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NESTOR BAGUER RACONTE : « J’AI été le premier représentant de RSF à Cuba »

Publie le lundi 13 septembre 2004 par Open-Publishing


de JEAN-GUY ALLARD

« J’AI été le premier représentant de RSF à Cuba », a raconté Nestor Baguer Sanchez
Galarraga dans une entrevue exclusive accordée aux auteurs de Le Dossier Robert
Ménard : Pourquoi Reporters sans Frontière s’acharne sur Cuba“. Le vétéran reporter
a ainsi erxpliqué comment Ménard l’a recruté puis lui a livré un ordinateur portable,
selon une procédure identique à celles qu’utilisent universellement tous les « honorables
correspondants » de la CIA impliqués dans des opérations de recrutement et d’approvisionnement
d’informateurs. Baguer était alors Président de l’Association des Journalistes
Indépendants... pour les besoins de la cause puisqu’il s’est révélé être l’agent
Octavio des organes cubains de contre-espionnage.

Nous reproduisons ici cette entrevue révélatrice.

Comment avez‑vous été en contact avec Ménard ?

Ils avaient entendu parler de l’Association des Journalistes Indépendants de Cuba. Et j’étais le principal journaliste dissident. Ils ont établi le premier contact par l’intermédiaire de la famille d’une personne qui avait été emprisonnée et qui me connaissait. J’ai dit que j’étais prêt à travailler mais que je voulais connaître les conditions. Ils sont alors venus à Cuba sans s’annoncer.

Lorsque Ménard est venu à La Havane, le 20 septembre 1998, il vous a rendu visite chez vous ?

Non, il n’est jamais venu chez moi, nous nous sommes vus ailleurs, chez les gens par lesquels le contact s’était établi entre nous, au coin des rues 21 et G. Ménard est venu là avec son assistant, Régis Borgeat.

Comment la conversation s’est‑elle déroulée ?

Ils m’ont dit qu’ils voulaient parler avec moi en privé et que nous allions faire un tour. Ils avaient une voiture et nous avons tourné dans le quartier du Vedado.

Il ne voulait pas que la conversation se déroule chez ces gens ?

Non. Il voulait sortir pour pouvoir parler en toute tranquillité. Il voulait que nous soyons dans la voiture pour le faire. Il insistait pour que notre conversation se déroule sans témoins.

Pourquoi ?

Il semble qu’il n’avait confiance en personne.

Qui conduisait ?

Son assistant. Un homme plus jeune que lui. Nous, Ménard et moi, étions assis à l’arrière.

Ils parlent espagnol ?

Oui, pas mal.

Qui parlait avec vous ?

Plutôt Ménard bien que l’autre soit intervenu de temps en temps.

Ils ont enregistré la conversation ?

Pas que je sache.

Comment était‑il habillé ?

Bien. Élégamment.

Il vous a expliqué ses objectifs ?

Il m’a présenté les choses comme une question de défense de la liberté de la presse. Une bataille pour la liberté de la presse “dans le monde entier”. Il m’a dit qu’ils étaient une organisation internationale qui protégeait les journalistes dans le monde entier. Il a ajouté qu’il était parrainé par de nombreuses grandes entreprises françaises qui lui donnaient de l’argent pour qu’il puisse réaliser ce travail. Il m’a dit qu’il y avait des gens en France qui étaient intéressés par ce type de choses.

On dit que Ménard est autoritaire, qu’il n’aime pas débattre ¼

Il est autoritaire, il venait donner des instructions, il ne venait pas écouter. Il venait dire ce qu’il fallait faire.

À ce moment‑là, RSF attaquait déjà Cuba en France ?

Bien sûr, mais ils voulaient que des choses sortent directement d’ici. Il semble qu’avant, les informations lui provenaient de Miami. Il voulait une source cubaine pour que cela soit plus crédible.

Il donnait l’impression d’avoir de l’argent ?

Pour se loger à l’Hôtel Nacional et louer une grosse voiture¼ Cela coûte une bonne quantité de dollars par jour.

Combien de temps votre promenade a‑t‑elle duré ?

Une heure environ. Ce n’est pas à ce moment‑là qu’il m’a remis l’ordinateur, il m’a donné rendez‑vous dans un parc. Il a envoyé son assistant, celui‑ci m’a remis l’ordinateur.

Où cela s’est‑il passé ?

