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Karachigate : guerres, mensonges et trahisons.

Publie le jeudi 22 octobre 2009 par Open-Publishing
7 commentaires

L’affaire du Karachigate refait surface. Mediapart affirme, dans un billet publié le 16 octobre, que « la Direction des Constructions Navales confirme la piste de rétrocommissions en France. »

Mercredi 21 octobre, le ministère de la Justice a annoncé que des documents avaient été déclassifiés du "secret-défense" la veille.

1- L’hypothèse des rétro-commissions en France.

Au printemps dernier, Nicolas Sarkozy avait évacué d’un revers de main tous les soupçons. « "Ecoutez, franchement, c’est ridicule, (...) C’est grotesque, voilà. Respectons la douleur des victimes. Qui peut croire à une fable pareille ?" avait-il déclaré.

A l’époque, certains émettaient deux hypothèses troublantes : primo, l’attentat de Karachi qui coûta la vie à 11 ingénieurs français de la DCN en mai 2002 était une vengeance pakistanaise, après l’interruption, décidée par Jacques Chirac en juillet 1996, des paiements de commissions à des officiels pakistanais dans le cadre de la vente des 3 sous-marins.

Le quotidien Libération avait révélé il y a quelques jours que les juges chargés de l’affaire ne croyaient plus à la culpabilité des deux "islamistes" présentés comme les auteurs de l’attentat : ’"aucune preuve n’a été produite par l’accusation pour montrer que les deux justiciables sont à l’origine de l’explosion" écrivaient-ils récemment.

Secundo, la vente de ces sous-marins en septembre 1994, pour 850 millions d’euros, aurait permis au clan Balladur de récupérer plusieurs dizaines de millions d’euros pour financer, notamment, la campagne présidentielle d’Edouard Balladur au printemps 1995. Pour mémoire, Balladur a dépensé quelques 90 millions d’euros pour sa campagne... sans le soutien du RPR de l’époque, rangé derrière Jacques Chirac.

On sait depuis que Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget, avait parfaitement connaissance de la création de deux sociétés intermédiaires devant servir de véhicule financier au versement de commissions occultes vers le Pakistan.

Cette semaine, Mediapart fait une nouvelle révélation :
« Les juges d’instruction Marc Trévidic et Yves Jannier, chargés de l’enquête sur l’attentat de Karachi, disposent désormais au dossier de deux documents explosifs issus de la Direction des constructions navales (DCN). Ils confirment, noir sur blanc, la piste du versement de rétrocommissions en 1994-1995 à des responsables politiques français en marge d’un important contrat d’armement avec le Pakistan ».

Selon Mediapart, les deux juges ont mis la main sur deux documents (dont l’un se dénomme « Concultancy agreement 12 juillet 1994 – Reprise de provision ») saisis dans le cadre d’une instruction annexe. Ces documents « évoquent les moyens pour la DCN et sa filiale DCNI de récupérer les sommes qui n’ont pas été versées aux intermédiaires du contrat Agosta. Ceux-ci devaient toucher, au total, 4 % du montant global du contrat (825 millions d’euros) jusqu’à ce que le versement de 15 % des commissions – soit environ 5 millions d’euros – ait été stoppé net en 1996 par Jacques Chirac, le reste ayant été déjà payé dans un délai inhabituellement court pour ce type de contrat. »

Pire, selon l’un de ces documents, l’un des intermédiaires missionné par la DCN, et agréé par les autorités françaises de l’époque, a agi en « violation de la clause prohibant les retours des commissions en France ». Le rapport n’émet qu’une légère précaution :
« Bien entendu, la violation de cette disposition [interdisant le versement de rétro-commissions] devra être établie, preuve à l’appui. Nous partons du principe que cette preuve pourra être apportée bien que DCNI ne dispose à notre connaissance d’aucun élément à cet égard, en dehors des déclarations et instructions en provenance des autorités françaises. »

Un autre témoignage, recueilli par les juges, révèle que le versement des commissions vers le Pakistan aurait duré... jusqu’en 2008, plus de huit ans après que l’OCDE ait interdit de telles pratiques.

