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Lettre de Thierry Deronne à J.L.-Mélenchon sur Chavez et l’Iran

Publie le vendredi 26 juin 2009 par Open-Publishing
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Lettre de Thierry Deronne* à Jean Luc Mélenchon

Dixit Debray, la fonction de l’intellectuel est de refroidir la fièvre, de ralentir les délais de réponse. Au risque de décevoir "l’opinion". On peut aussi parler d’autres thèmes. Ou même aller a contre-courant.

Malgré la répression sanglante des manifestants d’opposition en Iran, le président sortant a très probablement gagné les élections. Malgré des fraudes partielles mais insuffisantes pour remettre en cause la victoire d’une majorité d’électeurs. Le Figaro avait titré à la veille de ces élections sur le "pourquoi de sa popularité".

Les deux correspondants du Washington Post concluaient dès le 15 juin "Le fait est que le peuple iranien a peut-être tout simplement choisi de réélire le Président Ahmadinejad"

Vous pouvez lire aussi l’article mesuré du 19 juin signé de Robert Fisk - journaliste de The Independent et qui fait autorité sur le Moyen Orient - sur ce qui se passe en Iran "Peligrosa fusión entre realidad y fantasía en Iran". Son analyse confirme ce que l’historien Richard Gott nous racontait après un voyage sur place. Il y a un fossé entre ce que l’Occident veut voir à travers ses médias, et la réalité profonde de l’Iran. Tant sur la réalité du vote que sur les reformes sociales entreprises en faveur de couches populaires que nous ne voyons pas, et pour cause, à la télé. Je parle d’un abîme sociologique entre un Téhéran américanisé (eh oui), où on parle beaucoup l’anglais et l’autre Iran, qui pense et qui vote, aussi...

Cela excuse-t-il qu’un Etat se défende, par la suite, en tirant dans la foule ? Personne n’appuie la répression, pas plus le président Chavez que vous. Pourquoi dire alors comme vous le faites si lapidairement comme pour mieux vous en démarquer, qu’il donne raison au président iranien ? Pour faire croire au lecteur qu’il appuie un massacre ? Vous ne donnez aucun autre élément à votre lecteur, ce qui est grave lorsqu’on connaît l’image construite par les médias du "Chavez dictateur", "assassin" et donc identifié à un Iran répressif.

J’imagine déjà votre protestation, celle que j’entends souvent à Paris : "soutenir le processus de Chavez, cela n’empêche de pouvoir le critiquer sur tel ou tel point, un soutien aveugle n’a pas de sens, nous ne sommes plus chez les stals ni le doigt sur la couture, etc... etc..."

Nous en sommes bien d’accord, Monsieur Mélenchon, mais ce qu’a dit Chavez, et nous espérons que vous saurez le transmettre avec autant de chaleur que votre rectificatif sur Bové, c’est ceci : une partie de la population qui perd des élections ne peut se substituer à la décision de la majorité, et on ne peut tolérer aucune ingérence en ce sens.

Fisk parle aussi de certaine ingérence. Pas vous, curieusement, ni de qui est ce candidat d’opposition, ou de qui vote pour lui, etc... Autant je partageais, admiratif, votre analyse sociologique, historique tout en résistance au discours dominant sur le Tibet et au chantage médiatique en faveur de ces potentats féodaux-theocratiques reçus en héros à Paris ou votre démontage de RSF, etc.. autant je regrette dans ce cas ce qui me semble relever du conformisme le plus primaire sous un bel élan laïc et aussi inattaquable que celui de Val ou Sarkozy.

Votre "islamisme égal fascisme", etc.. ne correspond guère à la réalité de la société iranienne ni de ses institutions, qui ne dépendent pas que du religieux. Le socle laïque et républicain auquel nous adhérons serait mieux servi par des réflexions plus analytiques, moins soumises à l’Église médiatique et aux papes qui semblent vous faire peur par leurs mises en demeure. Pourquoi ne pas leur répondre, à contre-courant, qu’il n’est pas normal que l’Occident, qui parle tant de démocratie électorale, refuse l’exercice de celle-ci dès lors que les résultats ne lui conviennent pas ? Pourquoi ne pas dénoncer ce circuit fermé des medias occidentaux, inquiétant pour l’avenir de la démocratie sur cette planète ? On en sait quelque chose ici, au Venezuela, ou récemment avec le cas Colom au Guatemala, dont on n’imagine pas une seconde, en Europe, les enjeux et la perversité mediatico-politique et dont le scénario réel est
l’inverse de que nous ont dit les médias.

Accepter d’entrer dans le tribunal du parti de la presse et de l’argent, c’est déjà légitimer son "agenda". Projeter sur Chavez ce que vous croyez qu’il dit sans vérifier à la source est grave.

