Bush joue avec le feu

de Pascal RICHE

En convoquant les journalistes vedettes des plus grandes chaînes de télévision dimanche soir, pour annoncer une nouvelle alerte aux attentats, l’administration Bush en a fait un peu trop. Tom Ridge, le secrétaire à la Sécurité du territoire, avait fait état d’informations « détaillées » et « d’une précision rare » : des documents prouvant qu’Al-Qaeda s’intéressait aux immeubles de la Banque mondiale et du FMI à Washington, au siège de la banque Citigroup à New York et à celui du groupe Prudential à Newark (New Jersey). Mais hier, plusieurs journaux ont révélé que ces informations étaient en réalité vieilles de plusieurs années. Elles ont été retrouvées sur un disque dur d’ordinateur après les arrestations au Pakistan de Mousaad Arouchi, importante figure d’Al-Qaeda, puis le 13 juillet de Muhammad Naeem Noor Khan, un informaticien lié à ce groupe. Selon le New York Times et le Washington Post, l’essentiel des plans, photos, croquis, etc., remontait à avant le 11 septembre 2001. Et il n’est « pas sûr » que les surveillances des immeubles aient continué depuis. Les services américains, en tout cas, n’ont trouvé aucune preuve concrète qu’un complot était en préparation. « Nous savons qu’il s’agit d’une organisation qui planifie ses attaques à l’avance », s’est justifié Tom Ridge hier.

Piqûre de rappel. Les ténors démocrates, à commencer par John Kerry, font mine d’approuver la décision de relever le niveau d’alerte. Ils ne veulent surtout pas donner l’impression qu’ils sous-estiment le risque terroriste. En privé pourtant, ils ne se privent pas de pester. Le passage de l’alerte jaune (risque moyen) à l’orange (risque élevé), est, pour eux, cousu de fil blanc : au lendemain de la convention démocrate, l’administration Bush n’avait-elle pas tout intérêt à détourner l’attention des Américains ? L’alerte permet par ailleurs de donner à l’opinion une piqûre de rappel, afin que personne n’oublie les dangers qui menacent l’Amérique. Pour enfoncer le clou Bush a annoncé lundi la création d’un poste de directeur national du renseignement qui coordonnera les différents services. Dans le Rose Garden de la Maison Blanche, lundi, le Président a évoqué l’obligation qu’il avait de lancer de telles alertes : « Quand nous trouvons quelque chose, nous devons le partager. Et nous parlons ici d’une affaire très sérieuse, fondée sur des renseignements solides. » Avec un certain aplomb, Bush a même ajouté : « Si nous étions silencieux, je pense que les gens seraient encore plus nerveux. »

Malaise. Il est difficile de ne pas prêter des arrière-pensées électorales à l’administration Bush, toujours prompte à appuyer sur le bouton « peur » quand elle traverse une mauvaise passe politique. Pourquoi avoir invité les journalistes vedettes à la conférence de presse ? « Parce que Tom Ridge les connaissait », répond-on maladroitement dans l’entourage de ce dernier. Pourquoi avoir attendu avant de reconnaître que les informations en cause étaient vieilles de quatre ans ? Pourquoi avoir donné cette conférence un dimanche soir, si ce n’est pour faire les manchettes des journaux du lundi ? Un autre épisode vient accroître ce malaise : l’arrestation, la semaine dernière au Pakistan, de l’un des terroristes d’Al-Qaeda les plus recherchés, le Tanzanien Ahmed Khalfan Ghailani. Un hebdomadaire américain, The New Republic avait prédit cette prise. Il y a quelques semaines, il avait révélé que l’administration Bush faisait pression sur le Pakistan pour que l’arrestation d’un terroriste important ait lieu pendant la campagne, et si possible « les 26, 27 ou 28 juillet », c’est-à-dire pendant la convention démocrate...

De l’autre côté de l’Atlantique, la Grande-Bretagne a réagi très différemment. L’ordinateur de l’informaticien d’Al-Qaeda recelait également des informations concernant des sites en Angleterre. Mais à Londres, le niveau d’alerte n’a pas été relevé : « Nous le ferions si c’était le meilleur moyen de protéger la communauté face à une menace crédible », a commenté une porte-parole du ministère de l’Intérieur. Une phrase qui, en creux, ressemble à une critique du « show » américain.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=228332