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ITALIE - Le drame tranquille de l’immigration clandestine

Publie le mardi 10 août 2004 par Open-Publishing

de Eric Glove

Vingt-huit morts, 72 réfugiés : le bilan est lourd pour la centaine de malheureux qui ont essayé de rejoindre la péninsule par mer en partant de Libye. Une catastrophe qui se renouvelle régulièrement et dérange la presse italienne.

Soixante et onze pour La Stampa, 72 pour La Repubblica, "L’horreur" pour toute la presse italienne ; 71 ou 72 rescapés de "la traversée de la mort", comme titre La Repubblica, là où La Stampa parle d’un "carnage de clandestins".

L’histoire est horriblement banale, constatent ces journaux : des malheureux qui cherchent à fuir la guerre ou la misère, aboutissent en Libye, où ils s’embarquent sur des barcasses pourries afin de traverser la Méditerranée, direction la côte italienne. Nombre de ces bateaux sombreront corps et biens ; certains parviennent jusqu’à destination au terme d’un voyage inhumain.

Cette fois-ci, 28 personnes sont mortes durant la traversée, commencée à plus de 100 sur un esquif long de 14 mètres. Et les autres ne doivent leur salut qu’au capitaine polonais d’un cargo qui les a recueillis à son bord alors qu’ils coulaient. Dans La Stampa, l’un des survivants témoigne : "Nous n’avions rien à manger. Nous avons dû boire notre urine." "Le voyage a duré une dizaine de jours", complète La Repubblica. Et il a fallu, au fur et à mesure des décès, "balancer les cadavres par-dessus bord". Dans ce quotidien, un des médecins qui a examiné les rescapés confie : "Je ne comprends même pas comment ces gens sont encore vivants. En trois ans de secours d’urgence, je n’ai jamais vu ça."

Et pourtant, les précédents ne manquent pas. La Stampa répertorie 12 drames du même genre depuis 1996, sans compter tous les bateaux qui ont coulé. Les clandestins viennent d’un peu partout en Afrique, "de Côte-d’Ivoire, de Sierra Leone, du Liberia", indique La Repubblica, "du Mali, du Niger, du Nigeria, du Tchad, du Soudan, d’Ethiopie, d’Erythrée", complète La Stampa. Ces malheureux vivent tous la même histoire : ils cherchent "un avenir meilleur" comme le dit un des survivants. Dans son cas, "lui et sa famille ont mis cinq ou six jours pour rejoindre la Libye, à pied ou par des moyens de fortune."

Pour la dernière partie du voyage, il a fallu débourser "650 dollars par tête pour pouvoir monter dans une vieille barque qui faisait eau de toutes parts", commente encore La Repubblica. Les prix ne sont pas fixes, puisque "certains ont confié aux marins du cargo qui les a secourus avoir payé 800 dollars, d’autres 1 800", note La Stampa. Et le quotidien de préciser : "Aujourd’hui, 16 294 personnes entrées clandestinement en Italie attendent dans des centres spécialisés, prisonniers dans des conditions que Médecins sans frontières critique largement."

Et devant l’afflux de réfugiés, le ministre de l’Intérieur italien, Giuseppe Pisanu, réclame "plus de collaboration avec Tripoli". Sur son ordre, "le directeur des services de l’immigration et de la police des frontières va d’ailleurs se rendre en Libye pour une concertation sur les moyens de lutter contre le trafic de réfugiés", précise La Stampa.

S’il est d’accord "pour trouver ensemble des solutions", Abdurrahman Shalgham, ministre des Affaires étrangères libyen, dans une interview qu’il accorde à La Stampa, remarque : "Pour vous autres, Italiens, l’immigration clandestine est un problème, pour nous, c’est une invasion." Le quotidien rappelle que Muammar Kadhafi, le numéro un libyen, a déclaré en avril 2004 devant la Commission européenne que "les pays d’Afrique du Nord ne peuvent pas assurer la protection des frontières du sud de l’Europe", d’une part, et que, d’autre part, "il fallait traiter ces questions d’immigration sur un mode pacifique avant qu’elles ne deviennent explosives".

Quant à la nature des solutions, elle divise la classe politique italienne. Pour trois sénateurs de la Ligue du Nord, parti qui participe au gouvernement, "l’immigration clandestine est un problème libyen et c’est à la Libye de se débrouiller avec les réfugiés". Quant au ministre des Réformes, Roberto Calderoli, également de la Ligue du Nord, La Stampa indique que, selon lui, "il est nécessaire d’utiliser la force pour repousser les clandestins". L’homme est clair : "Nous ne sommes pas la Croix-Rouge. Le terrorisme islamique utilise cette porte ouverte à l’immigration clandestine pour entrer dans le pays. Notre peuple a le droit à la légitime défense." Giuseppe Pisanu, bien moins extrémiste, préfère s’en remettre à l’Europe, estimant que c’est à l’UE de régler le problème.

A gauche, le discours est tout autre, plusieurs dirigeants qualifiant les déclarations des léguistes d’"idéologie inapplicable et dommageable". Quant à la responsabilité de l’Europe, Emma Bonino, ex-commissaire européenne et membre du Parti radical, répond : "L’Union n’a aucune compétence sur un tel sujet. Laissons de côté la démagogie et les solutions miracles. La répression ne servira à rien, le problème est global et les solutions structurelles : favoriser les économies africaines, soutenir les droits de l’homme et mettre fin aux conflits ethniques, dont le Darfour est un malheureux exemple."

http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=25398&provenance=accueil&bloc=07