Coupé de notre réel, couplé aux médias de France, vous ne concevez que la politique extérieure de la république bolivarienne qu’en creux, comme pure dialectique négative "primaire, erronée".

"Les ennemis de nos ennemis sont nos amis", vous moquez-vous. Vous trouverez normal que pour comprendre le Parti de Gauche on étudie Robespierre, la Commune, Jaurès ou le Front Populaire . Sachez que le Venezuela a une Histoire, lui aussi, et que Bolivar en parlant de l’équilibre du monde, des deux tiers du monde, en organisant contre l’Empire naissant, un congrès de Panama (1826), se fichait des contingences électorales "Ahmadinejad" ou autres et se situait déjà dans une construction à long terme d’États souverains, indépendants et libres de coopérer entre eux. L’histoire laïque, multipolaire, s’avance sous des masques obligés. Celui de l’islamisme, du Hamas, du Hezbollah ou des islamistes iraniens ne sont que ceux d’États qui se cherchent, déjà en prise avec la globalisation capitaliste. Rabaisser le jacobinisme au niveau de Charlie-Hebdo, se fabriquer une identité politique en creux par rapport à tout ce qui fleure l’islamisme, c’est abdiquer l’initiative de l’Histoire en faveur des Obama. Dans une France qui a toujours éprouvé quelque difficulté à comprendre ce qui se passe aux limites d’un monde dont elle se croit encore le centre, votre discours aidera sans doute quelques militants du PG, déjà réticents face aux brèves références initiales à Chavez, à s’en éloigner un peu plus. Et sans doute à nous éloigner de vous.

*Thierry Deronne vice-pdt de VIVE- Vénézuéla, http://www.vive-fr.org/blog/

Messages

  • Je connais bien Thierry Deronne qui a préfacé mon livre « La face cachée de reporters sans frontières. De la CIA aux Faucons du Pentagone » et je sais gré à Jean-Luc d’avoir été le seul homme politique qui a osé le promouvoir dans les médias, lesquelles avaient organisé une omerta terrible. Jean-Luc est allé, en direct sur Europe 1, jusqu’à enjoindre à Elkabbach de lire le livre.

    Pour les besoins de l’écriture de ce livre et afin d’y rapporter des informations de première main sur le comportement de RSF et de ses deux correspondants au Venezuela pendant le putsch d’avril 2002 contre Chávez, j’ai passé 3 semaines à Caracas en mai 2007.

    Cela a été possible grâce à Thierry Deronne qui a mis à ma disposition les moyens logistiques et des archives de Vive TV, une télévision communautaire dont il est un des principaux dirigeants. A cette occasion, Thierry m’a confié le bon souvenir qu’il avait gardé de la visite de Jean-Luc dans leurs locaux. Il faudra un jour raconter le travail admirable de Thierry au service de la liberté de la presse, grâce aux médias alternatifs qu’il a créés au Venezuela et qu’il aide à créer dans toute l’Amérique latine au nom du « droit citoyen d’informer et d’être informé ».

    Il se trouve que, pendant que je travaillais là-bas à mon livre, une campagne médiatique mondiale a été déclenchée contre Hugo Chávez au prétexte banal du non renouvellement de contrat de la licence d’exploitation hertzienne d’une télé (RCTV) qui fut un acteur important du coup d’Etat d’avril 2002.

    De mon bureau de Vive TV, j’ai correspondu avec Jean-Luc et d’autres hommes de bonne volonté, dont des députés européens du groupe GUE (où siège désormais Jean-Luc). Echanges de documents, rétablissements de la vérité, bref, allumage de contre-feux.

    J’ai alors pu mesurer le travail courageux et à contre-courant de celui qui était alors sénateur membre du PS pour alerter ses collègues du parti socialiste et les députés européens socialistes.

    Tous les députés socialistes européens s’apprêtaient alors à voter une résolution condamnant le gouvernement de Chávez pour ses atteintes à la liberté de la presse et pour la « fermeture d’une télévision d’opposition » (sic. RCTV émet toujours).

    L’instigateur était Jean-Marie Cavada, député du Modem (passé à l’UMP depuis).

    A mesure que les informations vraies parvenaient aux députés européens, le nombre de votants potentiels diminuait et la résolution initiale était réécrite en recul dans sa formulation.
    Finalement, le 15 mai 2007, une alliance entre les partis de la droite européenne, PPE, ALDE, UEN avec l’ITS (groupe politique d’extrême droite, notamment de Jean-Marie et Marine Le Pen) a obtenu, contre l’avis de tous les autres partis, qu’une falote « Résolution du Parlement européen sur le Venezuela » soit inscrite à l’ordre du jour, pour un vote. C’est ainsi que, le 24 mai 2007, sur 785 députés que comptait le parlement européen, 65 seulement étaient présents. Le vote a été acquis par 43 voix contre 22.

