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M. Bush userait de la menace terroriste comme "carte" électorale

Publie le mercredi 4 août 2004 par Open-Publishing

de Sylvie Kauffmann

Depuis l’alerte décrétée dimanche, la polémique enfle sur l’usage de la peur à des fins politiques en vue du scrutin présidentiel de novembre. L’actualité des plans d’attaque de centres financiers à New York et Washington par Al-Qaida est mise en doute par la presse et des démocrates.

George Bush exploite-t-il plus que de raison le filon de la peur à des fins électorales ? La question, qui a toujours trotté dans la tête de certains démocrates sans qu’ils osent s’en inquiéter trop haut, est désormais ouvertement posée aux Etats-Unis.

Le doute a commencé à s’installer dès la nouvelle alerte lancée dimanche 1er août par le secrétaire à la sécurité intérieure, Tom Ridge, sur de possibles attentats terroristes contre les institutions financières sur le territoire américain. Trois jours après la clôture de la convention démocrate, avec en point d’orgue un discours très ferme et très médiatisé de John Kerry sur la force de l’Amérique, la date tombait en effet à pic pour permettre à l’administration Bush de reprendre l’initiative en matière de sécurité. Certains sondages donnaient un léger avantage à M. Kerry sur M. Bush, et l’un d’entre eux, en particulier, révélait que le problème de crédibilité dont souffrait le candidat démocrate en matière de lutte contre le terrorisme était presque surmonté.

"DÉTAIL ET PRÉCISION"

Mais les renseignements "nouveaux" et "alarmants" sur lesquels Tom Ridge déclarait fonder cette nouvelle alerte dissuadaient, dans un premier temps, les mauvais esprits de s’exprimer. "Sur une échelle de 1 à 10, la qualité de ces renseignements est de 10", avait proclamé Tom Ridge sur l’un des shows télévisés les plus regardés du dimanche matin. Habitués à franchir différents paliers d’anxiété depuis le 11 septembre 2001 au gré des couleurs des alertes - orange, rouge -, les Américains renouaient avec la peur et les mesures de sécurité accrues.

Lundi 2 août pourtant, c’est de la bouche même d’une collaboratrice de la Maison Blanche que les interrogations les plus légitimes sont sorties. Questionnée par le présentateur de l’émission d’information "The News Hour" sur la chaîne publique PBS, Frances Townsend, conseillère en sécurité intérieure auprès du président Bush, explique sereinement que les renseignements sur la base desquels cette nouvelle alerte a été lancée "ont été collectés en 2000 et 2001". "Il semble que certains d’entre eux aient été actualisés en janvier, mais ce n’est pas clair, ajoute-t-elle. Il est impossible de dire, à partir de ces renseignements, si les individus - soupçonnés de vouloir commettre des attentats - sont encore là". Le journaliste, Jim Lehrer, se fait plus pressant, demande des précisions, que Mme Townsend est incapable de fournir. "Alors, s’étonne-t-il, vous n’avez donc aucune information sur des noms, des visages, ou d’autres choses concrètes ?"

Conscient des risques que comportent des attaques frontales contre la politique antiterroriste de l’équipe Bush, John Kerry s’abstient d’intervenir directement dans le débat. Il laisse ce soin à Howard Dean, son concurrent malheureux à l’investiture démocrate, qui souligne, sur CNN, la troublante coïncidence de l’alerte avec le traditionnel "rebond" dont bénéficie un candidat à l’élection présidentielle à l’issue de la convention de son parti : chaque fois que le contexte politique l’exige, lance-t-il, "Bush sort sa carte maîtresse, et sa carte maîtresse, c’est le terrorisme". Plus simplement, accuse M. Dean, l’équipe Bush "manipule la diffusion de l’information en fonction de la campagne présidentielle".

Le lendemain, mardi 3 août, plusieurs journaux, le New York Times et le Washington Post en tête, s’inquiètent à leur tour de la faiblesse et de l’ancienneté de ces fameux renseignements venus du Pakistan, où plusieurs arrestations de responsables présumés d’Al-Qaida ont été opérées ces dernières semaines. Déjà, la semaine dernière, l’hebdomadaire indépendant The New Republic avait fait état de pressions américaines pour que l’arrestation d’un important suspect d’Al-Qaida soit annoncée pendant la grand-messe des démocrates, histoire de leur voler la vedette.

Cette fois-ci, Tom Ridge est contraint de se justifier, pendant que le président Bush, en tournée électorale au Texas, tente de rester à l’écart de la polémique : "Nous ne faisons pas de politique au département de la sécurité intérieure, répond-il, mardi, lors d’une intervention publique à New York. Le détail, la précision, le sérieux des renseignements vous frapperaient aussi bien que moi si vous y aviez accès. Il est du devoir des autorités de l’Etat de porter de telles situations à la connaissance du public." Plusieurs experts des services de renseignement, interrogés sous couvert de l’anonymat par divers journaux américains, montent au créneau : il s’agit bien, disent-ils, de renseignements de valeur, mentionnant des cibles spécifiques ; les fichiers et documents saisis remontent bien à trois ou quatre ans, mais certains ont été mis à jour aussi récemment que janvier, prouvant que les terroristes n’ont pas abandonné leurs projets.

LES FAILLES DE LA RÉFORME

L’autre volet sur lequel M. Bush a essuyé, mardi, de sérieuses critiques porte sur sa décision de créer un poste de directeur fédéral du renseignement, suivant en cela les recommandations de la commission sur les attentats du 11 Septembre. Là aussi, l’effet d’annonce, lundi 2 août, a joué à fond. Mais, dès le lendemain, experts et commentateurs soulignent les failles du plan du président, qui renonce à adopter les suggestions les plus audacieuses et les plus contraignantes de la commission : le poste qu’envisage de créer M. Bush n’est pas doté, en effet, des pouvoirs nécessaires pour lui garantir une quelconque efficacité. Le New York Times dénonce là "la marque inimitable de Donald Rumsfeld", le secrétaire à la défense, qui refuse d’abandonner la moindre de ses prérogatives.

A l’approche de la convention républicaine, qui s’ouvre fin août à New York - un choix déjà hautement symbolique -, la controverse ne peut que rebondir dans les semaines qui viennent. Elle fait en tout cas apparaître un fait politique nouveau aux Etats-Unis : la sécurité, intérieure et extérieure, est en passe de détrôner l’économie comme thème électoral numéro un.

Sylvie Kauffmann

Arrestations au Pakistan

Un membre important du réseau terroriste Al-Qaida a été arrêté, le 25 juillet à Gujrat (Pendjab), en même temps que le Tanzanien Ahmed Khalfan Ghailani, a annoncé, mardi 3 août, le ministre de l’intérieur pakistanais, Faisal Saleh Hayyat, qui a refusé d’identifier le prévenu, se contentant de déclarer qu’il était africain et que sa tête avait été mise à prix par les Etats-Unis pour plusieurs millions de dollars. Ce serait l’arrestation, en juin, de Masrab Arochi, neveu du numéro 3 d’Al-Qaida, Khaled Cheikh Mohammed, qui a conduit les enquêteurs à une succession récente d’arrestations dans les milieux du réseau terroriste. Depuis le 12 juillet, les services de sécurité pakistanais auraient ainsi arrêté 18 suspects. Cinq étrangers en font partie, dont Ghailani, recherché pour les attentats commis en août 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, deux Sud-Africains, Abou Bakar et Zubair Ismaël, soupçonnés de préparer des plans d’attaque contre des sites à Johannesburg, et un Nigérian, Mohammed Salman Eisa, arrêté à l’aéroport de Lahore alors qu’il tentait de quitter le Pakistan.