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Les anciens activistes italiens réfugiés en France craignent les répercussions de la fuite de M. Battisti

Publie le jeudi 26 août 2004 par Open-Publishing

de Sylvia Zappi

Les militants d’extrême gauche qui bénéficient de la "doctrine Mitterrand" ont souvent construit leur vie dans leur pays d’accueil. Le ministre italien de la justice réclame l’extradition de douze d’entre eux.

Le feu vert de la cour d’appel de Paris à l’extradition de Cesare Battisti, puis la fuite de celui-ci, a ramené la peur parmi les dizaines d’anciens activistes italiens réfugiés en France. Le ministre italien de la justice, Roberto Castelli, a affirmé, mercredi 24 août, dans un entretien au Parisien, avoir demandé "l’extradition de tous les Italiens condamnés". Une liste de douze d’entre eux a été publiée par les journaux italiens et leurs photos diffusées par les journaux télévisés français.

De son côté, le cabinet du garde des sceaux, Dominique Perben, a confirmé avoir reçu fin 2002 des demandes d’extradition pour neuf Italiens, dont Paolo Persichetti, extradé cette même année, et Cesare Battisti. Elles seraient à l’étude, selon un conseiller. "Nous n’avons pas la certitude qu’ils sont toujours résidents en France. S’ils le sont, les procédures pourraient être engagées."

Recherchés ou condamnés en Italie pour des faits de terrorisme pendant les "années de plomb", les ex-militants italiens se voient ainsi brusquement plongés quelques années en arrière, quand, tout juste arrivés en France pour fuir la justice italienne, ils avaient été obligés de vivre cachés. Depuis, avec l’engagement de François Mitterrand de les laisser vivre en plein jour s’ils renonçaient à leurs activités violentes, ils avaient refait leur vie. La plupart avaient été régularisés et ne se cachaient plus.

"Ça a été un choc pour mes proches de voir ma photo diffusée", raconte Eva, qui achoisi, par souci de sécurité, de changer son prénom pour s’exprimer. Cette femme, réfugiée depuis douze ans en France, a été condamnée en Italie à la prison à perpétuité. Elle explique être passée par des moments "de survie", faits de petits boulots, comme femme de ménage, et d’années à vivre sans papiers. Puis elle a suivi une formation professionnelle, y a rencontré son compagnon français. Une carte de résident en poche, une assurance du ministère de l’intérieur que cela durera - comme le disait un courrier de renouvellement de ses papiers - la jeune femme a eu une deuxième fille. "Sinon on ne l’aurait pas faite, la petite", insiste son compagnon.

"ON ATTEND LA MORT SOCIALE"

Depuis la fuite de Cesare Battisti, elle a pris des précautions. "Je me suis mise à l’écart chez une amie avec ma fille." Histoire d’avoir vingt-quatre heures d’avance si la police arrive chez elle. Son compagnon acquiesce : "j’avais trop peur qu’elle se fasse agresser dans la rue par quelqu’un qui la reconnaisse." Pourtant elle n’a jamais songé à s’en aller : "Pour une vie toute seule dans un coin perdu sans les personnes que tu aimes ?"

Eva avoue qu’elle se sent en sursis : "Un peu comme quand on vous annonce que vous êtes en phase terminale d’un cancer : on attend la mort sociale alors qu’on a tellement trimé à se refaire une vie." Elle ne digère pas "qu’on traîne dans cette histoire des enfants qui sont nés après une assurance que nous pouvions nous installer". Des "enfants de l’asile", comme les nomment les Italiens.

Andrea essaie, lui, de raisonner. Ce militant - qui s’exprime aussi anonymement - est arrivé en 1980, condamné à perpétuité pour homicide en Italie, et a senti plusieurs fois la menace avec des demandes d’extradition répétées. "Je n’ai jamais pensé à me cacher", assure ce grand homme au regard doux. Pour lui, le revirement des politiques et des magistrats est inacceptable. "Qu’ils changent de vision politique, pourquoi pas, mais introduire un effet rétroactif pour des gens qui se sont construits sur une espérance, c’est comme revenir sur une grâce."

Tous se disent persuadés que la liste des extraditions est établie. La publication de leurs noms, puis de leur photo, a sonné comme un coup de tonnerre. "C’est du lynchage. Il ne manque plus que leur adresse !", s’indigne Irène Terrel, avocate de M. Battisti et de quelques autres. Depuis, les plus menacés se serrent les coudes. Les stratégies de planque sont discutées. Les deux plus recherchés, que le ministre italien de la justice souhaite voir rentrer au plus tôt, se sont "mis au vert". D’autres ont reporté leur retour de vacances. Certains envisagent de s’éloigner un temps. Leurs avocats ne cachent pas les avoir encouragés.

Mais pour d’autres, il est plus difficile de se mettre à l’abri. "Imaginez une mère disparaître en laissant ses deux enfants ! Ils n’ont plus vingt ans pour subir une vie aventureuse", commente Me Terrel. Pour ne pas rester à attendre, un noyau de réfugiés italiens, les plus politiques, ont renoué avec les réunions et lancé un site Internet : www.paroledonnee.info Un lieu de débats et d’information commun à un collectif d’Italiens non identifiés. En font partie les plus en vue comme Oreste Scalzone, leur figure tutélaire, et d’autres, plus discrets, par nécessité professionnelle ou par peur. "C’est le seul site avec la position générale des réfugiés", explique son animateur anonyme.

Ce "collectif" s’est réuni lundi 22 août pour définir une position commune, au lendemain de la fuite de M. Battisti. "Nous avons écrit un texte à trois-quatre que nous avons communiqué à plusieurs autres amis planqués", explique un membre. Le texte a été envoyé à plusieurs quotidiens avec une signature unique. L’objectif est d’expliquer, encore, leur parcours singulier et le pourquoi de "l’asile de fait" dont ils ont bénéficié. D’autres initiatives sont d’ores et déjà prévues : un collectif de familles, un appel de femmes... "On ne va pas se laisser faire comme ça", assure Me Terrel. Le pourvoi en cassation de Cesare Battisti, déposé contre l’avis favorable de la cour d’appel de Paris à son extradition vers l’Italie, sera examiné le 29 septembre.

Sylvia Zappi

"Il y a toujours des excuses, mais..."

Le ministre de la justice a dénoncé, mardi 24 août, comme "affligeants" les commentaires des personnalités qui soutiennent Cesare Battisti. "Dans un Etat de droit comme la France, il appartient à tous ceux qui ont une part de responsabilité dans la société de défendre le respect de la loi et des décisions de justice", a-t-il déclaré dans un communiqué. De son côté, François Hollande, premier secrétaire du PS, a estimé que M. Battisti s’était mis "dans une situation difficile". "Il y a toujours des excuses, mais... je pense surtout à ceux qui sont là et qui peuvent être mis en cause."

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