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VENEZUELA - Chávez entre les mains du peuple

Publie le vendredi 13 août 2004 par Open-Publishing


de Lisa-Marie
Gervais


Dimanche 15 août 2004, la présidence de Hugo Chávez sera soumise à référendum.
Plus de 14 millions d’électeurs se rendront aux urnes pour décider si le mandat
de six ans du chef de l’Etat doit être révoqué avant son terme de janvier 2007.


La tension entre les pro- et les anti-Chávez est palpable dans tout le pays et
plus particulièrement dans les rues de Caracas,
la capitale. La ville est placardée d’affiches de propagande électorale pour
le "si" ou pour le "no". L’emblématique place Candelaria est le théâtre de nombreuses
altercations violentes entre militants. La semaine dernière, des manifestants
pro-Chávez s’en sont pris à des membres de l’opposition et l’affrontement issu
de ce "fanatisme incontrôlé", explique El
Diario de Caracas
, s’est dissous dans
les vapeurs des gaz lacrymogènes.

Les deux camps s’accusent mutuellement d’abus, de manipulation et de pratiques déloyales. Ceux qui soutiennent le président vénézuélien voient rouge, comme en témoignent les pancartes et banderoles pro-Chávez de la même couleur qui inondent le pays. Le gouvernement met en garde la population contre un triomphe de l’adversaire, qui signifierait l’interruption immédiate des "missions" chères au chef de l’Etat, telles que les programmes ayant permis à des millions de Vénézuéliens d’être alphabétisés ou de bénéficier de soins médicaux, dispensés notamment par des professionnels cubains.

Néanmoins, le message le plus récurrent du président à ses électeurs consiste à leur rappeler les liens étroits existant entre l’opposition vénézuélienne et la politique du président des Etats-Unis, George W. Bush, souligne le quotidien espagnol El País. "Dites non à l’impérialisme !" martèle Hugo Chávez. En effet, que Chávez soit à couteaux tirés avec la Maison-Blanche n’est un secret pour personne, surtout depuis que "les ambassades des Etats-Unis et d’Espagne ont instrumentalisé un coup d’Etat contre le gouvernement de Chávez, en avril 2002", remarque le quotidien mexicain de gauche La Jornada. Coup d’Etat mené par l’opposition actuelle, et qui a d’ailleurs échoué après bien des péripéties.

Au sein de la Coordination démocratique, groupe d’opposition composé de 20 partis politiques et 20 organisations non gouvernementales (ONG), la bataille est plutôt teintée de jaune, de bleu et de rouge, les couleurs du drapeau vénézuélien. Au moyen d’affiches hypermachistes sur lesquelles on aperçoit des femmes très sexy en train de se déshabiller pour le oui à la révocation du chef de l’Etat, l’opposition tente de discréditer le président vénézuélien par tous les moyens. Sa stratégie est de persuader les électeurs pauvres que l’éviction du président est nécessaire pour laisser les entreprises créer des emplois et freiner ainsi un chômage alarmant", explique El País.

Les détracteurs de Chávez n’y vont pas de main morte. Pour preuve, les propos de l’ex-président vénézuélien Carlos Andrés Pérez, aujourd’hui poursuivi par la justice, qui est allé jusqu’à proférer des menaces de mort contre Hugo Chávez, rapporte La Jornada. "Nous, les Vénézuéliens, devons liquider Chávez par la violence, il n’y a pas d’autre choix possible", a-t-il lancé à la presse en mai 2004. Un mois plus tard, Carlos Andrés Pérez renchérissait en déclarant au quotidien vénézuélien El Nacional : "Chávez doit mourir comme un chien, c’est tout ce qu’il mérite, avec le pardon de ces nobles animaux."

Pour sa part, le gouverneur de l’Etat de Miranda, Enrique Mendoza, chef de l’opposition, a vertement critiqué Hugo Chávez, l’accusant d’être un dictateur ayant ruiné le pays et dilapidé l’argent du pétrole, l’accusant encore d’imposer des lois et de mettre tous ses opposants sur une liste noire. Henry Ramos, autre important leader de la Coordination démocratique, qualifie plutôt Chávez de "délinquant et de dérangé" et prétend que "depuis son divorce, il comble ses carences affectives et sexuelles en se montrant cruel avec le peuple vénézuélien".

Si les tenants du non à la révocation sont accusés d’avoir usé à l’excès des fonds publics pour leur campagne de publicité, la Coordination démocratique, elle, est pointée du doigt pour un financement massif en provenance des Etats-Unis. La National Endowment for Democracy, une ONG américaine, aurait versé plus de 53 000 dollars à une entreprise vénézuélienne convertie en "bras technologique et cerveau de l’opposition", révèle La Jornada. Dans un éditorial, le Washington Post a toutefois qualifié d’"indépendante" l’entreprise en question, tout en fustigeant Chávez et en déclarant le référendum "vicié".

Tout ceci n’est pas sans susciter l’ire du principal intéressé. "Plus une goutte de pétrole ne parviendra en territoire américain", a affirmé Hugo Chávez au journal espagnol ABC, si Washington continue de vouloir s’ingérer dans les affaires de Caracas. Une véritable corde sensible car le Venezuela exporte vers les Etats-Unis la moitié des 2,7 millions de barils de pétrole brut qu’il produit quotidiennement. Le président vénézuélien a également laissé entendre qu’il n’avait pas l’intention de laisser son pays devenir une "colonie" des Etats-Unis.

Des instituts de sondage indépendants prévoient une participation très importante et le gouvernement se prépare scrupuleusement à ce référendum révocatoire. Des effectifs nombreux seront déployés et un comité de 98 personnalités internationales invitées par le Conseil national électoral surveillera le déroulement du vote, conjointement à des observateurs de l’Organisation des Etats américains (OEA) et du Centre Carter. L’élection de 2000, qui a vu triompher Hugo Chávez, avait déjà bénéficié d’un ensemble similaire de mesures destinées à assurer la validité et la transparence du scrutin. A l’époque, la victoire du leader populiste avait été démocratique.

Pour remporter le référendum, l’opposition a besoin de récolter davantage de voix que le gouvernement, mais aussi d’obtenir au moins une voix de plus que les 3,75 millions obtenues par Chávez à l’élection de 2000. Jusqu’à présent, la majorité des instituts de sondage prédisent la victoire du président, avec une avance de 10 à 20 points. Ils annoncent également près de 20 % d’indécis, les "ni-ni" (ni pro-, ni anti-Chávez), sur lesquels reposera la décision finale.

Quoi qu’il en soit, tout ce branle-bas de combat témoigne de l’importance de l’enjeu de ce référendum. Si Chávez perd, les apparences laisseront suggérer une simple défaite. S’il gagne, ce sera une double victoire parce qu’il aura prouvé au monde entier, plutôt deux fois qu’une, sa capacité à incarner un président démocratiquement élu.

http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=25409&provenance=accueil&bloc=02