    On mesure avec cette anecdote la violence des attaques, la grosseur des mensonges que subit un pays qui revendique, ainsi que le disait de Gaulle « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

    On en déduira que la vivacité de ton de ceux qui, sur place, le défendent et qui y jouent leur peau (ce n’est pas une image) en cas de réussite des complots et des putschs ne doit pas forcément être lue comme une signe d’hostilité contre ceux qui avancent un avis mal compris à Caracas sur telle ou telle question de politique internationale.

    J’ai de l’estime pour Thierry et pour Jean-Luc. Je vois tellement de convergences générales sur ce qu’ils pensent et qu’ils souhaitent qu’il me semble que les lecteurs de ce blog ne devraient pas les voir comme des adversaires. Regardons-les plutôt échanger des points de vue différents.

    Une politique de la main tendue aux frères d’armes au-delà des frontières me paraît aussi utile que celle qui fut tentée en direction du NPA chez nous, et dans les deux cas contre un redoutable adversaire commun.

    Je crois, sur le fond du désaccord ponctuel, que si Ahmadinejad et Moussavi sont tragiquement proches en ce qui concerne les libertés, les droits des femmes, la laïcité, etc., s’il n’y a pas lieu d’en aimer l’un plus que l’autre, il n’est pas indifférent de voir que le second ne fera pas progresser plus que l’autre les droits humains et la démocratie dans son pays, mais qu’il servira par contre les intérêts des USA. Pour cela, ce n’est pas tout à fait bonnet blanc et blanc bonnet. Je subodore aussi que les mois qui viennent nous renseigneront sur la « spontanéité » de la « révolution verte ».

    Cela dit, Jean-Luc, Thierry et moi n’avons pas de raison de nous bloquer sur cette question, de même que la question bien plus grave du nucléaire ne doit pas être prétexte à une brouille entre les partis de la vraie gauche chez nous. Il n’est demandé à personne, à aucun parti d’être le clone de l’autre.

    Je termine par des abrazos fraternals a todos, ce qui me distingue de Chávez qui prend volontiers congé par un « Dios te bendigo » (Que Dieu te bénisse), ce que je lui pardonne malgré une opinion radicalement différente sur le sujet.

    • "L’histoire laïque, multipolaire, s’avance sous des masques obligés. Celui de l’islamisme, du Hamas, du Hezbollah ou des islamistes iraniens ne sont que ceux d’États qui se cherchent, déjà en prise avec la globalisation capitaliste."

      En dehors des querelles et des amitiés que vous semblez partager tous les trois, cette citation résume ce qui me semble une thèse importante souvent énoncée et reprise dans ce texte.

      L’Iran, c’est peut être bien autre chose de plus important que ces trucs, ces voiles, ces masques obligés islamistes . Si Lulla défend l’Iran, c’est que le brésil est en danger et un peu plus depuis qu’il vient de découvrir des réserves immense de pétrole. Si le verrou iranien cède, alors rapidement l’Amérique latine sera mis à feu et à sang par l’appétit insatiable et revigoré de big brother.

      On a l’impression que l’Iran est la ligne de front politique, économique, et militaire dans la lutte des pays du tiers monde et de leurs quelques pays émergent , (le bric), contre l’impérialisme transnational des oligarchies occidentales.

      Si ce verrou ne cède pas, l’inadéquation contradictoire dont il est le signe concret, entre le mode de production capitaliste mondial uni polaire sous sa forme impérialiste et financière et les forces de production devenues multipolaires se creusera un peu plus.

    • Ce qui ressort de tout cela, c’est que si l’on aime pas la théocratie iranienne et le régime Armanimedja il semble encore préférable à beaucoup à un regime qui donnerait la part belle à l’impérialisme US. C’est, je pense, l’unique raison qui font que s sont pas opposé à celui-ci.

      Comme il est évident qu’il faille empêcher l’égémonie US, dans l’état actuelle des choses il y a-t-il d’autres solutions que le régime en place, là est la vraie question. En effet, partout où l’on pourra eviter que les ricains imposent leurs façons de voir et de faire il est primordiale de faire en sorte que ce joug ne soit pas...

    • Jean-Luc, Thierry et moi.... et mon chat, et ma souris, et Martine et Marie George....

      Le "name Dropping" (sans parler de la langue de bois et du racontage de soi) quelle activité délicate ! on se croirait dans les salons de Solférino pour un peux - Maxime tu files un mauvais coton....

    • Je file du mauvais coton, mais je ne le fais pas planqué dans ma cave, un masque sur le nez, cher anonyme.

      Cela dit, je dis ce que j’ai vu faire contre la révolution bolivarienne, le hasard m’ayant placé là où on voyait tout bien. Plein de journalistes vous raconteront autre chose après avoir lu ce qu’écrivent les journalistes qui ont lu d’autres journalistes qui n’ont pas bougé de Paris.