Le 2 octobre dernier, l’ancien directeur général délégué de DCN Alex Fabarez, a été auditionné les deux magistrats. En mai dernier, son collègue ancien directeur financier de la DCN avait expliqué que les commissions par les Français aux Pakistanais s’élevaient à 10 % du contrat, soit 85 millions d’euros. Une partie, 6,25 %, était destinée aux militaires pakistanais, en transitant par la Sofema, dont l’Etat est actionnaire. Ces commissions ont perduré au moins jusqu’en septembre 2008. Le solde, soit 4 % du contrat, était destiné à corrompre des politiques pakistanais. Un intermédiaire, Ziad Takieddine, imposé par le gouvernement Balladur, était en charge de leurs versements et transits.

2- La levée du secret défense.

Ces révélations (Mediapart, Bakchich, Libération) ont sans doute à voir avec la levée du secret défense intervenue, avec quelques jours de retard, et après quelques mois de "ménage" dans les placards des Armées. On sait, depuis quelques semaines, que Nicolas Sarkozy fait surveiller l’évolution de cette affaire par ses proches, dont Claude Guéant.

Le site Bakchich en a parlé il y a 15 jours. En juin dernier, Hervé Morin avait promis la levée du secret défense pour ... le mois de septembre. On attendait avec impatience ce qu’il pourrait sortir des investigations de rentrée des deux juges chargés de l’instruction.

Hervé Morin avait donc attendu le 1er septembre pour saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN). Trois semaines plus tard, le 24 septembre, cette dernière a émis un avis favorable à la déclassification de 40 documents, tous soumis à son examen par le ministère de la Défense, relatifs à l’attentat de Karachi du 8 mai 2002. Cet avis a un peu tardé à être publié au Journal Officiel, puisqu’il fallut attendre une semaine de plus pour sa publication officielle. Et encore quinze jours pour apprendre, de la ministre de la Justice, que ces documents avaient été effectivement déclassifiés, conformément aux recommandations de la Commission.

Outre la piste des rétrocommissions en faveur de politiques français (mais qui ??), les juges s’intéressent aussi à la piste d’une vengeance de militaires pakistanais pour expliquer l’attentat de Karachi. Autrement dit, ce que Nicolas Sarkozy qualifiait très (trop) rapidement de "fable" au printemps dernier est devenu l’objet de toutes les attentions judiciaires.

A quelques mois de la prochaine suppression du juge d’instruction (un projet annoncé, mais qui reste à être voté), il est truculent d’entendre Michèle Alliot-Marie expliquer qu’elle fait confiance aux juges d’instruction pour "apprécier en toute indépendance (...) les suites qu’ils entendront donner à l’ensemble des éléments qu’ils auront recueillis".

http://sarkofrance.blogspot.com/2009/10/karachigate-guerres-mensonges-et.html

Messages

  • Il est symptomatique, aujourd’hui, qu’on remplace les notions de "lutte pour l’indépendance" et "souveraineté des nations" par le mot "argent", dans le discours global visant à expliquer le mobile des hommes et la marche d’un Monde simplifié où tous les chefs d’état, surtout émanant des anciennes colonies, sont corrompus ou à corrompre.

    Exemple : la cause de l’insurrection afghane, c’est l’argent.

    Ainsi, "The Times", récemment, nous expliquait pourquoi les dix soldats français avaient été tués lors de l’embuscade de la vallée de la Kapisa, en août 2008 : ils n’avaient pas payé la dime aux insurgés.

    De la même manière, on nous fait croire que les dix ingénieurs français de la DCN, tués le 8 mai 2002, à Karachi, l’ont été parce que les pots de vin qui auraient dû être versé ne l’ont pas été.

    L’explication est un peu courte et dénote la partialité des enquêteurs.

    Si cette version satisfait une opposition politique à Sarkozy, en France, elle est loin de rendre compte de la complexité des choses - en premier lieu, le contexte régional de l’époque (opération Enduring Freedom en Afghanistan et mobilisation générale des troupes indiennes sur les frontières pakistanaises) et en second, la qualité des armes vendues.

    Car ce ne sont pas des voitures électriques que vendait la firme Thalès au Pakistan mais des sous-marins AGOSTA 90 B, capables de changer, dans l’Océan indien, l’équilibre fragile des forces.

