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Le massacre des innocents

Publie le lundi 6 septembre 2004 par Open-Publishing

de Jean-Paul Piérot

Le drame de Beslan signe, avec le sang des enfants, l’échec de la gestion du conflit tchétchène par Vladimir Poutine.

On aurait tant aimé pouvoir croire - au moins une fois - en la parole de Vladimir Poutine, quand celui-ci dit, vingt-quatre heures avant ce vendredi noir de Beslan : " L’essentiel est de sauver la vie et de protéger la santé des otages. " On pouvait espérer que le président russe avait tiré la leçon de la tragédie du théâtre de la Doubrovska, dans lequel furent sacrifiés plus d’une centaine d’otages, asphyxiés par les gaz, victimes collatérales de l’intervention des forces de sécurité contre le commando de séparatistes tchétchènes. C’était il y a deux ans. Le choc avait été alors considérable. Pour la première fois, la population de Moscou faisait les frais - et à quel prix ! - de la directive énoncée par le chef du Kremlin en personne : exterminer les terroristes " jusque dans les chiottes ". Cette logique conduit à considérer l’élimination des terroristes comme prioritaire sur la vie des hommes, des femmes, des enfants pris en otages. Cette politique qui frappe la population sans discernement ne soulevait guère de protestations dans la capitale, tant qu’elle n’était pratiquée qu’en Tchétchénie. Et les rares voix courageuses, celles des mères de soldats, des organisations de défense des droits de l’homme, ou de quelques journalistes dignes de ce nom, étaient vite étouffées.

" Sauver les enfants. " Lorsque Poutine lâcha cette noble promesse, face à une ville entière plongée dans l’angoise, à des familles torturées de savoir leurs enfants terrorisés, menacés de mort, privés d’eau et de nourriture par quelques individus qui avaient franchi les frontières de l’inhumanité, lorsque Poutine se montra rassurant, savait-il que sur le terrain les forces spéciales se préparaient à tirer aux obus de char sur l’école où étaient entassés plusieurs centaines d’élèves, d’enseignants et de parents ? Il est malheureusement difficile d’accorder d’emblée crédit aux dénégations du président, quand il assure que cet assaut n’était pas programmé, qu’il fut le tragique résultat d’un enchaînement de circonstances. Les autorités ont en effet menti depuis le début, sur le nombre des otages d’abord, puis sur le nombre des victimes.

Plan concerté ou emballement, le drame de Beslan signe, avec le sang des enfants, l’échec de la gestion du conflit tchétchène par Vladimir Poutine. Le successeur de Boris Eltsine avait soigné son image de fermeté, campant un personnage inflexible, n’hésitant pas à relancer la guerre en Tchétchénie à l’aube de son premier mandat pour souder derrière lui une population russe hostile au séparatisme tchétchène. Depuis, exactions de l’armée dans la république caucasienne et multiplication des actions terroristes se nourrissent mutuellement. Le refus de rechercher une issue politique qui sorte de la fausse alternative entre un pouvoir fantoche imposé par un scrutin truqué et une Tchétchénie livrée aux prédicateurs armés d’Arabie saoudite, conduit, en toute logique, à une situation d’impasse dont profitent les éléments les plus extrémistes. L’accélération du rythme d’actions terroristes toujours plus meurtrières (l’explosion simultanée de deux avions de ligne, l’attentat suicide dans un marché de Moscou, précédant de quelques jours la tragédie de Beslan) ouvre une période extrêmement dangereuse dans une zone aussi instable que le Caucase et dans toute la Russie. Et ce n’est pas en empruntant les thèmes favoris de George Bush sur la guerre contre le " terrorisme international ", sans s’attaquer aux racines de la crise, que Vladimir Poutine commencera à faire sortir son pays de cet engrenage meurtrier. Qui massacre des enfants un jour de rentrée des classes.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-09-06/2004-09-06-399963