Au parc de H et 21. Le parc Victor‑Hugo.

Comment ont‑ils procédé ?

Ils m’ont appelé et m’ont dit d’être à telle heure, à tel endroit.

Y avait‑il quelqu’un quand vous êtes arrivé ?

Non, il n’y avait personne.

Qu’avez‑vous fait ?

Je me suis assis sur un banc. L’assistant de Ménard est arrivé, il m’a remis l’ordinateur, un portable et il est parti. C’est tout.

Cela vous semble‑t‑il la manière d’agir de services de renseignement ?

Tout à fait. Cela n’a rien à voir avec le journalisme.

Est‑ce que les rendez‑vous de ce type sont courants chez les journalistes cubains ?

Non. Nous n’avons pas besoin de nous voir dans des parcs.

Et de s’enfermer dans des voitures pour qu’il n’y ait pas de témoins ?

Non plus.

La chose normale aurait été qu’il passe chez vous, croyez‑vous ?

Bien sûr, il avait mon téléphone.

Il vous a donné l’impression d’avoir l’habitude d’agir de cette manière ?

Tout à fait.

Ils n’étaient jamais venus à Cuba ?

Jamais.

Que savait‑il de Cuba ?

Rien. Lorsque je l’ai vu, il était ici depuis deux jours. Que pouvait‑il bien connaître ? Il parlait par exemple du problème racial. Qu’il y ait des personnes qui sont racistes à Cuba, c’est vrai. Mais il y en a dans le monde entier. Ce qu’il n’y a pas à Cuba, c’est une politique raciste car il y a l’égalité des chances. C’est tout autre chose aux États‑Unis.

Combien de temps est‑il resté à La Havane ?

Je crois qu’il est resté une semaine et, à ma connaissance, il n’a vu personne d’autre.

Comment êtes‑vous resté en contact avec Ménard ?

Par téléphone, Son assistant m’appelait de France. Je parlais alors plus avec Régis qu’avec Ménard.

Il dirigeait votre travail ?

Oui.

Ils vous demandaient de traiter de questions en particulier ?

Ils précisaient les sujets qu’ils voulaient voir aborder. Ce sont eux qui indiquaient les thèmes.

Régis vous appelait toutes les semaines ?

Presque toutes les semaines. De longs appels car je devais transmettre mes textes. Je lisais et il enregistrait. Ensuite, il me donnait des conseils.

Des conseils ?

Régis me reprochait d’être trop tendre avec le régime. Je lui disais que je n’étais pas habitué à employer certains mots. J’ai un certain niveau culturel et il y a des choses que je ne dis pas même à un ennemi. Il me demandait pourquoi je ne traitais pas Fidel Castro d’assassin ; je lui disais que je devais respecter l’autorité si je voulais que l’on me laisse travailler, mais, lui, il insistait pour que je dise que Fidel était un assassin, qu’il était ci, qu’il était ça... Il ne l’a jamais obtenu et les relations se sont tendues.

Il s’est mis en colère à un moment ou un autre ?

À la fin, oui, il était en colère contre moi et ils ont nommé un autre représentant. Il disait que je n’étais pas assez agressif. Il me donnait l’exemple d’autres personnes qui envoyaient des informations, qui disaient qu’il y avait des grèves de la faim et ce n’était pas vrai. Une fois où il a été question d’une telle grève, je me suis personnellement rendu sur les lieux dans le quartier de Santo Suarez. Je suis entré à une heure où l’on ne m’attendait pas. Et j’ai trouvé ces gens‑là en train de faire chauffer une soupe au poulet. Tout était faux.

Où les informations que vous envoyiez étaient‑elles publiées ?

Je n’ai jamais su, je n’ai jamais reçu de coupures de presse, rien. La seule chose que j’ai vue, c’est une information publiée dans une petite revue tirée par RSF.

Est‑ce qu’on vous a demandé des informations concernant la défense du pays ?

Oui. Ils voulaient savoir si je connaissais des dissidents au sein de la police, des forces armées. Cela les intéressait.

RSF se comportait comme s’il s’agissait d’une agence de presse ?

Exactement. Comme une agence de presse et non comme l’association qu’ils prétendent être. Ils recueillaient les informations et nous disaient qu’ils les distribuaient tant aux États‑Unis qu’en Europe. Ils se comportaient en effet comme une agence de presse, pas du tout comme des défenseurs des journalistes. De plus de très nombreuses “agences cubaines indépendantes” se créaient à ce moment‑là, j’en ai connu qui étaient formées du père, de la mère et du fils et ils voulaient tout contrôler.

