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Dimanche, les Vénézuéliens diront s’ils maintiennent leur confiance au président.

Publie le vendredi 13 août 2004 par Open-Publishing

Avec ou sans chavez, le chaos restera

Disparate, l’opposition est néanmoins parvenue à ses fins : organiser un référendum révocatoire. Mais elle a déjà averti qu’elle voulait se débarrasser de Chavez à n’importe quel prix. Sous le regard avide d’or noir de Washington, les réformes sociales sont menacées.

Pierre Rottet

Au terme d’un an de procédure, quelque quatorze millions d’électeurs vénézuéliens se prononceront dimanche sur le mandat du président Hugo Chavez, 49 ans, qui court normalement jusqu’en 2006. En cas de victoire des référendaires, hostiles à Chavez, une élection présidentielle anticipée sera organisée avant la mi-septembre. Néanmoins, selon les derniers sondages, près de 60 % des électeurs seraient favorables au président. L’enjeu de ce référendum dépasse de loin les frontières nationales.

les médias contre la rue

Regroupée sous la bannière d’une trentaine de partis et d’associations antichavistes, l’opposition est majoritairement formée de la « Coordination démocratique », des milieux de droite, des patrons, de l’oligarchie et d’une partie de l’Eglise catholique, réputée conservatrice. Pour parvenir à créer une nouvelle majorité, la « Coordination » utilise les armes dont elle dispose : l’argent, bien sûr, et le contrôle de l’immense majorité des médias, dont les principales chaînes de télévision.
En dépit de ces moyens, la bataille de la « communication de la rue » est aujourd’hui animée par les partisans de Chavez. Ils semblent l’emporter avec des outils traditionnels que sont les banderoles, les chansons et les stands. Cela, dans une relative bonne humeur, au cours d’une campagne qualifiée d’apathique.
Essayant d’exploiter la polarisation profonde de l’opinion publique depuis près de cinq ans, l’opposition tente de ratisser large. Y compris en promettant la réconciliation du pays, ainsi que le maintien des actifs du gouvernement dans ses programmes sociaux et éducatifs.

les usa et « leur » pétrole

Autant de réussites qui ont forgé la popularité de Chavez auprès des classes défavorisées. Même si le Venezuela n’échappe pas à la réalité latino-américaine, à son clivage de plus en plus marqué entre riches et pauvres. La corruption y est très présente, le taux de chômage proche de 25 %, et la pauvreté frappe toujours la moitié de la population. Ce qui fait ironiquement dire aux partisans du président : « La droite propose aux électeurs de choisir la copie plutôt que l’original. »
Une chose est sûre : la Maison-Blanche aura un oeil rivé sur le résultat du référendum de dimanche. Pour des raisons géostratégiques, tout d’abord : le Venezuela est tourné à l’ouest vers les Caraïbes et Cuba, au sud vers le Brésil, alors qu’il partage aussi 2500 kilomètres de frontières avec la Colombie, un voisin empêtré depuis près de 40 ans dans son conflit avec la guérilla, par définition antiaméricaine. Pour des considérations économiques ensuite : le Venezuela est ni plus ni moins le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis. Le pays représente une des plus grandes réserves de pétrole au monde, avec une production de près de trois millions de barils par jour.
En pleine campagne électorale, l’administration Bush applaudirait d’autant plus à un échec de Chavez que Cuba, proche du président vénézuélien, au même titre que le Brésil de Lula, pourrait voir les vannes de son approvisionnement en pétrole se tarir dangereusement pour le pays et son économie, en cas de succès des référendaires. En attendant le résultat des forages au large de Cuba dont Castro espère beaucoup.

propagande impitoyable

Spécialiste pour les questions latino-américaines, Maurice Lemoine, rédacteur en chef adjoint du « Monde diplomatique », ne croit pas que l’opposition baissera les bras en jouant le jeu de la démocratie en cas d’échec du référendum. Le retour au Venezuela de l’ex-chef de la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), Carlos Ortega, l’un des protagonistes de la tentative du coup d’Etat du 11 avril 2002 qui est pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt, en dit long sur les intentions de l’opposition.
L’ancien président Carlos Andre Perez, condamné pour corruption et qui passe son exil entre Saint-Domingue et Miami, jette encore de l’huile sur le feu : « Il faut tuer Chavez comme un chien. Malgré le respect que j’ai pour les chiens », a-t-il récemment dit devant la presse.
Le journaliste du « Monde diplomatique » relève que les médias opposés à Chavez sont déjà en train de préparer l’opinion pour l’après-référendum. « Pour perpétuer le chaos, afin de faire accréditer l’idée auprès de la communauté internationale qu’avec Chavez au pouvoir le pays est ingouvernable. » Et lorsque l’on sait que l’idée d’une tentative de coup d’Etat est tout sauf étrangère à l’opposition...
PR/APIC

