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Sous la menace d’une procédure d’extradition, Cesare Battisti s’est soustrait à son contrôle judiciaire

Publie le lundi 23 août 2004 par Open-Publishing

Sous la menace d’une procédure d’extradition, Cesare Battisti s’est soustrait à son contrôle judiciaire

de Ariane Chemin

Pour la première fois depuis son arrestation, l’ex-activiste italien ne s’est pas présenté au palais de justice de Paris, samedi, comme l’exige la procédure. M. Perben a lancé un mandat d’arrêt pour l’incarcérer.

Où est passé Cesare Battisti ? A-t-il organisé sa cavale ? Ou bien, comme le redoutent certains de ses amis, son état dépressif l’a-t-il poussé à une fuite momentanée ? L’ancien activiste des "années de plomb", condamné en 1993 en Italie à la prison à perpétuité pour quatre meurtres et braquages, évadé de sa prison italienne en octobre 1981 et réfugié en 1990 à Paris après sept ans de fuite au Mexique, ne s’est en tout cas pas présenté, samedi 21 août, au palais de justice de Paris, où le contrôle judiciaire auquel il est soumis l’oblige à venir "pointer" toutes les semaines, outre son obligation de ne pas quitter l’Ile-de-France et de ne pas fréquenter les aéroports. Chez lui, dans 9e arrondissement de Paris, où il attendait sans beaucoup d’espoir que la Cour de cassation revienne sur l’avis favorable à l’extradition rendu le 30 juin par la cour d’appel de Paris, le téléphone ne répond plus.

M. Battisti, né en 1954, père de deux filles, coulait une vie tranquille de gardien d’immeuble et écrivait ses polars pour Gallimard, avant d’être arrêté, le 10 février, à la demande de l’Italie. Incarcéré jusqu’au 3 mars à la prison de la Santé, il avait été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire par la cour d’appel de Paris. Même si celle-ci avait validé la demande d’extradition italienne, M. Battisti était libre. Le pourvoi en cassation est en effet suspensif, et l’écrivain italien devait seulement "pointer" les samedis, à 11 heures, quai de l’Horloge, dans le 4e arrondissement Paris.

Cela avant la décision de la Cour de cassation, puis du Conseil d’Etat, et enfin la signature par le premier ministre du décret gouvernemental parachevant la procédure, sur laquelle M. Battisti ne se faisait pas beaucoup d’illusions : Jacques Chirac a fait part début juillet de son intention de donner son feu vert à l’extradition si le pourvoi en cassation était rejeté.

Samedi 14 août, alors qu’il était allé pointer, accompagné de quatre élus parisiens, un vif incident l’avait opposé au policier judiciaire qui appose le tampon attestant de sa venue. Il avait demandé aux politiques qui accompagnaient M. Battisti la raison de leur présence, exigé leurs papiers d’identité, disparaissait à plusieurs reprises, furieux, et lançait finalement : "C’est inadmissible, c’est un terroriste, un tueur !" Pierre Mansat, adjoint communiste au maire de Paris, avait appelé immédiatement le cabinet du préfet de police de Paris, Jean-Paul Proust. "A l’époque, confie M. Mansat, cette histoire nous a paru très grave d’un point de vue démocratique mais nous avions choisi de ne pas l’éventer pour ne pas nuire à Cesare, qui était très choqué."

Après l’annonce de la disparition, la chancellerie a fait aussitôt savoir, dans un communiqué, que le garde des sceaux, Dominique Perben, demande au parquet général de la cour d’appel de Paris de délivrer "un mandat d’arrêt et de le replacer sous écrou extraditionnel" - c’est-à-dire son retour en prison. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, chargée du dossier de l’ancien militant d’extrême gauche, tranchera la demande du parquet, d’ici à la semaine prochaine - le délai de convocation est de cinq jours. Tant que le mandat d’arrêt n’a pas été délivré par la chambre de l’instruction, M. Battisti peut être retenu quelques heures, mais ne peut être arrêté.

