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100 heures pour faire de l’enseignement et de la recherche un débat de campagne.

Publie le dimanche 31 mai 2009 par Open-Publishing

100 heures pour faire de l’enseignement et de la recherche un débat de campagne.

« Il est plus que temps… »

À Mesdames et Messieurs les candidats aux élections européennes du 7 juin 2009,

Pendant près de quatre mois, l’université française a vécu un mouvement de grève, de manifestations, d’occupations, de rondes infinies des obstinés. Nous, qui faisons, pensons, et rêvons l’université, nous, enseignants, chercheurs, personnels et étudiants, affirmons que les réformes actuelles qui atteignent l’université sont permises par la soumission du politique au champ économique.

Pendant près de quatre mois, nous avons fait face à une entreprise gouvernementale de propagande et de dénigrement délibéré de l’université, des hommes et des femmes qui la font vivre, une entreprise de destruction de son image et de sa fonction dans la société.

Pourtant, pendant près de quatre mois, le mouvement de rejet des conséquences de la loi « Libertés et responsabilités des universités » (LRU) s’est renforcé parce que nous en mesurons tous aujourd’hui les vices profonds et le danger mortel qu’elle fait peser sur l’université : présidence toute-puissante, gestion managériale, marginalisation des critères scientifiques dans les prises de décisions, précarisation généralisée des personnels, explosion à terme des droits d’inscription. Cette loi produira en France ce qu’elle a produit partout où les mêmes principes sont déjà à l’œuvre : gestion arbitraire des carrières et des équipes de recherche, dépendance aux bailleurs de fonds privés, cloisonnement des savoirs, destruction de pans entiers de l’enseignement, injustice sociale croissante. Est-ce donc ainsi que l’Europe conçoit l’université et la recherche ?

En effet, à la fois bureaucratique dans son principe, autoritaire dans sa mise en œuvre, et liberticide pour le monde universitaire dans ses effets, cette loi LRU n’est que la caricature française d’un processus qui confronte le système universitaire européen à une transformation et un reformatage, le volet académique de la soumission de l’ensemble de la société à la « main invisible du marché ». Les promoteurs de cette société et leurs artificiers nationaux ont associé à cette opération de destruction le nom de deux des plus anciennes universités européennes, celles de la Sorbonne (déclaration du 25 mai 1998) et de Bologne (déclaration du 19 juin 1999).

Or, ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « processus de Bologne » et qui est au cœur de la politique universitaire européenne n’a jamais été discuté publiquement.

Son inscription dans la Stratégie de Lisbonne (2000) a été suivie d’une série de conférences ministérielles et de sommets qui ont renforcé la soumission des acteurs de l’université à des objectifs utilitaristes à court terme.

Ces orientations détruisent l’université comme lieu de formation de citoyens éclairés et pensants, elles entendent forclore les valeurs d’élaboration et de transmission des savoirs sur lesquelles doivent reposer les universités européennes. En faisant mine de valoriser les missions de l’université, elles les nient. En imposant à l’université et à la recherche des règles managériales et des critères de gestion qui ne peuvent lui être appliquées, elles détruisent l’université comme lieu d’élaboration et de transmission d’un savoir libre et non contraint. Enfin, en s’appuyant sur la théorie du « capital humain », ces orientations conduisent désormais à faire payer aux étudiants le prix du désengagement public.

Il est donc temps d’affirmer que le processus de Bologne et la stratégie de Lisbonne ont pour fonction d’introduire dans les universités une concurrence généralisée placée sous les auspices de la rentabilité économique. Il est temps d’affirmer que la notion d’ « employabilité » n’est qu’un outil de destruction des savoirs humanistes qui sont au cœur de notre civilisation. Il est temps d’affirmer que la notion d’ « économie de la connaissance » dissimule la transformation de la connaissance en bien économique. Il est temps d’affirmer que le slogan d’ « adaptation de l’université à la société » ne dit pas que cette société est réduite à sa seule finalité économique.

Aujourd’hui, nous affirmons que l’adaptation de l’université européenne ne passe pas nécessairement par sa réduction utilitariste à l’employabilité de ses diplômés. Nous refusons la soumission de l’université à une logique marchande qui réduit le rationnel à ce qui est utile et calcule l’utilité à l’aune du profit. L’université n’est pas le lieu du pur utilitarisme calculé en termes exclusivement économiques. L’acquisition et l’invention des savoirs est un droit pour tous et ne peut être limité. Le savoir, la création et la recherche ne sont pas des marchandises, mais le bien de tous : ils ne sont pas à vendre.

Dans la dernière semaine de cette campagne, nous, citoyens obstinés qui ne demandons qu’à être éclairés sur vos ambitions pour l’université et la recherche, vous soumettons les interrogations suivantes :

* 1/ L’université a-t-elle vocation à être « gouvernée » comme une entreprise ? Le mariage systématique entre recherche et rentabilité est-il possible et même souhaitable ?
* 2/ Les personnels sont-ils les variables d’ajustement du nouveau modèle de « bonne gouvernance » ? Devront-ils désormais exercer leur métier sous la menace des retraits de financement pour hétérodoxie ou au premier coup de blizzard boursier ?
* 3/ La multiplication des structures bureaucratiques et administratives d’évaluation est-elle la « Nouvelle frontière » de la « qualité » universitaire ? L’émulation académique est-elle d’ailleurs réductible à la « concurrence non faussée » ?
* 4/ L’université doit-elle former des citoyens libres et pensants ou des salariés prêts à l’emploi ? Les étudiants devront-ils pallier le déficit d’investissement public dont nos universités ont souffert depuis près de trois décennies et qu’ils paient d’ores et déjà lourdement ?

En d’autres termes, à l’instar de l’association SLU (Sauvons l’Université) dont nous partageons les valeurs et les analyses, nous vous demandons aujourd’hui à vous, candidats à la députation européenne, une formulation claire de votre vision de l’université de demain. Nous vous demandons également de vous saisir du sujet fondamental qu’est la formation des générations futures de citoyens éclairés et libres. Il est encore temps de faire de la question de l’université et de la recherche, de la formation et de l’éducation un thème majeur de la campagne européenne et d’assumer devant le pays ou de rejeter avec force la soumission complète de l’université, de la recherche et du système d’éducation à la logique marchande et aux intérêts purement économiques.

Nous vous demandons d’affirmer avec la plus grande fermeté que l’éducation, l’université et la recherche sont un service public et non pas des « services », qu’elles ne peuvent en aucun cas être régies par les règles du marché, et d’en tirer toutes les conséquences.

Nous ferons connaître les réponses que vous voudrez bien apporter à nos questions. Nous sommes obstinés et notre vigilance, infinie.

Veuillez croire, Mesdames et Messieurs les candidats, en l’expression de nos sentiments les plus cordiaux.

Paris, le 29 mai 2009.
La Ronde infinie des obstinés

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