Depuis le début, il vous a parlé d’argent ?

Bien sûr ! Il parlait d’aider. Ils “aidaient” les journalistes qui les aidaient à mener leurs campagnes pour “le bien de la presse libre du monde”. Il ne parlait pas de quantité d’argent.

Comment cela se passait‑il pour l’argent ?

Il passait par une agence de banque grâce à une carte Transcard. Ils me prévenaient qu’ils avaient fait un transfert et j’allais retirer l’argent avec ma carte. Ils m’envoyaient quelque chose tous les mois, ce qui me revenait et ce que je devais remettre à mes auxiliaires. L’argent destiné à ceux qui envoyaient des informations passait par moi. Ils payaient les travaux qui leur convenaient, sinon, ils ne les acceptaient pas, tout simplement. Plus le mensonge était gros, mieux ils l’acceptaient.

Quel était le montant des mensualités ?

150, 200 dollars. Il m’envoyait à moi 100 dollars par mois. À d’autres, non. Certains ne recevaient que 5 dollars par mois.

C’est bien peu¼

Effectivement. C’était pour lui une affaire juteuse. Une affaire fantastique qui lui rapportait certainement des milliers de dollars. Il disait qu’il allait aider, mais il n’aidait personne. Il exigeait un travail et il le payait. Ce n’est pas de l’aide, c’est une affaire. Avec Ménard, tout est donnant, donnant. Il est arrivé un moment où je me suis senti dégoûté de tant de faux‑semblants. J’ai vu aussi comment les “journalistes dissidents” se volaient les uns les autres, comment lorsque l’argent arrivait entre les mains d’un chef, il gardait tout et disparaissait.

Jusqu’à quel point la Section des Intérêts des États‑Unis vous considérait‑elle comme un homme de confiance ?

J’avais un laissez‑passer permanent pour entrer à la Section des Intérêts des États‑unis, à n’importe quelle heure, n’importe quel jour, en compagnie de deux autres personnes. Comme j’ai fait mes études dans une université étasunienne, ils considéraient qu’il y avait un plus grand terrain d’entente avec moi qu’avec les autres Cubains. J’avais vécu à New York, je connaissais bien les États‑unis et j’avais beaucoup d’amis là‑bas.

Vous vous exprimez facilement en anglais ?

Je le parle comme l’espagnol. Lorsque j’avais des réunions avec eux et qu’il y avait, outre les Cubains, par exemple un membre du Congrès, ils prenaient un traducteur pour les Cubains. À moi, ils me disaient : “Baguer, parlez en anglais, nous traduisons.”

Quand êtes‑vous entré en contact avec la Section des Intérêts ?

En 1998, j’ai eu des contacts avec l’attaché culturel, Gene Bigler. J’étais allé à la Section des intérêts pour chercher des informations. Il savait que j’avais vécu aux États‑Unis et que j’étais journaliste. Il m’a présenté à son chef, Joseph Sullivan.

Quand votre rôle a été connu, y a‑t‑il eu des réactions particulières ?

J’ai reçu une douzaine de menaces de mort.

Comment ?

Anonymes, par téléphone.

D’ici ?

Non, de l’étranger, de Cubano‑américains.

Comment avez‑vous mis un terme à vos relations avec la Section des Intérêts des États‑Unis ?

Le lendemain du jour où mon travail d’agent a été rendu public, j’ai appelé par téléphone Monsieur Cason, le Chef de la Section des Intérêts, pour le saluer. Quand j’ai dit qui j’étais, il a crié : “Je ne veux rien savoir !” Il a raccroché, il semble qu’il n’ait pas apprécié mon appel.

Quel est votre avis sur Ménard ?

Pour moi, c’est un délinquant. Vraiment. Il a trompé tout le monde en disant qu’il voulait la liberté de la presse. De quelle liberté peut‑il être question s’il te dit ce qu’il veut que tu lui dises ? C’est ce que voulait Reporters sans frontières. Des mensonges. Écrire n’importe quoi même en sachant que c’est impossible à prouver.

http://www.granma.cu/frances/2004/septiembre/juev9/baguer-f.html