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Avec Cesare Battisti

Publie le dimanche 22 août 2004 par Open-Publishing

de Patrick Besson

Cette affaire Battisti, si je ne m’en mêle pas, je sens que ça ne va pas aboutir. J’ai quand même réussi récemment à faire sortir Limonov, national-bolchevique russe, et Ceca, femme de criminel de guerre serbe, de prison ! Il faut voir aussi le Comité de soutien à Battisti. Rien que des écrivains que j’ai descendus dans Le Figaro littéraire ou Marianne : Vargas, Winckler, Deforges. Que Le Monde daté du vendredi 16 juillet 2004 orthographie Desforges, vingt-cinq ans après la publication du premier roman de Régine ! De quoi tomber de bicyclette bleue. Et Sollers. L’autre jour, on a déjeuné ensemble à La Closerie des lilas ( ). Il n’a mangé que des oeufs mayo, comme Daniel Russo dans « Black Mic-Mac » (1985). J’ai raconté ça à une fille et elle m’a dit qu’il était peut-être amoureux. Il n’avait pas l’air de m’en vouloir de l’avoir appelé « Sollers moisi » en 1998, à la une du Figaro. Lui et moi, on est bien d’accord : tant qu’un type n’a pas violé votre femme, tué votre enfant et brûlé votre maison, c’est faible intellectuellement de le considérer comme un ennemi. Le livre de Fred Vargas chez Viviane Hamy - « La vérité sur Cesare Battisti » - a un gros défaut : c’est un livre de Fred Vargas. Je ne sais pas si c’est un hasard, mais l’éditrice a renoncé à toute activité pour au moins six mois. Et si entre-temps quelqu’un lui envoie « Voyage au bout de la nuit » par la poste ?

Monsieur le Président, s’il vous plaît, n’extradez pas Cesare Battisti. Pourquoi ? Parce que je vous le demande ! Franchement, ce ne serait pas gentil de me refuser quelque chose, après les beignes que j’ai mises ici même à tous vos ennemis, ces gens qui voulaient soit vous envoyer en prison (Montebourg, Mamère, Besancenot), soit vous piquer votre place (Sarkozy, Bayrou, Delanoë). Ce n’est pas ce fainéant de Tillinac qui se serait démené comme ça pour vous. Ni Line Renaud ! Je l’ai drôlement mouillée, ma chemise bleu ciel Ralph Lauren. En échange d’aucun voyage gratis en Afrique. Ni de la moindre Légion d’honneur. Je n’ai pas non plus été invité à votre garden-party annuelle dans les jardins de l’Elysée. Je n’aurais pourtant eu que la Seine à traverser. J’ai fait ça gratuitement. Aujourd’hui, je viens demander mon dû. Je le fais sans arrogance ni forfanterie, comme le bon artisan du crime politique que je suis. Pour moi, je ne demande rien : j’ai tout. Mais accordez-moi la grâce de Cesare Battisti, puisque son extradition vers l’Italie signifierait sa réclusion à perpétuité. Le verbe gracier existe, pas le verbe dégracier. Ne l’inventez pas : il est laid. C’est comme promettre : on ne dépromet pas.

Je ne reviendrai pas sur les arguments contre l’extradition de Battisti, développés depuis des mois par son comité de soutien : un procès aussi bâclé que ceux de Jésus en 33 et de Brasillach en 45, aucune autre preuve de la culpabilité de Battisti que le témoignage douteux du repenti Pietro Mutti, les deux arrêts rendus par la cour d’appel de Paris en 1991 déclarant l’écrivain italien non extradable. Je suis comme vous : je n’aime guère les auteurs de romans policiers. Je préfère les poètes. Ils versent moins de sang, mais ils frappent plus fort. N’empêche, un homme a trouvé refuge chez nous, il ne fait plus le mal mais le bien ; en le rendant à M. Berlusconi, vieil adversaire replet et souriant de la liberté et de l’art, vous le précipiteriez dans l’horreur. Vous n’y perdriez pas votre âme mais peut-être votre chance.

http://www.lepoint.fr/litterature/document.html?did=151262