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NOSTALGIE

Publie le jeudi 29 octobre 2009 par Open-Publishing

Je reproduis ici un article de Michel Bernard qui date de l’an 2000. À l’époque on tentait fébrilement de s’attaquer au problème de la pauvreté au Québec. Même l’Assemblée nationale à Québec parlait de l’objectif "pauvreté zéro". Il y avait eu la marche des femmes, les propositions de revenu citoyen par des penseurs comme Michel Bernard et Michel Chartrand. Déprimant combien on a reculé par rapport à cet objectif depuis les neuf dernières années. L’objectif "pauvreté zéro" a par contre été appliqué pour les grandes institutions bancaires renflouées à coups de milliards de l’argent des contribuables. Pendant ce temps, la situation socio-économique des classes défavorisées du Québec s’est encore détériorée. Mais que voulez-vous, on aime élire ceux qui veillent en priorité aux intérêts des nantis...

Être pauvre aux portes du paradispar Michel Bernard
Être pauvre, c’est être obsédé par des questions de survie. La chasse aux aliments devient un sujet d’inquiétude pour 800 000 Canadiens ayant recours aux banques alimentaires. Le coût de la pauvreté zéro serait de quelque 3,6 milliards $ annuellement au Québec, un montant équivalent à celui réclamé en baisses d’impôts par les patrons. Contre les effets pervers de notre système de collaboration sociale, nous avions engendré une socialisation de la responsabilité 0 le droit social. Allons-nous enfin donner suite à cet engagement où laisserons-nous le droit social se dissoudre dans l’aléatoire de la charité ?

Le coût de la pauvreté zéro

Il aurait fallu 18,6 milliards de revenus annuels en plus en 1997 au Canada pour que personne ne soit sous le seuil de pauvreté1 (encadré 1ère colonne). On sait que 19,5% des pauvres vivent au Québec (1 472 000 ¸ 5 121 000). Cela signifie que quelque 3,6 milliards $ par année (18,6 milliards x 19,5%) serait l’ordre de grandeur du montant nécessaire à la pauvreté zéro au Québec. C’est pour dire qu’un revenu de citoyenneté ciblé sur l’objectif de pauvreté zéro est chose abordable.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante réclamait justement 3,6 milliards de réductions d’impôts annuels au Québec à mettre en vigueur d’ici 20042. Des économistes de banques parlent de baisses d’impôts de 5,1 milliards pour le Québec dès 2004 appuyées sur un surplus budgétaire annuel anticipé3. La deuxième colonne de l’encadré est importante, car elle donne un aperçu du coût brut du revenu de citoyenneté en supplément des coûts redéployés des programmes actuels. En réalité, le coût net serait beaucoup moindre à cause des retombées économiques directes, la réduction des coûts sociaux, la réduction des immenses coûts administratifs des programmes conditionnels actuels, etc.4

Les pauvres et les très pauvres.

Les mécanismes du marché laissent des masses considérables de personnes dans la pauvreté. En 1997, le taux de pauvreté était de 17,2% au Canada, 19,6% des enfants sont pauvres et 17% des personnes âgées sont pauvres. Au Québec il y avait 1 472 000 pauvres soit 20,1% de la population. Évidemment, la droite en quête d’une élimination des coûts de la solidarité rejette ces calculs des seuils de pauvreté5.

Je vous invite à consulter l’encadré et à tirer vos propres conclusions. Ceux qui travaillent ont de plus en plus tendance à demeurer pauvres 0 le taux de pauvreté était supérieur au taux de chômage de 3 à 5% depuis vingt ans ; il le dépasse de 6% en 1996 et de 7% en 1997. Environ 55% des pauvres sont des " working poors " ; 21% des chefs de familles pauvres avaient un emploi à temps plein et 35% à temps partiel .

Le travail partiel est insuffisant 0 les personnes seules qui ont réussi à accumuler de 20 à 29 semaines de travail en 1997 subissent un taux de pauvreté moyen de 51,5%. Les couples qui ont accumulé à deux de 40 à 48 semaines de travail sont demeurés pauvres à 30,3%. Il y a vingt ans, le salaire minimum se situait à 18% au-dessus du seuil de la pauvreté 0 aujourd’hui, il est à 20% en dessous du seuil de pauvreté6. Il faudrait 9,70$ de l’heure pour 48 semaines de 35 heures à Montréal pour qu’une personne seule atteigne le seuil de pauvreté.

