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L’ouvrier jeté comme un sale papier

Publie le samedi 28 novembre 2009 par Open-Publishing
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"La Fabbrica" est une fresque poético-réaliste, qui trace une histoire de l’Italie contemporaine Au nom de termes aussi abstraits et froids que rationalisation, restructuration et rentabilisation, il devient de plus en plus monnaie courante dans notre monde économique acharné de fermer des sites de production et de transférer leurs infrastructures et intendances dans un pays en développement pour y faire grimper ses propres actions et profits. Marc Weinachter

Restent, sonnés sur le tapis, de pauvres misérables ouvriers – ayant toujours assuré avec fidélité et fierté l’identité de l’entreprise –, dorénavant mis à l’écart et oubliés comme des pestiférés.

Avec sa remarquable pièce-témoignage, l’auteur dramatique italien Ascanio Celestini, né à Rome en 1972, entraîne le public dans la splendeur, la magie, la chute et la mort d’une usine sidérurgique dans l’Italie du 20e siècle, symbole de la réussite et de la disparition de toute une glorieuse ère industrielle.

Donnant la parole à un ouvrier, entré en usine en 1949, cette tragi-comédie relate, à travers des lettres adressées à sa mère pendant 50 ans, bonheurs et malheurs d’un travailleur au service du gueulard.

D’un décor assez sombre, coupé par une grande verrière d’usine, donnant sur la silhouette spectrale d’un imposant haut-fourneau, se dégagent lentement, comme traînant tristesse et amertume, cinq personnages au regard endurci et décidé.

Dans cette poignante scénographie de Vincent Tordjman, deux excellents comédiens, Serge Maggiani et Agnès Sourdillon, se feront les narrateurs solidaires des expériences et luttes vécues au fil du temps par l’ouvrier témoin tandis que trois chanteurs, à la corde très sensible, Sandra Mangini, Germana Mastropasqua et Xavier Rebut exprimeront, tel l’antique chœur grec, déchirements et révoltes en notes aiguës. Dans le sillage direct de Jean Vilar, initiateur et promoteur du théâtre populaire, le metteur en scène Charles Tordjman ne s’investit pas tellement dans une plus large propagation des auteurs classiques, mais vise avant tout dans son théâtre engagé une meilleure appréhension et critique réaliste des problèmes sociaux de notre temps. Ainsi, par le truchement de „La Fabbrica“ de Celestini, il fait revivre, à l’exemple du contremaître Fausto et de sa famille, trois générations d’ouvriers sidérurgiques aux destins différents : les géants, les seigneurs et les estropiés.

Trois générations d’ouvriers

Les premiers, grands gaillards optimistes, réussirent, à la force des poignets, à mettre sur pied et développer la sidérurgie. Les seconds, fiers de la réalisation de leurs aînés, se sentirent comme anoblis par leur tâche à l’usine, considérant cette dernière comme leur domaine.

Quant aux troisièmes, ayant connu les affres de la guerre et plus tard celles de la récession, rares furent ceux qui allaient longtemps survivre, mutilés dans leurs corps et âmes. Et puis cette terrible arnaque finale portant, avec le démontage de l’usine et la vente du haut-fourneau en Chine, le coup de grâce à cette „Fabbrica“, autrefois si resplendissante et dynamique. Avec la disparition de l’entreprise et de ses travailleurs, ne restera plus qu’un accusant terrain vague sur lequel se baisse en ultime consolation l’ombre de la nuit. Surgit, à cette place, automatiquement le souvenir douloureux de la désagrégation dite crépusculaire de l’ancienne Arbed. En dehors de sa biographie, „La Fabbrica“ se veut également récit épique éloquent de l’esprit de famille, de camaraderie et de solidarité caractérisant le milieu ouvrier.

Réalisme et merveilleux

Mêlant au réalisme cru le romanesque merveilleux, l’auteur évoque la fascinante figure de la belle Assunta, au visage de Madone, luttant froidement pour l’égalité de droit des femmes à l’usine, et comblant un peu plus tard chaleureusement les hommes par l’accueil de ses trois seins miraculeux.

Font également apparition deux figures peu sympathiques sinon abjectes : le rusé patron et tenant Pietrasanta, ne pensant qu’à élargir avec sa terre son influence et puis l’ignoble fasciste de Giovanni Berta, sacrifiant des milliers d’ouvriers dans la production de poudres et gaz toxiques, destinés aux armées du Duce.

Ce chapitre d’histoire politique et industrielle, révélé avec originalité et intelligence et commenté avec lucidité et émotion, allait fixer intensément l’attention participative du public, notamment celui de tous ces jeunes lycéens qui, en une soirée au théâtre, apprirent et comprirent un tas de drames restant souvent lettre morte à l’école.

Particulièrement celui de la fermeture d’une usine avec sa horde de licenciements ; réalité tragique échappant apparemment aux cerveaux robotisés des grands décideurs calculateurs et spéculateurs

http://tageblatt.editpress.lu/culture/35415.html

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