    Pourquoi les personnes qui souhaitent par-dessus tout la Vérité ne le disent-elles pas ?

    Pourquoi ne disent-elles pas que le Pakistan et l’Union sont engagés dans une lutte à mort pour obtenir les vecteurs stratégiques nécessaire pour porter leurs missiles Agni et Shaheen ?

    Pourquoi ne parlent-elles pas du conflit, à propos du nucléaire pakistanais, dès 1976, entre la France dont le PM était Jacques CHIRAC et le département d’état américain ?

    Une généalogie des intérêts et des guerres secrètes, dans la région, serait nécessaire pour expliquer l’attentat spectaculaire de Karachi, le 8 mai 2002.

    Or personne ne prend la peine de le faire comme si le Pakistan, un pays de 160 millions d’habitants, était une minuscule république bananière, manipulée par l’ancienne puissance coloniale.

    Tous ces non-dits et le fait que l’enquête ne s’éloigne jamais d’intérêts particuliers, à Paris, me laissent penser que cette dernière est instrumentalisée à d’autres fins que la recherche de la vérité.

    • Les familles des victimes de l’attentat de Karachi écrivent sur leur blog :

      " Les dernières révélations de Libération et de Mediapart (cf. articles du 17 Octobre 2009) vont dans le sens de l’intérêt du juge d’instruction concernant la piste d’un attentat en lien avec le contrat Agosta, contrat sur lequel nos proches étaient missionnés.

      Bien que ne possédant pas (encore ?) de preuve matérielle liant l’attentat à l’arrêt du versement de commissions, un certain nombre de vérités s’imposent dans ce dossier :

      1- La Haute Cour du Sindh (province pakistanaise) a ordonné la relaxe de Rizwann et Zaheer, condamnés à mort en 2003, pour manque de preuve, voire aveux contraints et forcés …

      La piste islamiste s’éloigne donc de plus en plus !

      2- Selon un ancien dirigeant de la Direction des Constructions Navales (DCN), M. Menayas, auditionné en mai par le juge Trévidic, une part des commissions (celle destinée au « political level ») a été stoppée par Jacques Chirac en 1996 en raison de soupçons de rétrocommissions – illégales même avant 2000.

      Ces révélations de M. Menayas ont été accréditées par l’ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac, Charles Millon, et par des documents internes de DCNS…

      Donc l’arrêt du versement des commissions ne semble pas être une légende !

      3- Deux documents ont été perquisitionnés au siège de la DCN ces derniers mois : l’un évoque les moyens pour la DCN et sa filiale DCNI de récupérer les sommes qui n’ont pas été versées aux intermédiaires du contrat Agosta (4 % de 825 millions d’euros tout de même !) ;

      l’autre indique que l’intermédiaire missionné par la DCN a agi en « violation de la clause prohibant les retours des commissions en France »…

      La DCN aurait donc été « au parfum » des rétrocommissions illégales.

      Pendant ce temps, Monsieur Sarkozy refuse toujours de nous recevoir, faisant de nous des parias … des indésirables au pays des non dits et des tabous !!

      Il n’est apparemment pas de bon ton, en France, de chercher la vérité à tout prix …

      Pour nous soutenir, signez la pétition :

      « NON AU MEPRIS DU CHEF DE L’ETAT A L’EGARD DES FAMILLES DES VICTIMES DE L’ATTENTAT DE KARACHI ! »

      http://www.verite-attentat-karachi.org/

    • Je conseille aux honorables citoyens français qui souhaitent la vérité sur l’attentat de Karachi de lire un peu plus la presse pakistanaise et de s’intéresser à la déstabilisation de la région par voie de terrorisme.

      http://www.town9.com/rehman-malik-protecting-raw

      La haute cour du Sindh a certes disculpé deux personnes, présumées responsables de l’attentat du 8 mai 2002 à Karachi qui a coûté la vie aux ingénieurs français, mais elle ne désigne pas pour autant des membres de l’appareil d’état comme les éventuels auteurs.

      Il n’y a aucune preuve matérielle de l’implication de "Monsieur Dix-pour-cent", c’est-à-dire, le président Ali Azif ZARDARI, visée par la rumeur "Nautilus".