Une première mondiale

Le Venezuela est le seul pays doté d’une ordonnance constitutionnelle permettant de recourir à un référendum pour entamer un processus de révocation présidentielle. Une condition : que 20% au moins de l’électorat le demande à la mi-mandat. L’opposition a recueilli avec peine 2 ,45 mio de signatures. Soit à peine plus que les 2,43 millions exigés par une Constitution que Chavez lui-même avait proposée. Sur la base de ce texte, le président, élu en 1998 avait organisé un nouveau scrutin qu’il devait remporter en 2000 pour un mandat de six ans, avec plus de 3,7 millions de voix. C’est dire si l’opposition devra faire le forcing. « Dimanche, le Venezuela décidera s’il veut rester un pays libre ou se convertir en colonie des Etats-Unis », a déclaré Chavez. Son gouvernement a d’ores et déjà assuré qu’il respecterait le verdict des urnes, « quel qu’il soit ». PR/APIC

Une opposition acharnée

Au pouvoir depuis le 2 février 1999, le président Chavez a vu ses adversaires politiques de plus en plus déterminés à le déloger. Ils entament dès 2001 une politique de confrontation, en raison des décrets-lois gouvernementaux sur la réforme agraire et les hydrocarbures, interdisant la privatisation du secteur pétrolier. La crise politique intérieure, bien vite « internationalisée » avec l’ingérence des Etats-Unis, notamment, va déboucher sur une crise économique et sociale majeure. Et l’opposition de réclamer le départ « à tout prix » de Chavez.

Aux critiques acerbes de l’oligarchie vénézuélienne vont bientôt s’ajouter celles de la hiérarchie catholique du pays. Le malaise va atteindre son point culminant après la tentative de coup d’Etat, dans la nuit du 11 au 12 avril 2002, avec l’appui à ce putsch de l’archevêque de Caracas, le cardinal Velasco, aujourd’hui décédé. Il fut l’un des signataires de l’acte constitutif du gouvernement intérimaire proclamé par la junte civilo-militaire des milieux de la finance et du pétrole, qui a tenté de renverser un président pourtant démocratiquement élu.

appels au soulèvement

Populaire pour les uns, populiste pour les autres, Chavez devra faire face à une quatrième grève nationale fin 2002. La plus longue menée dans le pays à ce jour va mobiliser une partie de la société civile entre décembre 2002 et février 2003. Regroupés sous la bannière de la « Coordination démocratique », les syndicats pétroliers et la puissante Confédération patronale vont cette fois bénéficier de la participation d’une partie de l’industrie du pétrole (la PVDSA). Celle-ci n’a pas digéré le licenciement par le gouvernement de 17 000 salariés, soit près de 40% des effectifs. Il faudra les militaires, restés, contre toute attente, fidèles à Chavez pour mettre un terme à la grève. Mais les pertes qu’elle a engendrées sont estimées à 7,5 milliards de dollars.
Les appels au soulèvement civil et militaire lancés dans les quartiers huppés de Caracas ne seront finalement guère entendus, malgré l’exacerbation des tensions, entretenues par une machine médiatique au service de l’opposition. Les violences feront tout de même 3 morts le 12 décembre 2003 et 11 en février dernier.
PR/APIC

Un gouvernement à contre-courant

Au-delà de la permanence de Chavez au pouvoir, c’est tout un programme et une vision de l’Amérique latine qui sont en jeu, estime Maurice Lemoine du « Monde diplomatique ». Sur le plan intérieur, c’est la poursuite ou non des réformes sociales dont le chapitre agraire : à la fin 2003, près de deux millions d’hectares de terre avaient déjà été distribués à plus de 60 000 familles. Sur le plan international, le Venezuela de Chavez est un pôle de résistance à la mise en place de la zone de libre-échange des Amériques, mais aussi un foyer de résistance à l’internationalisation du « Plan Colombia » qu’entend imposer Washington. En Amérique latine, le Brésil, Cuba et l’Argentine de Kirchner feront des voeux, dimanche, en faveur de Chavez, comme les syndicats du continent. Mais la plupart des gouvernements latino-américains, adeptes de la logique néolibérale, ne seraient pas fâchés de le voir partir.
La politique pétrolière du Venezuela est l’autre grand enjeu de ce scrutin. Il est l’une des sources des attaques qui se sont déchaînées contre Chavez à la suite de son refus de privatiser l’entreprise pétrolière nationale (PVDSA). Sa volonté de renforcer le pouvoir de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a déplu. D’où l’acharnement de certaines compagnies pétrolières, locales ou étrangères, pour faire tomber Chavez.

caracas profite de la crise

D’autres sociétés estiment au contraire que le départ du président en place provoquerait une instabilité néfaste à l’arrivée de nouveaux investisseurs. Reste que la crise pétrolière internationale représente une aubaine pour Caracas. Récemment, les revenus pétroliers ont permis à Chavez de mettre en place un Fonds de développement social disposant de deux milliards de dollars. Quant à l’opposition, elle dénonce l’utilisation de cette « arme pétrolière » dans la campagne. Une arme qui pourrait cependant permettre au pays d’engranger des réserves, de réduire la dette publique, qui est passée de 29,3% à la fin 1999 à 45,1% du PIB en 2003. PR/APIC

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