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La protection des sources journalistiques subit les assauts de la justice américaine

Publie le jeudi 16 septembre 2004 par Open-Publishing

de Laurence Girard

Par deux fois, aux Etats-Unis, des juges ont condamné des reporters qui refusaient de révéler l’origine de leurs informations. En Europe, législations nationales et jurisprudence de la Cour des droits de l’homme peuvent s’opposer.

Le principe de la protection des sources d’information était, jusqu’ici, un principe intangible du métier de journaliste. Pourtant, cet été, par deux fois, des juges américains ont condamné des reporters qui avaient refusé de révéler le nom de leurs informateurs.

Le 6 août, le juge fédéral Thomas F. Hogan a demandé l’incarcération du journaliste Matthew Cooper, du magazine Time, pour "outrage à la cour". Deux semaines plus tard, à Washington, un juge fédéral prononçait une peine d’amende contre cinq journalistes, deux du New York Times, un du Los Angeles Times, un de l’agence Associated Press et un correspondant de la chaîne ABC, pour "outrage à magistrat".

L’association Reporters sans frontières a réagi pour dénoncer les atteintes à ce principe. "Une nouvelle fois, le secret des sources, pierre angulaire de la liberté de la presse, est menacé par la justice américaine. Contraindre les journalistes à identifier leurs sources, c’est remettre en cause un fondement du journalisme d’investigation, si nécessaire à la démocratie", affirme l’association.

Pour M. Cooper, tout commence par un article publié le 17 juillet 2003 dans Time. Il écrit que des "agents du gouvernement" ont révélé à la presse l’identité d’un agent de la CIA, Valerie Plame, épouse d’un ancien ambassadeur, Joseph Wilson. La révélation volontaire d’un nom d’un agent pouvant être considérée comme un acte de trahison, une chambre spéciale est constituée en décembre 2003 pour enquêter sur l’origine de la fuite. Selon M. Wilson, cette fuite le punissait d’avoir mis en doute, dans le New York Times, les arguments de M. Bush affirmant que Saddam Hussein avait tenté d’obtenir de l’uranium au Niger.

En mai 2004, M. Cooper reçoit une convocation pour être entendu. Il fait appel, arguant que le secret des sources est protégé par le premier amendement de la Constitution relatif à la liberté d’expression. L’appel est rejeté, mais M. Cooper refuse encore de répondre à la convocation. Le juge prononce alors un ordre d’incarcération et condamne Time à 1 000 dollars d’astreinte par jour tant que le journaliste maintient son refus. Un nouvel appel sursoit à l’application des peines. Le 23 août, M. Cooper accepte d’être entendu par le procureur Patrick Fitzgerald, après avoir obtenu une exonération de confidentialité de sa source, I. Lewis Libby, secrétaire général du vice-président Dick Cheney. La menace d’incarcération est levée.

Dans la seconde affaire, les cinq journalistes mis en cause avaient couvert l’affaire Wen Ho Lee, un ancien scientifique du centre de recherches nucléaires de Los Alamos suspecté d’avoir espionné pour la Chine. La Cour fédérale les a condamnés à payer 500 dollars (408 euros) par jour tant qu’ils refuseraient de révéler leurs sources. L’affaire doit être examinée en appel.

La question de savoir si les reporters ont un droit légal de protection des sources est discutée aux Etats-Unis depuis des années. Les journalistes évoquent le premier amendement de la Constitution, qui fonde le principe de la liberté d’expression, en face d’eux est mise en avant l’obligation faite aux citoyens d’aller témoigner sous peine d’être accusés d’outrage à la cour ou à magistrat. Une décision de la Cour suprême de 1972, connue sous le nom "Branzburg vs Hayes", fait référence dans le domaine, en établissant que les journalistes ne peuvent faire l’objet d’un traitement privilégié face au premier amendement, même si l’ambiguïté demeure parfois au gré des décisions des tribunaux qui ont suivi.

"Il n’y a jamais de protection absolue des sources. Les journalistes ont le droit de garder leurs sources secrètes, sauf s’il y a un motif prépondérant d’intérêt public", explique Alexis Guedj, avocat au barreau de Paris, et enseignant à l’université Panthéon-Assas (Paris-II).

La question se fait plus pressante aujourd’hui, alors que les remises en cause de la protection des sources se multiplient. "Depuis le vote du Patriot Act et du Terrorism Act, à la suite des événements du 11-Septembre, il y a une surveillance accrue de la presse", affirme Me Guedj.

L’avocat s’interroge sur l’impact d’une "autre loi de circonstance", en France, la loi Perben 2, adoptée en mars 2004. Selon ce texte, un journaliste refusant de témoigner, pourra être "requis" de remettre des documents. S’il est encore en droit de refuser, une perquisition pourra être ordonnée afin de connaître l’identité de l’informateur ou recueillir des éléments de preuve. "J’attends la jurisprudence sur cette loi, mais la France s’inscrit en défaut avec les canons européens", estime Me Guedj.

La Cour européenne des droits de l’homme a, en effet, rendu deux arrêts qui confortent la protection des sources. Reconnu par l’article 10 de la Convention des droits de l’homme, le secret des sources journalistiques a été consacré "pierre angulaire de la liberté de la presse", par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Goodwin de mars 1996. Mieux : par l’arrêt Roemen et Schmidt de février 2003, la Cour européenne a indiqué que la protection du secret des sources, nécessaire à la pérennité de toute société démocratique, proscrit les perquisitions menées sur le lieu de travail ou au domicile du journaliste.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3236,36-379227,0.html