      Cette dernière émane d’un agent occidental des services secrets qui, de son propre aveu, n’a jamais mis les pieds au Pakistan !

      Pourquoi cette rumeur a-t-elle reçu autant d’audience ?

      Pourquoi les journalistes pakistanais, qui enquêtent sur l’affaire, n’ont-ils pas le droit de citer ?

      Pourquoi se focalise-t-on autant sur la piste des pots-de-vin non versés, datant de 1994, alors que le suivi de l’actualité pakistanaise montre presque quotidiennement la préparation et l’exécution du même type d’attentat ?

  • Les familles des victimes de l’attentat de Karachi, ainsi que leur avocat, ont accès au dossier depuis 2002. Elles savent donc beaucoup plus de choses que nous. Elles suivent le dossier chaque jour, depuis 2002. Elles ont leur conviction.

    En revanche, que certains commentateurs de Bellaciao aient leur propre conviction, différente de la conviction des familles des victimes, est normal.

    Normal, mais beaucoup moins crédible.

    http://www.verite-attentat-karachi.org/

    • Il y avait des signes avants-coureurs de l’attentat, le 8 mai 2002...

      http://www.lexpress.fr/actualité/monde/asie/imprudence-a-karachi_494788.html

      Cependant le ministre de la Défense de l’époque, M. ALLIOT-MARIE, et la DGSE ne semblent pas en avoir tenu compte ; ils ne seront jamais inquiétés.

      Pourquoi autant de complaisance avec MAM ?

      Aujourd’hui, l’enquête et l’intime conviction des familles paraissent complètement ignorer les négligences des services secrets français et l’imprudence de leur ministre de tutelle.

      A ma connaissance, aucun des responsables en poste, à l’époque, de la protection des ingénieurs de la DCN, à Paris comme à Islamabad, n’a été sanctionné.

      Mieux, l’ancienne ministre de la Défense est devenue ministre de la Justice.

      Avec un tel encadrement, on peut être sûr que l’enquête ne sortira pas des clous...

    • J’ai diffusé la thèse des deux juges en charge de l’enquête : les commissions de la France vers le Pakistan, puis les rétrocommissions du Pakistan vers la France, et enfin la rupture brutale de la France qui viole le contrat en 1996.

      Maintenant, Himalove, à votre tour.

      Quelle est votre thèse ?

    • Lire mon exposé publié sur Bellaciao, le 13 juillet 2009 :

      ATTENTAT DE KARACHI : LA PISTE INDIENNE

      Je n’aborde pas ici le rôle étrangement passif du ministère de la défense, MAM, et de ses services secrets, avertis de la montée des périls...

      C’est aux enquêteurs, au sein des services concernés, de chercher la cause volontaire ou non des négligences commises, en matière de protection des personnels.

      Bien que le consulat de Karachi ait été fermé, après l’attentat, il n’y a pas de "rupture de contrat entre la France et le Pakistan" ; l’assemblage et les livraisons de matériel des sous-marins AGOSTA 90 B ont eu bien lieu :

      http://www.defence.pk/forums/weapons.clubs/4700-agosta-90-b-pakistan.html

      Lire ce que pense les militaires pakistanais quant aux terroristes, responsables de l’attaque :

      http://forum.pakistandefence.com/lofiversion/index.php./75831.html

      Les trois sous-marins AGOSTA, avec tout leur équipement THALES, sont les pièces maîtresses d’un dispostif stratégique face à l’Union indienne, dans l’Océan indien ; les militaires pakistanais et leurs services secrets n’avaient aucun intérêt à tuer les 11 ingénieurs français, venus les assembler.

      Au contraire.

      Tout retard d’exécution dans la mise en activité des sous-marins, autour du nouveau terminal pétrolier de Gwaddar, au Baloutchistan, donnait l’avantage à leur ennemi, l’Indian Navy.

      Le versant français de l’affaire serait intéressant, pour la compréhension de l’attentat, si l’instruction cherchait à savoir pourquoi le ministre de la Défense, après un tel fiasco des services de la DGSE, n’a pas donné sa démission ?