"J’étais à mille lieues de me douter de quoi que ce soit et je ne sais pas où il est, explique l’avocate de Cesare Battisti, Me Irène Terrel, mais l’empressement de M. Perben me paraît hors de proportion et totalement déplacé. Cesare n’est pas Mesrine. Il n’est pas dangereux."

Pour son conseil, qui l’a rencontré pour la dernière fois fin juillet, "c’est un incident de contrôle judiciaire, sans doute une défaillance momentanée due à son état psychique qui s’est lourdement dégradé ces derniers temps. Il supportait de plus en plus mal, sur le plan psychique, le harcèlement médiatique, judiciaire et policier qui lui avait soudainement été imposé après tant d’années vécues au grand jour". Comme beaucoup de ses amis, l’avocate se dit "inquiète" pour son état de santé. Une expertise médicale établie par un médecin de la cour d’appel de Paris agréé par la préfecture de police et transmise aux avocats de M. Battisti fait état, fin juillet, d’un "état dépressif réactionnel sévère".

"JE N’AI JAMAIS TUÉ"

"Je n’ai jamais tué et je peux le dire les yeux dans les yeux aux parents, aux victimes, aux magistrats", avait répété l’ancien activiste d’extrême gauche au Journal du dimanche, le 8 août, dans son dernier entretien. L’ancien dirigeant du Mouvement des prolétaires armés pour le communisme (PAC) avait reçu en France le soutien de la gauche française - extrême gauche, Verts, communistes et Parti socialiste.

Ses soutiens font valoir que Cesare Battisti doit continuer de bénéficier de la "jurisprudence Mitterrand", engagement pris en 1985 par l’ancien président français de ne pas extrader les anciens militants italiens - excluant toutefois les auteurs de crimes de sang - et qui a tenu jusqu’en août 2002, lorsqu’une première extradition a frappé l’un de ses bénéficiaires, Paolo Persichetti.

Plusieurs écrivains, comme Bernard-Henri Lévy, Philippe Sollers, l’auteur de polars Fred Vargas ont aussi apporté leur soutien au réfugié italien. Seul parti politique à réagir dimanche, les Verts, "très préoccupés par l’état psychologique de Cesare Battisti, profondément affecté par sept mois d’acharnement injustifiable", demandent que des discussions s’engagent au niveau européen sur l’amnistie en Italie. "C’est la première tête d’une liste annoncée. Quelle que soit l’issue de cette absence, la Ligue des droits de l’homme continuera à s’opposer à l’extradition", commente pour sa part le président de la Ligue, Michel Tubiana.

Ariane Chemin

En Italie, la disparition n’a pas surpris

Les responsables politiques italiens ne se sont pas montrés surpris par la disparition de Cesare Battisti. "Il est même étrange qu’il n’ait pas fui plus tôt", a estimé Roberto Calderoli, le ministre des réformes, ironisant sur le fait que "ceux qui, d’un côté, invoquent le mandat d’arrêt européen ne réussissent pas, de l’autre, à mettre à la disposition de la justice un délinquant reconnu coupable d’actes très graves". Membre comme lui de la Ligue du Nord, le garde des sceaux, Roberto Castelli, a déclaré qu’en s’enfuyant"Cesare Battisti a démontré combien la position de ces intellectuels qui défendent celui qui n’est qu’un criminel n’est qu’une instrumentalisation".

L’attitude de la France est au centre des critiques. Le ministre de l’intérieur, Giuseppe Pisanu, a rappelé dimanche que l’Italie "ne pouvait rien faire pour empêcher Battisti de se soustraire à la justice", les autorités françaises ayant "le plein contrôle de l’affaire". Il a souhaité "qu’il soit pris le plus vite possible, pour que quiconque aujourd’hui en Italie aurait l’idée d’emprunter la voie scélérate du terrorisme sache que tôt ou tard il sera repris par les forces de l’Etat".