Aux États-Unis, 35 millions de pauvres se cachent derrière le beau taux de chômage de 3,9% et c’est le plus long cycle d’expansion économique de leur histoire. Par exemple, une seule banque alimentaire, Second Harvest, a reçu 21 millions d’usagers en 1997, dont 40% provenaient d’un foyer ou au moins une personne travaillait.7

Les jeunes familles sont frappées durement, rien à craindre pour un deuxième baby boom… le taux de pauvreté est de 80,2 % dans une famille ayant une femme seule à sa tête et comptant deux enfants de moins de 7 ans. Les mères seules de moins de 25 ans sont pauvres à 93,3%. Les jeunes couples de moins de 25 ans sont pauvres à 34%. Le taux de pauvreté des enfants de moins de 18 ans est de 19,6% au Canada et 20,9% au Québec. Il y avait 1 384 000 enfants pauvres au Canada sur un total de 7 053 000 enfants et 343 000 enfants pauvres au Québec en 1997. Le taux de pauvreté est de quelque 60% pour les enfants de moins de 18 ans élevés par une mère seule. Ça va nous rebondir dans la face en coûts décuplés dans 10 ans.

Croissance parallèle de la richesse et de la pauvreté

Où va la croissance ? Le 14 décembre 1999, l’indice boursier torontois TSE-300, le phare de la Bourse canadienne, atteignait le record de 8 014 points, une hausse de 26% depuis un an. Une augmentation de 26% par année qui ira s’ajouter aux fortunes de l’oligarchie financière canadienne des 1% qui détiennent 40% des actions ou des 10% qui en détiennent 70%8.

La distribution de provisions chez Moisson Montréal (60 tonnes par jour) a augmenté de 65% et les repas communautaires de 75% de 1995 à 19999. Une croissance comparable au TSE, 75% de 1995 à 1998, mais moins que le NASDAQ, 75% pour l’an dernier seulement. Les médias des affairistes ont parlé des " augmentations " de salaires de 1,5% par année comme de " cadeaux de Noël ". Si on tient compte de l’inflation, le gain moyen réel de l’ensemble des salariés québécois a reculé de 4,9% de 1983 à 199710. Avec 1,5% d’augmentation, le salaire réel, le pouvoir d’achat recule car l’inflation canadienne excède 1,5%.

Le nombre de Canadiens devant recourir aux banques alimentaires pour traverser chaque mois a doublé dans la dernière décennie pour atteindre 800 000 personnes, c’est plus que la population de Terre-Neuve. L’an dernier, l’augmentation a été de 10% et 300 000 enfants forment 40% des usagers11. La population des pauvres est mouvante 0 chez les personnes seules, 46,8% de la population totale ont été pauvres à un moment quelconque entre 1993 et 1996 ; chez les pauvres, 61,5% l’ont été pendant quatre ans, mais 13,5% s’en sont sortis après un an, 12% après deux ans, 13% après trois ans.

Au Québec, devant le blâme du Comité des droits économiques et sociaux de l’ONU, le gouvernement répondait 0 " loin d’être négative, l’existence des banques alimentaires démontre la volonté d’une société de partager ses ressources avec ses membres les plus démunis et ce, d’une façon volontaire, non gérée par l’État12. " " Façon volontaire non gérée par l’État ", ça veut dire en charité plutôt qu’en droit. Le gouvernement y trouve prétexte au désengagement. On ne construit plus de logements sociaux, mais on garroche un os de 700 000 $ dans l’Accueil Bonneau0 c’est pour accueillir une infime proportion de ceux que la réduction des programmes sociaux a jetés dans la rue. Le fédéral a fait un show en nommant un ministre " sans portefeuille " pour les " sans-abri ".

Dernièrement, on se félicitait de l’activité économique supplémentaire générée par le bug de l’an deux mille qui a coûté 68 milliards au Canada. Quand nous féliciterons-nous de l’activité économique provoquée par les coûts de la pauvreté zéro ?